L’université de Kyoto Seika a élu comme président le Malien Oussouby Sacko, qui réside au Japon depuis 27 ans.
Depuis Kyoto, 13 477 kilomètres séparent Oussouby Sacko de Bamako, la ville qui l’a vu naître en 1967. Depuis octobre 2017, la capitale du Mali peut s’enorgueillir d’avoir enfanté le premier président africain d’une université japonaise, celle de Kyoto Seika. Au pays du soleil-levant, cet établissement d’enseignement supérieur privé est notamment réputé, depuis les années 1970, pour ses formations à l’art du manga.
À la tête de cette université pouvant accueillir près de 4 400 étudiants, l’attitude de ce nouveau président, qu’on dit avenant et accessible, tranche avec celle attendue d’un Japonais de son rang. « La société nippone est extrêmement hiérarchisée et nul n’imaginerait qu’un professeur puisse, par exemple, prendre en compte l’avis d’un étudiant, ce que fait Oussouby Sacko », explique le Français Thomas Silverston, chercheur en informatique au Japon, qui a invité l’universitaire malien, en juin 2017, pour un séminaire de Sciencescope, l’association qu’il préside. Le professeur Sacko, lui, aime échanger avec tout le monde. C’est d’ailleurs cette curiosité qui l’a conduit là où il est.
Un monde inconnu
Tout a commencé après l’obtention de son baccalauréat, en 1985. Bon élève, le jeune Oussouby, n’hésite pas une seconde quand le gouvernement lui propose une bourse d’étude chinoise pour partir étudier le mandarin à Pékin pendant un an. « À part les Chinois que je croisais sur les chantiers ou dans les hôpitaux, et peut-être quelques films d’arts martiaux, je ne connaissais rien de la Chine et de l’Asie », confie-t-il. En 1986, il déménage à Nankin, dans l’est du pays, pour débuter un cursus en architecture. Cinq ans plus tard, il s’inscrit à l’université de Kyoto afin de finaliser son master et préparer un doctorat.
L’architecture, une affaire sociale
« Le Japon offrait alors les conditions idéales pour étudier les sujets qui m’intéressent : l’habitat, les usages et l’organisation d’un espace de vie. J’étais captivé par les interactions dans une même communauté et l’attachement qu’ont les Japonais à leur lieu d’habitation », explique le professeur de 51 ans. L’architecture, pour lui, n’est donc pas qu’une affaire d’esthétisme : elle est un prétexte pour penser et comprendre les ressorts d’une organisation sociale.
Cécile Laly, chercheure invitée à l’International Research Center for Japanese Studies de Kyoto et amie du professeur Sacko, confirme cette vocation : « Il a une certaine empathie qui lui permet de comprendre facilement son environnement. »
J’ai fait l’effort de lire sur les visages et dans l’esprit d’autrui
En ce sens, son intégration dans la société japonaise ne semble pas avoir été laborieuse : « Le Japon est un pays où l’on repart à zéro. On est comme illettré quand on arrive, car on ne saisit aucun code, reconnaît-il. Mais Je ne me suis jamais senti comme l’Africain au Japon mais plutôt comme le collègue qui maîtrise la langue et les codes locaux parce que j’ai fait l’effort d’essayer de comprendre la société, de lire sur les visages et dans l’esprit d’autrui. » Ce don inné pour l’observation et l’immersion lui permettra d’ailleurs de maîtriser la langue en seulement six mois.
Un pied sur le continent
La suite ressemble à l’ascension de n’importe quel Nippon dans la hiérarchie académique de l’université de Kyoto Seika. Professeur en 2001, il est élu doyen de la faculté des humanités en 2013 et réélu en 2017. Désormais président, il continue d’assumer deux cours magistraux : l’un sur le rôle social de l’universitaire et l’autre sur le lien entre les communautés, les villes et l’architecture.
L’Afrique sera toujours mon point de chute
Résidant kyotoïte depuis 10 ans, naturalisé japonais en 2002, marié à une Japonaise et père de deux enfants, le nouveau président d’université n’en oublie par pour autant le continent africain. Entrepreneur, il possède un bureau d’étude au Mali et participe au programme Tokten, qui promeut le retour temporaire au Mali de la diaspora scientifique pour pallier le manque d’enseignant du niveau supérieur et faire évoluer les programmes.
Au sein de son université, il souhaite développer des partenariats avec des écoles du continent et rêve de développer un département sur l’espace contemporain de l’Afrique pour ouvrir les Japonais au continent. En lui, le continent reste ancré : « Je suis mon chemin, mais l’Afrique sera toujours mon point de chute », conclut-il.
Source: jeuneafrique