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L’avenir politique au Mali : La fin de l’intolérable

L’exception Kidal ne pouvait continuer à prospérer. Pas plus que ne pouvait se poursuivre le double jeu des groupes armés.

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Laissons du temps à l’histoire. Elle seule définira la juste portée qu’il faut conférer au déplacement du Premier ministre à Kidal le week-end dernier. Mais le chroniqueur de l’instant qu’est le journaliste peut déjà se risquer à qualifier l’événement de « déterminant » dans le traitement de la question du Nord par le gouvernement.

Depuis des mois, en effet, la situation dans la capitale de la 8ème Région concentre les frustrations de l’écrasante majorité de notre opinion publique, tant le statut réservé à cette ville contredisait la volonté de rétablir l’intégrité territoriale de notre pays. Au début, une petite frange de nos compatriotes qui avait accepté de considérer avec froideur le problème, avait (à contrecœur) accepté que puissent être prises certaines précautions à l’entrée des troupes maliennes afin que ni la tension née des affrontements passés, ni le souvenir toujours douloureux du massacre d’Aguel hok ne se trouvent à l’origine de sanglants accrochages. Elle avait aussi compris que les Français, soucieux de récupérer leurs compatriotes pris en otages par AQMI, ménagent le MNLA qui prétendait alors détenir des informations sûres sur les lieux de détention. Elle avait même admis que les responsables de Serval puissent être bluffés par les assurances données par les mouvements armés qui s’étaient engagés à les guider dans la traque des djihadistes dans l’Adrar des Iforas.

Mais le temps et les faits se sont chargés de désagréger les quelques bonnes raisons de ménager la troïka MNLA – HCUA – MAA. La libération des otages s’est faite sans le concours de celle-ci et les militaires français ont, dans la partie la plus périlleuse de leur progression, bénéficié de la science du terrain des éléments loyalistes touaregs.

HORS DE LA RÉPUBLIQUE. En outre, il s’est bien vite révélé que contrairement à ce qu’affirme une formule journalistique abusivement utilisée, la zone de Kidal ne constitue pas un fief pour le MNLA et pour ses alliés du HCUA. Pour preuve, il est impossible de mettre à leur compte la moindre action militaire dans la neutralisation des groupes djihadistes qu’ils se disaient pourtant déterminés à combattre. Par contre, leur faiblesse militaire les a conduit à accueillir (sans se montrer regardants) tous les éléments terroristes soit disant repentis et venus gonfler les effectifs de leurs combattants.

Mais l’indice le plus édifiant du positionnement ambigu du tandem a été donné par la situation à l’intérieur de la ville de Kidal. Alors que les troupes maliennes littéralement cloîtrées dans le plus inconfortable camp militaire de la ville étaient objectivement réduites à l’impuissance, alors que la Minusma tentait de faire semblant d’être présente et alors que Serval se cantonnait dans la plus prudente réserve, les deux mouvements armés avaient toute latitude pour affirmer leur influence et leur autorité en faisant régner sinon l’ordre, au moins la sécurité  dans la cité qu’ils quadrillaient à leur guise. Mais c’est tout le contraire qui s’est constaté. Nos confrères Ghislaine Dupond et Claude Verlon ont ainsi payé un tragique tribut au désordre qui règne dans la ville-passoire de Kidal. Jusqu’au week-end dernier, la capitale de la 8ème Région était une agglomération sans loi où presque chaque jour produisait son lot d’actes d’intimidation, de mesures arbitraires, d’agressions diverses et parfois d’exécutions sommaires.

Kidal fonctionnait donc hors de la République. Une délégation de partenaires qui s’y était rendue, il y a quelques semaines, est revenue effarée par la partition de fait de la ville imposée par les groupes armés et alarmée par l’impuissance de l’Administration malienne à y faire revenir une réelle amorce de l’autorité de l’Etat. Ceux de nos amis étrangers qui connaissent bien les réalités maliennes et qui ne nourrissent aucun angélisme sur les motivations de certains protagonistes, se demandaient à partir de quels compromis raisonnables pouvaient composer les autorités maliennes et les groupes armés pour trouver un terrain d’entente. Car, comme nous le disions dans une précédente chronique, le statu quo  qui prévalait, profitait largement au MNLA. Laminé militairement par le MUJAO en 2012, affaibli par l’hémorragie d’une partie de ses troupes vers Ançar Din, ne pouvant se reposer sur aucun vrai trésor de guerre (à la différence des djihadistes), financièrement dépendant de ses protecteurs pour le fonctionnement de sa superstructure politico-administrative, le Mouvement ne dispose pas des moyens nécessaires pour être réellement présent sur le mythique territoire de l’Azawad. Mais il dispose des effectifs nécessaires pour se fixer à Kidal et pour y installer une vraie capacité de nuisance.

