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Le célèbre politologue sénégalais Babacar Justin NDIAYE, dans une analyse très pointue, revient sur les massacres d’Ogossagou : « Nous sommes des Peulhs, des Dogons et collectivement des jouets ensanglantés de la France. »

Le massacre perpétré, le 23 mars dernier, dans le village d’Ogossagou (région de Mopti) a soulevé une houle de colère amplifiée par une émotion sans cesse croissante et prolongée par une indignation difficile à éteindre, notamment en Afrique de l’Ouest. C’est juste. C’est logique. C’est normal. Et, surtout, c’est louable pour les Africains concernés et indignés qui ne doivent, sous aucun prétexte, laisser le monopole de la dénonciation et de la condamnation à l’opinion internationale. Cependant, l’émotion ne doit pas débouter la raison. La colère ne doit pas renforcer la myopie sur la dramatique actualité malienne.

Toute lecture hystérique de la tragédie d’Ogossagou, en particulier, et des évènements du Mali, en général aide et aidera, longtemps encore, les pêcheurs en eaux troubles qui ont suffisamment troublé les eaux, conformément à un agenda truffé de sous-agendas bien cachés. En effet, il fallait être le roi des naïfs, pour croire que la France avait déclenché SERVAL, en janvier 2013, puis ajouté BARKHANE, en août 2014, dans le but philanthropique de « libérer » bénévolement le Mali des griffes de l’intégrisme religieux et armé. Les jeunes soldats aux yeux bleus et aux cheveux blonds ne crapahutent pas et ne meurent pas sous le chaud soleil du Sahara-Sahel, pour les beaux yeux des Bambaras. La contrepartie existe.

La France qui digère et « calédonise » Kidal (la Nouvelle Calédonie du désert est en gestation) voit-elle vraiment d’un mauvais œil, l’abcès de fixation que constitue le brasier intercommunautaire dans ce Macina qui est la passerelle ou le tampon géographique entre le Sud et le Nord du Mali ? Bien au contraire. La meilleure manière de fortifier le Protectorat franco-touareg de Kidal n’est-elle pas de donner indéfiniment du fil à retordre à l’armée régulière et au gouvernement central de Bamako ? Ne tombons pas bêtement dans un piège très destructeur et bien dissimulé !

De 1960 à nos jours, le Centre du Mali n’a jamais brûlé ; en dehors des conflits de routine et de basse intensité entre éleveurs et agriculteurs. Mieux, Mopti est le berceau d’un des Présidents du Mali, en l’occurrence, le Général Amadou Toumani Touré dit ATT. Question : pourquoi ce havre de coexistence durablement paisible entre les sédentaires Dogons, les éleveurs Peulhs et les pêcheurs Bozos, s’est subitement transformé en crématoire pour tous ? Chronologiquement, l’enchainement des faits est saisissable. C’est la naissance du Front de Libération du Macina (un avatar de l’irrédentisme et du djihadisme armés au Mali, créé par le Peulh Amadou Kouffa) qui a mis le feu aux poudres.

Son messianisme porté par les armes et non par une pédagogie persuasive ou pacifique, s’est heurté à l’hostilité tardive mais lourdement armée des Dogons et des autres ethnies qui peuplent les Plateaux du Macina, la Boucle intérieure et le Delta central du Fleuve Niger. Historiquement, Amadou Kouffa porte donc la plus grande part de responsabilité. Lui (Amadou Kouffa) qui, sans légitimité et en dehors de tout référendum, désire islamiser à outrance, par le fer et par le feu, d’autres compatriotes. Evidemment, tous les Peulhs de la région de Mopti ne partagent pas les vues et les méthodes d’Amadou Kouffa qui s’appuie notoirement sur des Katibas arrivées du Nord et cataloguées pro-Iyad Ag Ghaly. Loin s’en faut. Tout comme la majorité des Dogons ne bénissent pas les agissements démentiels de la milice Dan Na Ambassagou ou Amassagou.

