Le premier tir test de drone armé français a eu lieu dans le Sahel. Un tournant stratégique, qui intervient dans un contexte de défiance de la part des opinions publiques sahéliennes. Le colonel Hugues Pointfer, commandant de la base aérienne de Barkhane à Niamey, répond aux questions de l’ envoyée spéciale à Niamey.
RFI : Dans le Sahel, les partenaires de la France ont été fortement attaqués et ont souffert. Les opinions publiques se demandent souvent comment se fait-il que Barkhane ne savait pas ou pourquoi Barkhane n’était pas là.
Colonel Hugues Pointfer : En fait, ça s’explique relativement simplement. Certes, nous avons des moyens, certes nos moyens sont performants. Nous avons des capacités de surveillance, de reconnaissance, notamment des drones. Toutefois, ce qu’il faut savoir sur ces moyens, c’est qu’ils ne peuvent pas couvrir une surface énorme au regard de toute la surface à couvrir en bande sahélo-saharienne, qui est plus grande que l’Europe, finalement. Pour arriver à être efficace, ce qu’il nous faut, c’est une conjonction de renseignements et de moyens d’observation.
Et donc, concrètement, quand on a des colonnes de motos, parfois elles sont 100 ou 200. Pour vous, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin…
Au regard de la surface de la bande sahélo-saharienne, du nord du Mali, du Niger, oui c’est une aiguille dans une meule de foin. Si nous avons eu du renseignement qui nous permet de dire que, autour de la ville X, on suppose la présence de groupes armés terroristes se rassemblant en grand nombre, bien évidemment nous allons y aller, nous allons regarder, et là nous allons les trouver. Si on nous dit : attention au nord du Mali, il y a une colonne de véhicules qui circulent, là ça devient très compliqué.
Dans ces conditions-là, donc, est-ce nécessaire d’avoir ces moyens aériens de surveillance comme les drones français si, finalement, ils n’aident pas ou ne permettent pas de trouver, au moment où on en aurait besoin, les colonnes des groupes armés terroristes ?
Nos équipements sont en alerte 24 heures sur 24, ce qui est aussi un des avantages et un des atouts de nos équipements. Et nous sommes en mesure d’observer, d’accumuler du renseignement. Et puis, finalement de bien, précisément, détecter les groupes armés terroristes en train de se rassembler par exemple. Il y a également de l’alerte. L’alerte, dans ce cas-là, il n’y a pas de coordination en amont. En revanche, quand l’alerte sonne, les moyens aériens décollent et vont intervenir sur le terrain.
Et cette alerte peut venir de vos partenaires sahéliens ?
L’alerte peut venir des partenaires sahéliens bien évidemment.
Ça, c’est parfois là où ça se complique ?
Ça peut être plus compliqué. Tout dépend des moyens de communication dont ils disposent, de la portée de leurs moyens, éventuellement, de la surprise et de la violence de l’attaque. S’ils sont submergés, j’imagine que ça peut être effectivement beaucoup plus compliqué de passer une alerte. Il y a également de la disponibilité des moyens qui peuvent être plus ou moins loin, plus ou moins rapides à intervenir. Normalement, ça va vite.
Les premiers tirs du drone armé français ont eu lieu. Très concrètement, qu’est-ce que ça change dans les capacités opérationnelles de l’opération Barkhane, dans la région sahélienne ?
L’armement du drone n’a pas vocation à être une révolution dans l’emploi du drone. Le drone va rester un moyen de surveillance et de reconnaissance. En revanche, le fait que maintenant le drone puisse être armé, c’est une capacité supplémentaire. Cela va permettre aux drones de réagir à une situation volatile, chose qui n’était pas forcément possible avant en cas d’absence ou, en tout cas, d’éloignement trop important de moyens de chasse par exemple. Donc, c’est vraiment une capacité supplémentaire apportée aux drones pour pouvoir traiter un objectif important ou encore une fois pour pouvoir intervenir dans une situation volatile ou fugace.
Est-ce qu’il n’y a pas plus de risques, d’erreur ou de bavure ?
Non pas du tout. Les règles d’engagement dans tous les cas restent les mêmes. Il y a toute une série de contrôles qui est faite avant d’engager l’ouverture du feu. Que ce soit un drone qui effectue un tir ou un appareil de chasse, par exemple, finalement, ces règles et cette volonté de contrôler très strictement l’ouverture du feu reste la même.
Les drones sont souvent appelés les « robots tueurs ». Ils ont été très critiqués aux États-Unis. On sait que les Américains les utilisent très largement. En Somalie, en Irak, et ça a été le cas en Afghanistan, avec toutes les bavures qui ont eu lieu aussi sur ces territoires. Qu’est-ce qui garantit aujourd’hui qu’un drone ne va pas faire ces erreurs-là ?
Un drone n’est pas du tout un robot tueur. Un drone, c’est un avion avec cette petite différence qui est que le pilote de l’avion n’est pas dans le drone, n’est pas dans l’avion, mais dans une cabine au sol. Un drone ne prend pas de décision tout seul, un drone ne tire pas tout seul, ne fait rien de manière autonome, ce sont toujours des êtres humains qui sont derrière, qui prennent les décisions, qui guident les armements. C’est vraiment un avion à proprement parler. Avec cette différence près que le pilote n’est pas dedans, mais au sol. Ce qui lui permet de rester longtemps en l’air et d’avoir de la persistance sur zone.
Mais le pilote peut être à des centaines ou à des milliers de kilomètres. Cela ne change pas la donne ?
Non, pas vraiment. Pour le pilote, c’est transparent, qu’il soit à 10 kilomètres ou à 1 000 kilomètres, l’image qu’il voit est la même, la réactivité est la même, le fonctionnement est le même, tout est pareil. En revanche, le choix français est d’avoir déployé les équipages de drone sur le théâtre d’opération avec les drones. On a cette particularité à Niamey d’avoir finalement une coopération très étroite entre les différents détachements : les avions de chasse, les avions de transport, les ravitailleurs, les drones. Tous les équipages sont regroupés, donc la coordination en l’air, alors qu’ils ont préparé les missions au sol ensemble, est bien meilleure, bien plus efficace. Également, l’aspect psychologique est intéressant, puisqu’ici le personnel est déployé, il est en opération, il est à 100% dans sa mission.
Au regard de la surface de la bande sahélo-saharienne, du nord du Mali, du Niger, oui c’est une aiguille dans une meule de foin.
RFI