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L’Egypte prisonnière de ses pharaons

Une passionnante fresque en trois épisodes montre combien le face-à-face entre militaires et islamistes a contribué à écrire l’histoire du pays depuis soixante ans.

President egyptien abdel fatta al sisi nouveau ministre Intérieur Magdi Abdel Ghaffar

Nombreux sont les pays dans lesquels un vulgaire coup d’Etat militaire a été pompeusement rebaptisé « révolution » afin de justifier l’installation d’une junte au pouvoir. Mais il en est un seul au monde dont le peuple a rappelé aux plus hautes fonctions son dictateur, alors qu’il venait de démissionner au lendemain de la plus humiliante des défaites militaires. C’est l’Egypte de Gamal Abdel Nasser.

Depuis la « révolution » de 1952, à la faveur de laquelle un quarteron de jeunes gradés – les « officiers libres » de Nasser – mit fin à la monarchie, le pays a été quasi exclusivement dirigé par des militaires. Le premier – et seul à ce jour – civil élu à la présidence de la République égyptienne, ­Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, n’a gouverné que de juin 2012 à juillet 2013, avant d’être renversé par un nouveau coup d’Etat, c’est-à-dire une nouvelle « révolution » dans la terminologie imposée par l’armée, avec l’assentiment de la grande majorité des Egyptiens.

« Les pharaons de l’Egypte moderne »

Pour comprendre cette spécificité égyptienne, ce lien, pour le moment, indéfectible entre la République, l’armée et le peuple, il faut regarder les trois documentaires de Jihan El Tahri, consacrés respectivement à Gamal Abdel Nasser, Anouar Al-Sadate et Hosni Moubarak. Diffusés par Arte en une seule soirée, ils rendent enfin lisible l’histoire de l’Egypte des années 1950 à nos jours. Et, sans jamais aborder les bouleversements que le pays a traversés depuis cinq ans – renversement d’Hosni Moubarak, élection de Mohamed Morsi, destitution par l’armée, élection du maréchal Abdelfattah Al-Sissi –, la saga de Jihan El Tahri permet de comprendre que l’échec de la révolution était inscrit dès son éclatement, le 25 janvier 2011. Car si Moubarak est tombé, c’est que l’armée l’a lâché. Et si Mohamed Morsi a été renversé, c’est que l’armée a repris son bien.

L’histoire de l’Egypte n’est qu’une déprimante répétition. C’est pour cela que Jihan El Tahri a surnommé le trio Nasser-Sadate-Moubarak, auquel on peut ajouter désormais Sissi, « les pharaons de l’Egypte moderne ».

Tout comme les pharaons de l’ère antique effaçaient les cartouches de leurs ancêtres, ils font mine de renier l’héritage de leur prédécesseur afin d’affermir leur légitimité et finir, à leur tour, par instaurer une autocratie absolue. Nasser a été le « pharaon des fondations » (1954-1970), celui qui a posé les bases du régime, Sadate le « pharaon des ruptures » (1970-1981), celui qui a brisé les tabous (alliance avec les Etats-Unis, choix du capitalisme et paix avecIsraël), avant d’en mourir, et Moubarak, celui qui a régné le plus longtemps (1981-2011), un « pharaon de transition », à la tête d’une interminable parenthèse de stabilité en trompe-l’œil.

La mangouste contre le cobra

Tous ont affronté un ennemi commun, la confrérie des Frères musulmans fondée en 1928 par Hassan Al-Banna. A tel point que la vie politique égyptienne se résume à ce combat entre la confrérie et l’armée, souvent décrit comme celui du cobra et de la mangouste. Et à la fin, du moins pour l’instant, c’est toujours la mangouste (l’armée) qui gagne.

Les dirigeants militaires de l’Egypte suivent toujours le même schéma. Dans un premier temps, ils ont besoin de la coopération des Frères pour affermir leur pouvoir : Nasser a pris le pouvoir avec leur aide, Sadate s’en est servi pour se débarrasser des nassériens et de la gauche, Moubarak leur a donné la rue et la société en pâture. Quant à Sissi, il les a utilisés pour canaliser le cours de la révolution, qui menaçait d’emporter l’armée, dès mars 2011. Puis, vient en général le temps de la confrontation : pour se légitimer, le régime a besoin de désigner un ennemi intérieur et les Frères deviennent alors l’incarnation du complot. La répression radicalise une partie d’entre eux, qui se jette alors dans la rébellion armée, justifiant ainsi la prolongation d’un régime d’exception, jusqu’à ce que le système, proche de l’explosion, juge nécessaire à sa survie un remplacement à la tête de l’Etat. C’est la phase de la « révolution ». Et ainsi de suite, jusqu’à épuisement.

Des pépites sorties des archives

Le minutieux travail de recherches d’archives mené par Jihan El Tahri a mis au jour, ou permis de revoir, quelques pépites : le procès, en 1965, de Sayyid Qutb, premier théoricien du djihadisme takfiriste qui sert encore de matrice à tous les mouvements de la galaxie djihadiste ; celui, en 1978, de Moustafa Choukri, fondateur de Takfir Wal Hijra, le premier mouvement djihadiste de l’histoire contemporaine, dont la similitude avec l’organisation Etat islamique (EI) frappe aujourd’hui.

Jihan El Tahri s’attarde aussi sur un personnage désormais rayé des livres d’histoire, le général Mohammed Naguib, éphémère premier président de la République égyptienne en 1953-1954 destitué par Nasser au terme d’une féroce lutte de pouvoir. Accusé par son cadet d’être lié aux Frères musulmans, Naguib voulait surtout le retour de l’armée dans ses casernes et la mise en place d’un régime parlementaire civil. Un « pharaon de trahison » pour ses pairs.
Source: lemonde.fr

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