« Wulu » se déroule au Mali. L’histoire de Ladji, un jeune désabusé qui accepte de tomber dans le trafic de drogue pour s’en sortir, est au cœur de ce polar africain truffé d’action et d’ambiances imprégnées de la vie à Bamako.
Le film jongle entre un portrait d’une certaine jeunesse africaine sacrifiée et la faillite de l’Etat provoquée par le trafic de drogue. Lors du Festival panafricain du cinéma Fespaco, le film a été couronné par le prix d’interprétation pour Ibrahim Koma. Ce mercredi 14 juin, il sort dans les salles en France. Entretien avec le réalisateur Daouda Coulibaly.
RFI : Dans la tradition des N’tomo, Wulu, le symbole du chien, est le cinquième et dernier niveau d’un rite d’initiation. Pourquoi ce titre ?
Daouda Coulibaly : Wulu, le niveau du « chien », est le niveau qui permet à l’homme de trouver sa place en société.
Pourquoi avez-vous placé le trafic de drogue et la corruption au centre de votre histoire ?
Le film parle des effets politiques du crime organisé, de l’ampleur que le crime organisé a prise en Afrique à travers le trafic de cocaïne. Et le film évoque cette jeunesse susceptible de s’y livrer. Une partie de cette jeunesse n’a pas eu accès à l’éducation, n’a pas eu les opportunités d’emploi qui leur permettraient de s’en sortir. Donc c’est une jeunesse susceptible d’être tentée par le crime organisé.
Dans le film, pourquoi faites-vous un lien entre le trafic de drogue, l’affaire Air cocaïne, la mutinerie et le coup d’Etat qui avait lieu au Mali en 2012 ?
La mutinerie a d’une certaine manière déclenché le coup d’Etat au Mali. Elle a eu lieu parce que les soldats subalternes se sont rendu compte qu’il y avait un certain nombre de généraux qui s’enrichissaient grâce au trafic de drogue. Et quand on leur a demandé de combattre la rébellion au Nord, ils ont refusé, parce qu’ils considéraient qu’ils n’avaient pas à combattre des gens avec lesquels les généraux collaboraient. Donc on peut considérer que la mutinerie est liée au trafic de cocaïne et que la mutinerie a entraîné un coup d’Etat qui a dégradé la situation.
Donc pour vous, dans le film, le jeune Ladji devient trafiquant à cause d’un manque de perspectives ?
Oui, si le jeune avait eu des opportunités pour travailler, s’il avait pu devenir chauffeur, il aurait été quelqu’un d’heureux. C’est quelqu’un de très intelligent qui aurait pu s’en sortir dans n’importe quel domaine, mais, malheureusement, il manquait d’opportunités.
Pour vous, est-ce une parabole pour la faillite de l’Etat malien ?
Pour moi, c’est une manière de trouver une explication à la crise dans laquelle nous sommes. On a beaucoup parlé de terrorisme – c’est vrai, il y a eu du terrorisme – mais il faut essayer de remonter aux racines du terrorisme. Quels sont les gens qui s’impliquent dans ce domaine et pourquoi ils s’impliquent ? Si on leur avait donné d’autres opportunités, seraient-ils parmi ces groupes de terroristes ou seraient-ils d’honnêtes citoyens ? C’est une des questions que le film pose.
En tant que cinéastes, vous vous réclamez souvent de l’héritage d’Ousmane Sembène. De quelle sorte est votre inspiration ?
Il y a aussi bien d’autres cinéastes comme Souleymane Cissé ou Djibril Diop Mambéty. Ce sont des auteurs qui se sont engagés, qui ont essayé de faire bouger les lignes. J’essaie de suivre modestement leurs traces.
Par Siegfried Forster / rfi.fr