Manifestement, l’horrible déflagration était planifiée, avec un décor machiavéliquement planté. L’ethnie transfrontalière et transnationale des Peulhs n’a pas été choisie fortuitement. Ainsi, l’épicentre des massacres se situe au Mali, mais les échos sous-régionaux de la boucherie sont et seront toujours – à cause justement de la trans-territorialité de la communauté peulh – plus déstabilisateurs, en termes de tonalité et d’échelle. Le face-à-face Peulhs-Dogons est donc très clairement recherché.

En effet, beaucoup de Dogons sont superficiellement musulmans et/ou chrétiens. Mais tous les Dogons restent profondément animistes et, par conséquent, réfractaires au prosélytisme forcé et forcené d’Amadou Kouffa. A ce propos, peu de gens savent que les Dogons possèdent une franc-maçonnerie appelée le « Siggi » et une autre dite le « Lébé » plus hermétiques et plus ésotériques que leur lointaine sœur d’Angleterre.  Avec des pratiques plus exigeantes que celles qui sont en vigueur dans le Rite Ecossais. Lire les travaux de l’ethno-anthropologue Marcel Griaule et le livre intitulé « Noces sacrées » de Seydou Badian Kouyaté qui donnent des aperçus sur la cosmogonie dogon et au-delà. Bref, ceux qui allument le Centre du Mali savent bien s’y prendre.

Depuis la fin (sans fin) de la colonisation, la doctrine de la France en Afrique est intangible. De Jacques Foccart à Frank Paris : « La France flatte le Président, ménage l’opposant et aide le maquisard ». Des œufs répartis dans trois paniers. Au Mali, on flatte Ibrahim Boubacar Keita, on ménage Soumaïla Cissé, on aide Alghabass Ag Intalla du MNLA, on épargne Iyad Ag Ghaly du GSIM et on fait semblant de tuer Amadou Kouffa. Quel merdier que le Mali !

PS : Nos voisins Peulhs et autres Toucouleurs de Mauritanie sont tombés dans le piège. Le 28 mars dernier, ils ont manifesté devant l’ambassade du Mali à Nouakchott, en traitant le Président IBK « d’assassin ». Une manifestation autorisée par le gouvernement et encadrée, avec une curieuse bienveillance, par la Police du Général Mohamed Abdelaziz. C’est vraiment surréaliste dans un pays où la plus petite protestation de l’anti-esclavagiste et fervent abolitionniste Biram Dah Ould Abeid est rudement réprimée. Décidément, la colère – même justifiée et légitime – demeure l’ennemie numéro 1 de la lucidité. En effet, les Peulhs-Toucouleurs qui ont manifesté en faveur des victimes d’Ogossagou, ne peuvent pas le faire, sur place, contre le bourreau d’Inal, le Colonel Sid ‘Ahmed Ould Boïlil, le féroce superviseur de l’exécution de 300 éléments Al Pulhar de l’armée mauritanienne, sous les ordres de l’ancien Président Ould Taya.

Les morts d’Ogossagou ont-ils effacé des mémoires, les victimes de Oualata et d’ailleurs, comme l’écrivain Tène Youssouf Guèye et le Lieutenant Ba Abdoul Khoudos ? Rappelons que le Lieutenant Ba et ses complices ont été fusillés pour un coup d’Etat projeté et déjoué. Alors que le capitaine arabo-berbère Saleh Ould Hanena a démarré son putsch, affronté les blindés des unités loyalistes et provoqué la mort du CEMGA de l’époque. Il n’est pas au cimetière. Il a un destin d’ex-député toujours en vie. En Mauritanie, les Al Pulhar insultent IBK et oublient de demander l’extradition et le jugement de Maaouya Ould Taya. Au Sénégal, les Toucouleurs ont assisté impassiblement au jugement de Hissène Habré par les Chambres Extraordinaires Africaines, sans exiger celui de l’Africain Ould Taya qui côtoie Karim Wade dans un exil doré au Qatar. Qui disait que « la raison est hellène et l’émotion est nègre » ? Les théories enflammées des FLAM sont-elles désormais caduques ?

Malijet

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