UNE PHRASÉOLOGIE GUERRIÈRE. La capitale de la 8ème Région était devenue pour les deux groupes armés tout à la fois une capitale historique, une place-forte militaire et un centre de décision politique. C’est pourquoi ils n’hésitaient pas à évoquer le scénario du pire chaque fois que l’Etat malien donnait l’impression de bander ses muscles. La préservation de ce poste de vigie a donc concentré l’essentiel des efforts du tandem au détriment de toute initiative en faveur de la décrispation. Les critiques qui reprochent au gouvernement sa lenteur à lancer les négociations devraient jeter un coup d’œil sur la déclaration finale issue de la réunion de concertation interne du MNLA organisée à Kidal du 29 avril au 2 mai derniers. Ils constateront tout d’abord que le Mouvement a conservé l’instance mise en place au moment de la proclamation d’indépendance de l’Azawad, instance qui pour mieux assurer son assise avait engagé des négociations avec les djihadistes en vue d’un éventuel rapprochement. Le Conseil transitoire de l’Etat de l’Azawad est donc resté en fonctions et sa dénomination montre bien que le MNLA fait peu de cas des décisions de l’ONU et des accords de Ouagadougou. Car ces documents – qu’il évoque pourtant à tout bout de champ – insistent sur la préservation de l’intégrité territoriale du Mali et rendent donc caduque tout référence à un fantomatique « Etat de l’Azawad ».

La même déclaration conserve la phraséologie guerrière utilisée au début du conflit et ne comporte aucune prédisposition à l’ouverture et au compromis. Ces indices qu’il faut savoir interpréter à leur juste signification expliquent pourquoi les groupes armés n’ont jusqu’ici accompli aucun progrès dans l’élaboration de ce qui sera pourtant le document le plus important dans la négociation avec le Gouvernement. C’est-à-dire une plateforme commune de positions et de propositions. Mais il n’y a pas à s’étonner que le tandem MNLA et HCUA stigmatise si fort la « mauvaise foi du gouvernement malien » alors qu’il se trouve lui-même dans une situation de totale impréparation. Pourquoi s’armerait-il pour les négociations lorsqu’il trouve objectivement son bénéfice dans l’enlisement, voire le pourrissement ? Jusqu’à un passé tout récent les groupes armés procédaient à un tri discriminatoire des actions de l’Etat en faveur de Kidal. Ils acceptaient les initiatives de rénovation de certaines infrastructures et de création d’activités génératrices de revenus. En revanche, ils bloquaient ce qui ne les agréait pas (comme la reprise des cours dans les écoles).

Le déroulement des événements à Kidal apporte deux confirmations et entraîne une évolution. Il apporte tout d’abord la confirmation de l’autonomie de comportement de la branche militaire du MNLA par rapport à la branche politique, autonomie dictée avant tout par l’absence de relations historiques entre les principaux responsables des deux ailes et surtout par l’absence de contribution des politiques au fonctionnement de l’entité armée. Le scénario initial de la perturbation de la visite du Premier ministre était certainement celui mis en œuvre à la veille de l’arrivée de la délégation gouvernementale, c’est-à-dire la mobilisation de protestataires composés majoritairement de femmes et de jeunes pour la neutralisation  desquels la MINUSMA a été jusqu’ici embarrassée à trouver une solution. Mais la branche militaire a dû d’emblée  développer une appréciation plus radicale des événements en considérant l’arrivée du chef du gouvernement comme une intrusion dans son périmètre réservé et préparer en conséquence une riposte beaucoup plus agressive. Ce qui explique les attaques à l’arme lourde contrée par les forces maliennes et le choix de l’escalade dans les actes de violence.

