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Le Fresnoy: «Panorama 21», la nouvelle génération des arts numériques

Ça vous tente de tester la drogue de l’amour ? Cela se passe à Tourcoing, dans le nord de la France, au Fresnoy, pôle d’excellence au niveau international. Ici, tout est tiré vers l’avenir par les arts numériques et l’innovation technologique. L’exposition « Panorama 21 – Les Revenants » nous offre une incroyablement riche et ravissante plongée dans l’univers de la nouvelle génération des arts numériques du XXIe siècle, sans oublier l’Afrique.

Son corps est nu, se dédouble et nous dédouble aussi. Ainsi, elle nous fait tourner la tête entre ses images multi-écrans. Avec sa danse-installation, oscillant entre chorégraphie, sculpture et transformation numérique, la danseuse taiwanaise Hai Wen Hsu sème le trouble et la beauté. « Avec la technologie, je peux faire apparaître le dédoublement d’une manière très humaine, de manière plus visible. Ici, au Fresnoy, l’environnement m’inspire beaucoup. »

Cette expérience à la fois intime et publique figure parmi la cinquantaine d’œuvres inédites, réalisées par les jeunes artistes de la promotion 21 du Fresnoy, la « villa Médicis » des arts numériques. Des créateurs venus du monde entier, sélectionnés pour apprendre et produire pendant deux ans sous le toit de la grande halle du Fresnoy, dans des studios, laboratoires, ateliers, salles de cinémas et d’expositions mis à leur disposition. Nulle part ailleurs les disciplines se croisent autant et avec une telle intensité qu’ici : le cinéma, la vidéo, le multimédia ou l’audiovisuel restent fondamental, mais souvent combiné de manière inédite avec l’architecture, la musique, la science, la danse…

« Le Fresnoy est unique, parce qu’on a une culture de référence qui est le cinéma et un tropisme très fort qui est celui des arts numériques et l’innovation technologique, affirme Alain Fleischer, fondateur-directeur du Fresnoy et lui-même artiste très réputé. Donc, ça, c’est important. Et aussi le fait qu’on est un lieu de production. On enseigne en produisant. Et on produit en enseignant. »

Résilience, œuvre de l’artiste colombienne Camila Rodriguez Triana, présentée au « Panorama 21 » du Fresnoy.© Siegfried Forster / RFI

Le Fresnoy, des candidatures du monde entier

Le métissage est inscrit dans le patrimoine génétique de cette institution créée en 1997, à Tourcoing, ville de 96 000 habitants dans le département du Nord, dans les Hauts-de-France. A l’époque, c’était un signe fort de la décentralisation. Aujourd’hui, le Fresnoy est devenu le centre et rayonne dans le monde entier. Pour la dernière promotion, il y avait des candidatures issues de 45 pays.

L’installation de l’artiste colombienne Camila Rodriguez Triana ressemble à un rituel de guérison pour les Amérindiens dépossédés de leur culture et leur identité. Dans Résilience, elle a brodé les noms de ses ancêtres sur des livres écrits par les colons. Le fil d’or devient l’outil d’une guérison symbolique. Le Belge Thomas Depas nous manipule par ses transcodages. Princess of Parallelograms nous confronte avec une jeune femme dont les expressions de visage sont générées par l’intelligence artificielle, future machine générative de réel. Vitamorphose, de l’Iranienne Yosra Mojtahedi, a l’air d’une boule souple et inerte. Mais, attention, l’installation essaie de nous fourvoyer. En réalité, cette sculpture robotisée est activement à la recherche d’autres êtres vivants…

Pour Jonathan Paquet, né à Poitiers, il était « évident » de postuler au Fresnoy pour expérimenter sa vision d’un Matisse utopique du XXIe siècle : « Une des grandes questions de Matisse a été la question de la planéité. Au fur et à mesure de son travail, il va passer de la 3D à la 2D. Et cette question de réalisme, de fenêtres, d’espaces dans l’espace, nous préoccupe jusqu’à aujourd’hui dans la peinture, la photographie, la vidéo… »

Expérimenter la « drogue » de l’amour

Ça vous dirait, une Please Love Party pour tester la drogue de l’amour ? Avec une installation scintillante à trois écrans, des canons à musique techno et des casques suspendus au plafond, Pierre Pauze, artiste français de 29 ans, nous transforme en cobaye pour son projet tellement ambitieux qu’il a même fait peur aux chercheurs sollicités.

