« Le président va continuer à ouvrir les portes dans toutes les géographies africaines » a déclaré Franck Paris, Conseiller Afrique de l’Elysée, au siège de l’UNESCO le 23 janvier dernier, à l’occasion des vœux du Comité Afrique du Medef International. En ligne de mire : les locomotives nigériane, éthiopienne, rwandaise et kenyane, a-t-il rappelé, avant d’annoncer « un prochain déplacement – du président – en Afrique australe et dans la Corne de l’Afrique ».
Les marchés d’Afrique de l’Est sont devenus des enjeux majeurs pour les entreprises françaises et notamment le Kenya avec ses 50 millions d’habitants, qui représente 1er PIB au niveau régional. Aussi, un an après le déplacement de la délégation du MEDEF à Nairobi, Emmanuel Macron retournera à l’Est du continent (Kenya, Ethiopie) du 12 au 15 mars, à l’occasion du One Planet Summit, accompagné par une délégation de chefs d’entreprise français, conduite par Momar Nguer, Président du Conseil de chefs d’entreprise France-Afrique de l’Est du MEDEF International et membre du Comité exécutif de Total. En effet, afin d’éviter les critiques associées au « néocolonialisme », l’hexagone s’oriente de plus en plus vers les pays non francophones, comme en témoigne également le prochain forum France-Angola qui se tiendra les 5 et 6 février prochains.
Rappelant la nécessaire implication de la diaspora dans les relations franco-africaines, Franck Paris a également cité les initiatives françaises menées en 2018 telles que « l’amorce d’une dynamique de restitution du patrimoine africain » ou encore « des actes sur la mobilité et notamment sur les visas de circulation pour les étudiants », une avancée qui est néanmoins limitée par la hausse des tarifs d’inscription dans l’enseignement supérieur…
« La France n’est en concurrence avec personne » a-t-il rappelé, précisant que l’Afrique est désormais « un élément du projet européen ». Un pari difficile à tenir au regard des intérêts économiques parfois antagonistes des grands groupes européens sur le continent…
Faire évoluer les mentalités…
Le continent pâtit encore d’une image associée aux risques sécuritaires mais Franck Paris a souligné les « profonds bouleversements » qui ont affectés le continent en 2018 et notamment « dans la Corne de l’Afrique, comparables à la chute du mur de Berlin (…) insistant sur une « nouvelle ère en Afrique centrale – notamment – en RDC (NDR : suite aux élections présidentielles qui ont vu Félix Tshisekedi accéder au pouvoir sans violence)».
Dépasser la problématique du risque en Afrique : tel est le nouveau cheval de bataille du Medef, considérant que le phénomène « paralyse les Etats-majors des entreprises » selon Patrice Fonlladosa, le président du comité Afrique du Medef International. Un facteur risque particulièrement surestimé dans l’hexagone selon celui qui évoque une « tradition en France de parler de ce qui ne va pas bien » et qui rappelle que « la question des mentalités à faire évoluer, c’est ce qu’il y a de plus difficile».
Par ailleurs, « arriver dans un pays et y travailler suppose de partager les richesses avec le pays en question », une évidence que Patrice Fonlladosa a également jugé bon de préciser. A titre d’exemple, selon un rapport intitulé « La transparence à l’état brut : décryptage de la transparence des entreprises extractives », les ONG internationales OXFAM France, Sherpa et ONE rapportaient en 2017, que les paiements des multinationales françaises en Afrique, révélaient encore des pratiques peu orthodoxes, occasionnant de sérieux manques à gagner pour les économies concernées (NDR : Total en Angola ou Areva au Niger par exemples). L’heure est aux échanges « gagnants-gagnants ».
Les ETI : nouveau levier de développement ?
Avec 700 millions d’habitants en 2018 et près de 1 milliard à l’horizon 2030, l’emploi est placé au centre des préoccupations du Medef International. « Il faudrait 12 millions d’emplois pour contenir le chômage sur le continent » a averti P. Fonlladosa, rappelant qu’il s’agissait d’une priorité pour « les entreprises françaises qui ont une obligation de résultats – et que – La France doit prendre sa part ».
