L’ex-président du Soudan Omar el-Béchir, poussé au départ par un vaste mouvement de contestation et arrêté, doit comparaître la semaine prochaine devant un tribunal pour répondre d’accusations de corruption et de possession illégale de devises étrangères.
Porté au pouvoir par un coup d’Etat en 1989, le général Béchir a été destitué et arrêté par l’armée le 11 avril, à la suite d’un mouvement de protestation inédit déclenché en décembre par le triplement du prix du pain dans un pays à l’économie exsangue, avant de se transformer en contestation du pouvoir.
Un Conseil militaire de transition a pris ensuite les rênes du pays, mais la contestation s’est poursuivie pour réclamer le transfert du pouvoir aux civils.
Omar el-Béchir, qui n’a plus été vu publiquement depuis sa mise à l’écart, “comparaîtra devant un tribunal la semaine prochaine”, a affirmé samedi à des journalistes le Procureur général, Al-Walid Sayyed Ahmed, sans indiquer la date précise de l’audience.
Jeudi, l’agence de presse officielle soudanaise SUNA a indiqué que l’ancien homme fort du Soudan était accusé “de possession de devises étrangères, d’avoir acquis des richesses de façon suspecte et illégale et d’avoir ordonné (l’état) d’urgence”.
Le Procureur général a lui précisé que M. Béchir devrait répondre de “corruption et possession illégale de devises étrangères”.
En avril, le chef du Conseil militaire de transition, Abdel Fattah al-Burhane, a affirmé que l’équivalent de plus de 113 millions de dollars avaient été saisis en liquide dans la résidence de M. Béchir à Khartoum. Cette somme était constituée de livres soudanaises, ainsi que de 350.000 dollars et sept millions d’euros.
Or, en décrétant l’état d’urgence face à la contestation populaire, l’ex-président avait rendu illégale la possession de l’équivalent de plus de 5.000 dollars en devises.
– “Symboles du régime” visés –
Sous le régime de M. Béchir, le Soudan a connu un fort niveau de corruption. Le pays est classé 172e sur 180 dans l’indice 2018 de perception de la corruption de l’ONG Transparency International.
Outre l’inculpation pour corruption, M. Béchir fait aussi l’objet de poursuites pour les meurtres de manifestants durant la répression de la contestation née en décembre. Son régime avait tenté de juguler ce mouvement en décrétant l’état d’urgence le 22 février.
Le Procureur général a précisé que l’ex-président était aussi interrogé au sujet de suspicions de blanchiment d’argent et de “financement du terrorisme”.
M. Béchir fait aussi l’objet de mandats d’arrêts par la Cour pénale internationale (CPI) qui veut le voir répondre à La Haye de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour le conflit au Darfour (ouest). Mais les militaires au pouvoir ont indiqué qu’ils ne comptaient pas le transférer au tribunal international.
Le Parquet enquête en outre sur 41 chefs d’accusation visant d’anciens “symboles du régime déchu”, a dit M. Ahmed.
Le Procureur général n’a pas évoqué l’enquête militaire en cours sur la dispersion meurtrière le 3 juin du sit-in organisé par des manifestants devant le siège de l’armée à Khartoum pour réclamer le transfert du pouvoir à des civils.
Selon un comité de médecins proches de la contestation, quelque 120 personnes ont été tuées dans la répression depuis le 3 juin, la plupart dans la dispersion du sit-in. Les autorités ont parlé de 61 morts.
Avant ces violences, 90 personnes avaient été tuées par les forces de l’ordre depuis le début de la contestation en décembre selon ce comité de médecins. Les autorités avaient parlé de 65 morts.
– Conclusions préliminaires –
Les chefs de la contestation ont attribué la dispersion du sit-in aux redoutées Forces de soutien rapide (RSF).
Mais samedi, le chef des RSF, Mohammed Hamdan Daglo dit “Hemeidti”, également numéro 2 du Conseil militaire, a défendu ses troupes lors d’un rassemblement dans un village près de Khartoum. “Notre image a été déformée”, a-t-il lancé.
Le Conseil militaire a reconnu pour la première fois jeudi avoir ordonné la dispersion de ce rassemblement, regrettant que “des erreurs se soient produites”.
Le porte-parole du Conseil, le général Chamseddine Kabbachi avait affirmé que le but initial de l’opération était de chasser des éléments “criminels” dans un secteur appelé Colombia, près du sit-in.
Samedi, le porte-parole de la commission d’enquête militaire sur la dispersion du sit-in, Abderrahim Badreddine, a indiqué à la télévision d’Etat que son rapport n’était pas finalisé.
Mais il a révélé des conclusions préliminaires selon lesquelles “des officiers et des soldats sont entrés sur les lieux du sit-in sans l’ordre de leurs supérieurs”. Ils “ne faisaient pas partie des troupes qui devaient mener l’opération à Colombia”.