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L’autre visage du Sahara

“La loi du désert stipule que rester plus de quarante jours à la même place, c’est tomber en esclavage.” Ces mots sont du poète touareg Ibrahim Al Koni, aperçu dans les rayons d’une librairie parisienne. Mais ils font mouche dans l’âme d’Intagrist El Ansari. Installé en France depuis une décennie pour exercer son travail de journaliste, le Malien affirme avoir perdu sa liberté en tombant dans la sédentarisation. S’il continue à marcher – sa passion – des heures durant à travers les quartiers animés de la capitale, “Inta” se prend à rêver d’ailleurs. À ses yeux, les valeurs de générosité et d’humilité qui régissaient jadis les rapports humains ont laissé place en Occident à l’arrogance et à l’affirmation de soi.

sahel desert femme transporte eau

Décidé à renouer avec la solitude et la nostalgie de ses origines, l’enfant de la région de Tombouctou cède à l'”appel du désert”. Nous sommes en août 2009. “J’entends l’écho qui interpelle du fin fond de l’espace désertique. L’incantation est là, subite ! Refus impossible”, écrit-il dans Écho saharien. Quelques jours plus tard, le voilà sur la route de l’Afrique. Un aller simple Paris-Tombouctou et un périple à travers le grand sud algérien et le Nord-Mali, régions aujourd’hui en proie au terrorisme islamique.

Deux mille ans d’histoire

Intagrist s’abandonne à l’immensité des paysages. “À l’entrée, le sable d’une blancheur éclatante laisse s’enfoncer les pieds dans des profondeurs sans fin. Le décor est prenant et le tableau ahurissant”, raconte-t-il. Un long périple où le temps s’est arrêté. “Où les murs respirent les légendes, où les rues racontent des odyssées.” Chaque cité parcourue révèle son lot de secrets sur l’histoire du peuple touareg.

L’histoire de ce peuple berbère nomade a plus de deux mille ans. “Les Touaregs proviennent du royaume de Saba, de Himyar. Ce sont leurs ancêtres qui ont fondé le plus puissant royaume de son temps, le royaume Almoravide”, qui englobe au XIe siècle le sud de l’Espagne, le Maroc et une partie de l’Algérie.

Rare hospitalité

Les Touaregs sont aujourd’hui près de 1,5 million, répartis sur cinq pays africains : de la Libye jusqu’au Mali, en passant par le Niger, le Burkina Faso et l’Algérie. Vêtus de leur chèche bleu – pour se protéger du sable, mais aussi des mauvais esprits -, ils parcourent les dunes, à dos de dromadaire, pour transporter sel, sucre et céréales à travers toute la région. À en croire l’auteur, il s’agit sans conteste du moyen de transport le plus fiable du désert. “Le chameau peut se passer d’eau plusieurs jours durant ! Combien de kilomètres un véhicule peut-il se passer de gasoil ?” demande-t-il.

En dépit de la rudesse du quotidien, aucun d’entre eux ne songe à abandonner cette vie, demandant au contraire à l’auteur : “Comment font-ils – les Français – pour vivre aussi nombreux dans un espace aussi restreint ?” Au fil des pages et des kilomètres parcourus, le journaliste nous familiarise avec un peuple d’une rare hospitalité. À travers son récit fluide et imagé, il nous invite à leur table pour palabrer autour d’un délicat thé vert à la menthe, nous introduit dans une cérémonie de mariage ou nous installe à l’arrière d’un pick-up, entassé en compagnie d’une trentaine de passagers.

Le “joyau” Tombouctou

Destination : les trésors de Kidal et de Gao, ou le massif de l’Adrar des Ifoghas, régions plus connues en France pour avoir été le théâtre de l’opération française Serval. Mais le joyau de l’épopée se nomme Tombouctou, “ville aux 333 saints”, carrefour commercial et culturel situé à la frontière entre Sahara et Sahel. “Selon la tradition touarègue, Buctou était une dame à laquelle les nomades confiaient leurs bagages pendant leurs voyages, ou durant les saisons de transhumance”, explique Inta.

Fondée au XIe siècle par les Touaregs pour développer le commerce caravanier, la “ville du désert” prend son essor au XIVe, étape commerciale entre le nord et le sud de l’Afrique. On y retrouve toujours ces barres de sel géantes d’un mètre de long, arrivées à dos de chameau d’une saline à 900 kilomètres au nord de la ville. Mais, bien au-delà des marchandises, la ville est devenue une capitale culturelle régionale. Elle abritait au XVe siècle l’une des universités les plus réputées du monde musulman.

Fléau djihadiste

Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco pour ses richesses culturelles, Tombouctou possède nombre de mosquées, de mausolées et quelque 100 000 manuscrits (dont certains datent de la période préislamique) témoignant de ce glorieux passé. “Une partie de l’histoire du Sahara, de l’Afrique et même du monde se trouve ici”, se félicite Intagrist El Ansari. Une histoire qui a été en partie détruite par les djihadistes d’al-Qaida au Maghreb islamique et d’Ansar Dine, lorsqu’ils se sont emparés de la cité en avril 2012, devant une armée malienne déliquescente.

Or, s’ils en ont été chassés par l’armée française en janvier 2013, toute la zone reste aujourd’hui “formellement déconseillée” aux touristes par le Quai d’Orsay. Ainsi, le récit d’Intagrist El Ansari a le mérite de nous offrir une plongée inédite dans la réalité du Sahara, ses trésors naturels et culturels, ainsi que l’irrésistible chaleur humaine du peuple touareg. “Le Sahara, impassible, majestueux et indépassable, restera éternel”, écrit-il. “Il renaîtra après tout vent, après n’importe quelle aventure hasardeuse, impie ou insolente des hommes à la mémoire courte.”

 

Par Armin Arefi – Le Point Afrique – Publié le 02/12/2014 à 11:59

Source: Le point

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