Afin de répondre au défi de l’emploi, le Medef International mise non plus sur les startups et les PME mais sur les ETI (NDR : entreprises de taille intermédiaire). Les ETI emploient entre 250 et 4.999 salariés pour un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 milliards d’euros, soit un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros. Parallèlement, une entreprise disposant de moins de 250 salariés, mais qui enregistre plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 43 millions d’euros de total de bilan, est également considérée comme une ETI. Maillon intermédiaire entre les PME et les grandes entreprises, les ETI sont désormais identifiées comme un vivier d’emploi incontournable sur le continent. « On a cru pendant un certain temps, que les petites entreprises et les startups avaient un rôle à jouer mais en terme de volume, il faut changer d’échelle pour accompagner le rythme de croissance. »
Les 6.000 ETI françaises représentent aujourd’hui 25% de l’emploi salarié, soit 3.3 millions, 34% du chiffre d’affaires à l’export et 39% du PIB (contribution, sous-traitance et consommation). Elles sont près de 80% déjà implantées à l’international, dont 20% en Afrique (contre 11.7% de PME). Un chiffre encore trop faible, que le Medef International entend relever à travers un plan d’action avec les ETI, en partenariat avec les Chambres de Commerce et d’Industrie. Pour ce faire, l’orientation « Oser l’Afrique » sera également déclinée en province, avec une première initiative à Lyon, courant 2019.
Le Medef peut néanmoins se réjouir de la fréquentation de ses événements sur le continent par les entreprises tricolores, qui a augmenté de 25% l’an dernier. Un attrait qui devrait se poursuivre au regard du dernier rapport de la Banque Africaine de Développement (BAD) du 17 janvier dernier, indiquant des perspectives de croissance de l’ordre de 4% pour 2019…
L’épineuse question des Accords post-Cotonou…
« Je n’ai pas une bonne nouvelle à ce sujet aujourd’hui » déplore Patrice Fonlladosa au sujet des négociations de l’Accord post-Cotonou. Cet accord, passé entre l’Union européenne (UE) et les États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) signé le 23 juin 2000 au Bénin, après expiration de la Convention de Lomé, est en passe de prendre fin. Conclu pour 20 ans, l’accord qui relie les 79 États du groupe ACP avec les 28 pays de l’UE, pour une population de 700 millions d’habitants, s’achèvera en 2020.
« Nous avons largement milité pour que le secteur privé soit associé aux débats. Malheureusement, il y a un maintien du statu quo et c’est désolant. Le secteur privé à toute sa place dans les négociations de l’Accord post-Cotonou » a déclaré Patrice Fonlladosa lors du déjeuner-presse du 23 janvier dernier. Un constat entendu par l’Elysée : « On ne peut pas rester dans un entre-soi purement public » a soutenu Franck Paris, le soir même à l’UNESCO devant un parterre d’Ambassadeurs et de dirigeants d’entreprises…
« Au niveau des accords régionaux, c’est un échec complet qui s’est traduit par des contestations longues et vives avec le secteur privé africain. Il y a encore une hostilité vis-à-vis des Accords de partenariat économique (APE) – (NDR : notamment sur le principe de réciprocité exigé par l’OMC) – de la part des Etats africains (…) ce qu’on a fait c’était du colmatage» a poursuivi Philippe Gautier du Medef International, avant de conclure : « L’OMC est aujourd’hui dans une situation de faiblesse ».
Par ailleurs, Patrice Fonlladosa s’est dit favorable à la séparation des enjeux caribéens et africains d’une part, et attend un changement de périmètre des négociations avec des relations directes entre l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) d’autre part. « On ne peut pas se désintéresser des pays caribéens mais nous devons pourtant changer et tout changement est une révolution ! (…) Par ailleurs, on ne peut continuer à raisonner avec des plans sur 15 ans car ça ne fonctionne plus ! » Un positionnement qui risque fort de faire grincer des dents dans les Caraïbes…