« La mémoire de l’eau est véritablement un sujet très tabou dans les communautés scientifiques. J’avais beaucoup de mal à faire accepter ce projet artistique. Le problème était vraiment de travailler sur la mémoire de l’eau. Travailler avec des drogues, cela n’aurait pas posé de problèmes. Beaucoup de scientifiques m’ont insulté dans cette aventure. Et les scientifiques qui ont accepté de travailler avec moi ont dû se défendre jusqu’au CNRS en disant que c’est un projet artistique et qu’il n’y avait pas de but scientifique derrière… »

Selon l’artiste, les biochimistes définissent l’amour comme l’action des deux molécules ocytocine et phényléthylamine. Pierre Pauze a alors tenté une double expérience « interdite » : d’abord il a synthétisé en laboratoire une « drogue » de l’amour, pour ensuite en extraire une quantité homéopathique, injectée dans de l’eau. Car, selon certains chercheurs, l’eau possède la capacité de garder en mémoire des informations moléculaires à travers des ondes. Le point d’orgue de l’expérience est venu quand cette drogue de l’amour sera bue par une vingtaine de cobayes à l’occasion d’une soirée très animée et surtout filmée selon un protocole scientifique très rigoureux. Une aventure séduisante. Entre science et science-fiction, elle nous entraîne vers des contrées aussi poétiques qu’inconnues.

La jeune génération essaie de « créer un Nouveau Monde »

Depuis l’ouverture du Fresnoy, en 1997, beaucoup de choses ont changé, mais pas l’enthousiasme des artistes-étudiants, raconte Pascale Pronnier, depuis toujours la responsable des programmations artistiques : « Au début, il y avait la dimension sociale et politique qui nous arrivait vraiment de plein fouet. Les artistes interrogeaient beaucoup la question de la forme du documentaire. Aujourd’hui, cette question politique est toujours là, mais elle l’est plus sur le plan éthique, comme un courant océanique qui revient, surgit et disparaît. J’ai le sentiment que ces artistes, à travers leurs œuvres, essaient de créer un Nouveau Monde. »

Une mappemonde affichée fièrement dans l’entrée du Fresnoy indique la diffusion pratiquement mondiale des œuvres produites au Fresnoy. Avec une exception notable : l’Afrique. Alain Fleischer s’est juré de rattraper le retard : « C’est vrai, l’Afrique était absente. Cela nous inquiétait. On s’est demandé si c’est pour des raisons économiques ou pour des raisons de mauvaises informations. Donc, on est allé chercher des étudiants en Afrique. On a créé des stages, des workshops, pour que nous repérions des artistes africains. »

Quand des artistes africains entrent au Fresnoy

Grâce au concours d’entrée organisé au Bénin, l’artiste-plasticienne Eliane Aisso a réussi à rejoindre le Fresnoy. Elle présente Ati okuku de imolé (De l’invisible au visible), une interprétation émouvante et sonorisée des autels mobiles en fer forgé de l’ancien royaume de Danhomè, transcendant la technologie et la tradition : « Dans l’installation, nous voyons des objets qui représentent les défunts en Afrique de l’Ouest. Les assens sont utilisées pour représenter l’âme du défunt, au Bénin, au Togo, au Nigéria… Nous avons demandé sept personnes ce qu’ils pensent de la réincarnation, ce qu’ils pensent corriger dans une autre vie. Ils nous ont donné leur notion de la réincarnation et les enregistrements ont été introduits dans les assens. »

Née en 1989, Eliane Aisso a exactement l’âge des Magiciens de la Terre. Et pour Jean-Hubert Martin, commissaire du Panorama 21 et à l’époque co-commissaire de l’exposition devenue légendaire des Magiciens de la Terre, cette dernière n’a pas seulement grandement ouvert les portes aux cultures non occidentales pour l’art contemporain, mais aussi pour les arts numériques : « Oui, parce qu’il y a quand même un phénomène important à observer, avec des artistes d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Asie… Cela peut donner quelque chose de tout à fait neuf, par rapport à notre vieille idée de civilisation occidentale. Eliane Aisso refait des assens d’aujourd’hui, avec un caractère plus universel à la place des représentations des ancêtres. Mais, elle se sert de ce qui est absolument inhérent à son patrimoine culturel. Et ça, c’était le message des Magiciens de la Terre. »

RFI

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