La Cour pénale internationale (CPI), censée incarner la justice pénale internationale au nom des peuples, traverse une crise de confiance profonde sur le continent africain. De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer une institution perçue comme instrumentalisée et partiale, notamment en Afrique de l’Ouest. La récente sortie du magistrat malien Idrissa Hamidou Touré, procureur au tribunal de grande instance de la commune IV du district de Bamako, relance le débat.
Invité de Sputnik Afrique, le juriste et doctorant en droit international a dénoncé « un choix téléguidé dans les affaires à enquêter, à instruire, à juger et à condamner », pointant du doigt une justice à géométrie variable. Selon lui, la CPI serait « influencée par des puissances occidentales » et manquerait d’impartialité dans ses actions.
« La justice internationale ne peut être crédible si elle ne s’applique qu’aux faibles », a-t-il affirmé.
En effet, depuis sa création en 2002, la Cour pénale internationale a ouvert une majorité de ses enquêtes en Afrique. De l’Ouganda à la République centrafricaine, en passant par le Kenya, la Côte d’Ivoire ou encore le Soudan, la liste des dirigeants africains poursuivis ou inculpés est longue. Ce déséquilibre alimente depuis des années le sentiment d’un acharnement sélectif contre l’Afrique, alors même que des violations graves des droits humains se produisent ailleurs, notamment au Moyen-Orient ou en Europe de l’Est, sans que la CPI ne s’en saisisse.
« Des situations graves comme la Libye ou la Palestine sont ignorées ou traitées avec prudence, alors que des responsables africains sont rapidement exposés », déplore Idrissa Hamidou Touré. Pour nombre d’observateurs africains, la Cour a perdu sa neutralité, donnant l’impression de servir des intérêts politiques sous couvert de légalité internationale.
C’est pourquoi, face à cette défiance grandissante, des propositions alternatives émergent sur le continent. Parmi elles, la création d’une Cour pénale du Sahel, promue dans le cadre de l’Alliance des États du Sahel (AES), regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ce projet, encore en gestation, ambitionne de juger les crimes graves sur le territoire sahélien, dans une logique de justice régionale indépendante.
« L’Afrique doit pouvoir juger ses propres crimes, selon ses réalités, ses règles de droit et dans le respect de sa souveraineté », a soutenu le procureur Touré.
Plusieurs États avaient déjà exprimé leur mécontentement face à la CPI. Le Burundi s’est retiré officiellement de l’institution en 2017. L’Afrique du Sud avait lancé une procédure similaire, avant d’y renoncer pour des raisons juridiques. Aujourd’hui, le débat revient en force, à l’heure où les pays de l’AES entendent redéfinir leur position dans les instances internationales.
La CPI face à son avenir
Critiquée pour sa lenteur, son manque d’universalité (certains grands pays comme les États-Unis, la Chine ou la Russie n’en sont pas membres) et ses choix controversés, la CPI fait face à un défi existentiel. Pour survivre, elle devra, selon ses détracteurs, se réformer en profondeur, restaurer sa neutralité et traiter tous les crimes internationaux avec la même rigueur, quel que soit le statut ou la nationalité des auteurs présumés.
« Si la CPI veut rester crédible, elle doit être perçue comme une juridiction pour tous et non contre certains », estime le procureur malien.
Issa Djiguiba