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Le péril peul et l’insécurité du Sahel (Par Amadou Ba)

Présents presque dans une vingtaine de pays de Afrique subsaharien, les peuls constituent, sans doute, le plus important archipel communautaire du continent. Nomades ou sédentarisés, les peuls sont victimes des agressions et massacres collectives dans le Sahel.

Dans cet élan de violence , au nuit du samedi 23 mars 2018, des milices dogons ont été suspecté d’avoir massacré 160 peuls à Ogossagou, un village peul, situé au centre du Mali.

Deux ans plus tard, le 08 mars 2020 des milices armés ont attaqué deux villages peuls, Dinguila et Barga, situé dans la province de Yatenga au nord du Burkina Faso. L’attaque se solda par un bilan déplorable de 46 morts et 6 blessés. Ces attaques surviennent dans un contexte régionale psychotique caractérisée par la flambée et l’escalade de la violence dans le Sahel devenue une poudrière qui lui a valu le surnom de Sahelistan.
Les peuls menacent-ils la stabilite du Sahel? Sont-ils la source du terrorisme ou des trublions identitaires?

Les peuls, une identité remarquable mouvant et menaçant
En raison de leur mode vie nomade en permanent exode à la recherche de nouveau pâturage pour nourrir leurs bovins et ovins, les peuls sont éparpillés et infiltrés dans des États où ils demeurent une ethnie minoritaire. Pour un peul pasteur et nomade, la richesse d’un pays réside dans la fertilité de son sol, l’étendue de ses fleuves ou lacs, l’importance de sa pluviométrie, bref dans les zones où poussent des pâturages capables d’assurer une autosuffisance alimentaire aux bétails. Leur sédentarisation est tributaire aux conditions climatiques, écologiques et environnementales.

Lorsque la sécheresse frappe leurs zones de résidence, ils transhument dans d’autres horizons plus hospitaliers et humides. Ainsi nous pouvons constater une importante population peuls dans la bordure des vallées du fleuve, des lacs et delta du Sénégal, de la Mauritanie, du Niger, du Cameroune et du Mali et dans les plateaux de fouta Djallon.
Aussi à l’instar des asiatiques, ces pasteurs voyagent-ils et migrent-ils avec le Poulagou. Celui-ci désigne un système de valeurs et de représentations durables, interconnectés et intériorisées mais aussi transposables dans d’autre univers. Le poulagou génère aussi bien des comportements que des perceptions grégaires si bien qu’il est rarement fongible dans les identités nationales. Attachés fièrement au poulagou et à leurs identités imperméables, les peuls demeurent une menace aux Etats-Nations. En effet, à l’instar des allemand, toutes proportions gardées, les peuls ont une conception objective et fermée de la nation qui se matérialise dans l’expression d’une langue commune et le partage d’un passé et une culture communs. Cette conception essentialiste de l’appartenance nationale est aussi sélectif que raciste. Ainsi pour les Allemand la nation précède l’Etat.
Or en Afrique, les Etats-nation se sont institués sur la base du modèle national français plus ouvert et volontariste. Cette conception identifie la nation à une communauté de citoyens qui partage une volonté commune de vivre ensemble quelles que soient leurs diversités culturelles, linguistique et géographique. La nation “ est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune”. RENAN, Ernest (1823-1892) : Qu’est-ce qu’une nation ?, 1882.