Deuxième constat et deuxième confirmation, celle du caractère composite des troupes du MNLA et de leur forte infiltration par des éléments extrémistes. Pour regarnir ses rangs après la déroute subie face au MUJAO, le Mouvement n’avait pas hésité à recycler un nombre indéterminé de djihadistes. La présence des terroristes et leur influence sur le déroulement des événements ont été attestées par des actions symptomatiques. En premier lieu, la tentative de faire tomber un lieu symbolique du retour de l’Etat – le gouvernorat – et cela au moment où le chef du gouvernement y tenait une réunion de concertation avec l’administration régionale. Ensuite, la décision d’assassiner froidement les représentants de l’Etat réfugiés dans le même gouvernorat. Enfin, l’initiative de prendre des otages pour se préserver d’un assaut d’envergure. La triple signature terroriste illustre la dérive opportuniste dans laquelle s’est engagé le MNLA depuis plusieurs mois et souligne la difficulté supplémentaire que comportera une reprise du dialogue avec le Mouvement.

ABANDONNER LE « NI, NI ». L’évolution est à constater du côté de la MINUSMA. La brutale montée de la tension à Kidal oblige la Mission à sortir de l’ambiguïté dans laquelle elle s’est complu jusqu’ici. On le sait, les forces onusiennes ont la charge d’assurer la sécurité dans la ville, tâche dont ont été dépossédés les éléments maliens. Jusqu’à ce week-end, elles s’étaient contenté de patrouilles sans grande signification et sans grand effet. Elles se sont bien gardé de faire publiquement état de la présence grandissante de supplétifs djihadistes dans la ville et sont restées cantonnées dans une incompréhensible passivité alors que se multipliaient les incidents. La réticence de la Mission à assumer ouvertement aussi bien son obligation de vigilance que son devoir d’intervention a certainement influé sur le cours des événements le week-end dernier. Un renseignement plus pointu et une mission de sauvegarde plus fermement assumée auraient certainement garanti une vraie protection du gouvernorat et fait obstacle aux projets des terroristes.

Aujourd’hui, la MINUSMA ne peut plus escompter passer entre les gouttes. Elle a donc été obligée d’abandonner son attitude « ni, ni (ni implication, ni prévention) » pour condamner fermement l’assassinat des administrateurs maliens. Renforcer et surtout dynamiser son dispositif à Kidal serait sans doute pour elle la meilleure manière d’évoluer à l’heure où se discutent la prolongation et la nature de son mandat.

Les terribles événements de Kidal vont-ils constituer l’électrochoc qui incitera un certain nombre de partenaires à porter une vraie attention à des vérités qu’ils avaient du mal à admettre ? Espérons-le. Car il devrait être évident pour tous que le MNLA paye actuellement le tribut de son double jeu. Le Mouvement ne s’est jamais sincèrement inquiété de la lenteur constatée dans l’ouverture des négociations avec le gouvernement. Il consacrait le meilleur de son énergie à se faire donner un rôle central dans la résolution des problèmes du Nord du Mali. Un rôle que ne pouvaient justifier ni la modeste qualité de ses leaders, ni la faiblesse de son organisation interne. Un rôle irréaliste au vu de la quasi absence de son implantation populaire, comme en a témoigné le résultat des législatives à Kidal. Un rôle illégitime en raison du rapprochement opéré en direction des djihadistes au début de l’occupation et après le repli sur Kidal.

Existe-t-il désormais une possibilité que le Mouvement et ses alliés du HCUA reconsidèrent leurs prétentions et acceptent une négociation sur des bases réalistes ? Nous ne saurions le dire, tant jusqu’à présent l’un et l’autre groupe se sont montrés plus attachés à l’exploitation de l’instant qu’à la gestion de l’avenir. Or depuis le week-end dernier, un distinguo a été clairement réaffirmé. Le respect de la diversité de notre pays commande d’accepter la singularité de Kidal comme sont admises celles de Gao, Tombouctou, Mopti et d’autres villes maliennes. Par contre, il est impossible d’imaginer une exception kidaloise, parce que celle-ci représenterait le déni de tout ce qui fonde l’unité de notre pays.

G. DRABO

SOURCE:L’Essor

 

 

 

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