Néanmoins, il n’existe pas un nationalisme peul affiché et affirmé dans un État donné malgré les attaques permanentes qu’ils subissent. Cependant, la manifestation d’un sentiment régional anti-peul et les sensibilités ethnicistes qu’elle suscite, prédisposent d’une manière favorable à la naissance d’un nationalisme irrédentiste . Auquel cas, une anarchie totale régnera dans la sous-région au vu de l’importance du réseau transnational peul.
La question peul est ainsi un sujet fort brûlant et sensible au Sahel, car elle soulevé des passions, et déchaîne des émotions inflammatoires et catalytiques de violence généralisée. Elle est une poudrière d’une imprévisibilité aussi menaçante que déstabilisant sur laquelle sont assis les Etats. A titre d’exemple, c’est sur la base d’un rixe entre un pasteur peul mauritanien et paysan soninké au bord du fleuve Sénégal que s’est déclenché le conflit sénégalo-mauritanien de 1989- 1991. Ce qui entraîne ipso-facto une rupture des relations diplomatiques entre les deux Etats voisins. C’est dire que les Etats du Sahel doivent adopter des positions prudentes sur les questions ethniques.
Dans la même mouvance d’idée, un détour historique dans la seconde guerre du congo moyennant une analyse comparative sur la gestation des crises identitaires nous permettra de comprendre le péril peul.
La seconde guerre du congo opposa le rwanda, l’ouganda, le Burundi contre le Congo et l’angola. Ces différents États qui composent la région des grands lacs, partagent les mêmes valeurs culturelles bantoue et parfois parlent la même langue. La colonisation, au moyen de regle, equerre et compact, a subdivisé géographiquement ses populations sans tenir en compte les réalités culturelles et ethniques. Après les indépendances, les Etats se sont édifiés sur des territoires sans unité nationale qui les unissent. La peur des uns et le sentiment de supériorité des autres forgés socialement par les individus et manipulés par les nouveaux dirigeants politiques en recherche de légitimité ont produit un état de psychose régionale. Ce qui conduit à la génocide rwandais en 1994 entre hutu et tutsi puis la dissémination des réfugiés hutu, devenus une menace sécuritaire transnational. L’ exode des hutus a eu un écho dans les pays voisins majoritairement de culture bantouphone d’obédience hutu. A peine arrivé au pouvoir dans un pays clivant , le président congolais laurent désiré kabila, conscient de l’affect que cela peut susciter chez les congolais, a forgé un discours identitaire anti-tutsi pour mobiliser les congolais à la guerre contre l’ennemi extérieur tutsi pour apaiser les tensions internes. Les régimes ougandais et rwandais dirigés par les pro-tutsis( Paul Kagamé et Museveni) en font leurs affaires personnelles et fomentent un coup d’Etat avorté contre le régime de kabila. L’enjeu identitaire construite sciemment par les belligérants se transforme en un enjeux sécuritaire ravivant les conflits larvés de la sous-régions.

L’ histoire en perpétuelle recommencement

La crise idendidentaire qui parrainé la montée de la violence dans la régions des grands lacs doit distiller les yeux des diplomates pour prévenir une potentielle coalition bambara-dogon-mossi contre les peuls. Au Sahel, toutes les menaces sont portés vers les peuls. En effet, comme ce fut le cas dans la construction systémique d’un discours anti-tutsi par le hutu-power, de même aujourd’hui au Sahel un discours discriminatoire anti-peuls se propage dans la sous région, et ce dans l’indifférence totale des pouvoirs publics à défaut d’être complice. Cette aversion est amplifiée par la suspecte connexion des peuls et les mouvement Jihadistes opérant au Sahel.
Au burkina Faso, paraît-il tous les hommes demeurent intégrés sauf les peuls. Comme l’on affirme en mossi fulaw ti mogo siginyogo ye « On ne peut pas être voisins des Peul ». Si cette crainte des peuls remontent dans l’histoire, la généralisation de la violence, sous prétexte de la lutte anti-terroriste, à exacerber les tensions . La communauté peule subit des attaques répétées et impunie dans les zones rurales du pays.
En Guinée, le Président Alpha Condé, à court de légitimité et déterminé ,contre vent et marrée, à briguer inconstitutionnellement un troisième mandat aussi houleuse que clivant, surfe sur la discrimination peul pour mobiliser ses concitoyens. Cette pratique systématique cherche à briser les élans présidentiels de son principal opposant peul plébiscité en l’occurrence Cellou Diallo.
Au mali, les dogons massacre impunément les peuls sous l’oeil de son gouvernement dans le centre du Pays . Néanmoins, ce serait périlleux et imprudent d’annoncer prématurément, une future génocide des peuls quoique le versant ethnique de la crise sahélien présente les mêmes symptôme qui ont présidé à la génocide rwandaise de 1994.
Pour mieux rétablir l’ordre politique dans le sahel les Etats doivent combattre les sources du terrorisme

la chute de Kadhafi
Le désordre du sahel procède avant tout de la crise libyenne, donc de l’intervention franco-britannique sous le haut patronage de Nicolas Sarkozy et David Cameron au mépris du droit internationale public plus précisément du chapitre VII article 39 de la charte des Nations Unis. Sous prétexte de libérer le peuple libyen réprimé par le dictateur Khadifie et d’installer des institutions démocratiques, cette intervention mue par des intérêts géopolitiques plongea le pays dans un chaos totale. En effet, la chute du Colonel kadhafi entraînera automatiquement la décadence de l’Etat Libyen où il musela pendant 40 ans les trublions communautaires. Le régime totalitaire de khadifie était une garantie de stabilité régionale aussi bien en afrique qu’en europe, car la Libye est un pays de transit de migrant vers l’union européenne. L’ampleur de la crise migratoire européenne aujourd’hui et le chaos sahélien sont liés intrinsèquement au chute de Khadafi. Or l’histoire nous a démontré maintes fois que les interventions militaires quoique destructrice de régime totalitaire ne sont pas créatrices de régime démocratique. Parce que la démocratie ne s’impose pas et lorsqu’elle est imposée à un peuple stérile à ses idées, elle dérive au totalitarisme. Tous les régimes démocratiques du monde sont le fruit des révolutions populaires internes et non d’une quelconque intervention étrangère.
Le Sahel a subit l’onde de choc de la crise libyenne . Effectivement, cette chute du colonel a produit un effet papillon dans le Sahel et plongea la sous-régionale dans une insécurité globale devenue un terreau fertile où prospère le terrorisme, des crimes organisés et des opérations connexes. Cette psychose superposée à la faiblesse des appareils répressifs des Etats du Sahel et leur incapacité à monopoliser la violence ainsi que le règlement administratif des conflits intercommunautaires, a révèle la perméabilité de tissu national des Etats. Les mouvements terroristes très avisés et conscients de cette porosité, ont surfé sur le communautarisme et le fondemalisme religieux pour gagner les coeurs et les esprits des indigènes. Ils ont mêlé l’histoire et la géographie dans un dessein d’attiser les haines et les rivalités ethniques en opposant les unes aux autres et en s’appuyant sur les unes pour mieux vaincre les autres. Partout où il est ancré, le terrorisme se développe sur la réanimation et la mobilisation des frustrations qu’elles soient individuelles ethniques ou religieuses.

Les frustrations populaires
Les frustrations sociales accumulées, c’est-à dire le décalage entre les aspirations populaires et leurs satisfactions, demeurent également mamelle qui alimente le terrorisme. Elles procèdent d’une redistribution injuste des ressources de l’Etat et l’incapacité de celui-ci d’impulser des politiques publiques inclusives ou d’assurer des services sociaux de base à ses citoyens: l’accès à l’éducation, à la santé, au logement et à l’emploi et à un traitement juridique équitable. Comme la désintégration de particules préside à l’explosion d’une bombe H, de même la défaillance des institutions sont susceptibles d’inspirer une méfiance et porte les germes de désintégrations sociales et politiques des citoyens déclassés et suggestibles aux alternatives que offre les terroristes. Ceux-ci prospèrent dans l’investissement de l’espace vide abandonné par les Etats moyennant de services publics minimum: école, hôpitaux, distributions des denrées alimentaires et subventions financière. L’emprise de l’Etat s’estompe et se relâche progressivement dans les zones d’occupations terroristes. Parce que les États se révèlent incapable de monopoliser, de centraliser et de contrôler l’exercice de la violence physique légitime dans leur territoire, violant ainsi le contrat sociale ou civique qui les lient avec leurs sujet. C’est dans cette atmosphère fiévreuse d’avancée du terrorisme et du désinvestissement militaire des Etats que éclore le mouvements Tabital Fulbe de Macina qui s’est exporté au Burkina Fasoainsi que les milices d’autodéfense dogons, bambara et mossi. Ces mouvements paramilitaires, quoique illégales dans un Etat souverain, deviennent légitimes dès l’instant où le gouvernement s’avère incapable d’assurer, d’assumer et de mettre en oeuvre souverainement ses fonctions régaliennes de protéger, de nourrir, d’éduquer et de soigner ou procèdent à un traitement injuste et inégale entre les populations.

Conclusion

Si les gouvernements nationaux et la communauté internationales se sont continuellement alarmés et indignés devant l’ampleur de ces barbaries ineffables, nulle inspection internationale encore moins une enquête des autorités locales ne s’est avéré judiciairement pour condamner les auteurs présumés de ces boucheries.

Cette montée de la violence au relent communautaire dans les Etats du sahel( Mali, Burkina Faso,Niger, Nigeria, Tchad) sous le manteau de la lutte antiterroriste ainsi que l’impunité et le mutisme gouvernementale qui l’accompagnent font le lit d’une “épuration ethnique” à l’encontre des peuls. L’histoire étant en perpétuelle recommencement sous d’autre forme et sous d’autres horizons, cette attitude sourde et mutique n’est pas sans rappelant la passivité de la communauté internationale et la complicité suspectée des casques bleue devant les atrocités de hutu power sur les tutsis lors du génocide rwandais en 1994. Par conséquent, les Etats doivent privilégier une solution politique à l’option militaire qu’offre la France pour endiguer le péril terroriste et son déversement identitaire.

Par ailleurs l’arrivée des président peuls au pouvoirs depuis 2012 ( Macky Sall au sénégal, Mohamed Buhari au Nigeria, Adama Baro en Gambie, et récemment Umaro Sisco Emballo en Gambie) ne conduit-elle pas vers une domination des peuls dans les couleurs diplomatiques de l’espace CEDEAO?


Etudiant en Master Science politique université de lille.
amadoub.ba.etu@univ-lille.fr

Senescoop

 

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