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L’article 85 de la Constitution : le Janus juridique de Manassa Danioko

La vérité est qu’aucune disposition de la Constitution ne permet à la Cour de faire appel aux anciens Chefs d’État et Présidents de la république. L’interprétation de l’article 85 de la Constitution sert à tous les prétextes politiques, ce qui fait que les fondements de la constitution sont malmenés. Cette interprétation abusive révèle le cancer de notre démocratie dans laquelle les idéologues se sont constamment servis du droit à défaut d’être à son service par le contrôle de constitutionnalité. Que la Cour ne soit pas « une institution figée », nul ne le conteste. Mais, elle ne peut participer à la pacification des rapports socio-politiques qu’en disant le droit et non en descendant dans l’arène politique…

Cette semaine le Président de la Cour Constitutionnelle nous a gratifiés d’un de ses meilleurs numéros dans le constitutionnalisme partisan. La Cour a écrit aux anciens Présidents et Chefs d’Etat, depuis l’instauration de la démocratie leur demandant de s’impliquer pour « préserver les fondements de la république » dont « les piliers… sont fortement fragilisé par la crise multidimensionnelle qui prévaut dans le pays ». Elle invoque à l’appui de cette demande, l’article 85 de la Constitution pour juridiquement fonder la démarche.
La fréquente invocation de cet article a fini par faire de son contenu aux yeux du public profane en matière constitutionnelle, une auberge espagnole, ce lieu, où on ne trouve que ce qu’on y a amené. Pire l’article 85 est devenu un Janus juridique dont la face adorée par la Cour constitutionnelle est celle peinte à la couleur du pouvoir IBK. Il y a longtemps qu’elle fait tout dire à notre Constitution à travers cet article. Les fondements de la constitution sont malmenés, dans la mesure où son interprétation sert à tous les prétextes politiques, quand bien même notre Constitution est très lisible et ne contient aucun germe partisan pour son application. Le comportement actuel de Manassa Danioko n’est ni dans le contrôle des pouvoirs, ni dans une séparation des pouvoirs.
Et pourtant l’article 86 de la Constitution explique et donne un contenu précis à l’article 85 en ce qui concerne la fonction de « régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. »
En effet l’article 86 dispose que « la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur : la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation ; les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale, du Haut Conseil des collectivités et du Conseil économique, social et culturel avant leur mise en application quant à leur conformité à la Constitution ; les conflits d’attribution entre les institutions de l’État … »
On le voit, en s’auto-octroyant des pouvoirs qu’elle ne tient d’aucune disposition constitutionnelle, la Cour cesse d’être une référence d’autorité morale et juridique.
Depuis son arrêt sur le projet avorté de révision constitutionnelle dans lequel elle avait violé l’article 118 de la constitution en qualifiant l’insécurité de résiduelle ; ses avis et arrêts sur l’élection présidentielle où elle avait violé la loi sur les procurations et proclamé des résultats frauduleux, elle a perdu toute crédibilité dans le système juridictionnel du pays.
Dans sa nouvelle démarche, l’institution s’enfonce davantage dans le discrédit, elle révèle le cancer d’une démocratie dans laquelle les idéologues se sont constamment servis du droit à défaut d’être à son service par le contrôle de constitutionnalité.
Que la Cour ne soit pas « une institution figée », nul ne le conteste. Mais, elle ne peut participer à la pacification des rapports socio-politiques qu’en disant le droit. Pour ce faire elle doit s’appuyer sur les dispositions constitutionnelles sans pour autant leur faire dire un contresens. En vérité aucune disposition de la Constitution ne permet à la Cour de faire appel aux anciens Chef d’Etats et Présidents de la république.
La Cour aurait dû, plutôt que d’écrire aux anciens Présidents devant l’échec patent de IBK, adresser sa lettre au gouvernement et au Chef de l’Etat leur demandant de respecter l’inclusivité du dialogue national telle que demandée par une large partie de l’opinion nationale ; de mettre fin au détournement des ressources de l’armée en traduisant devant la justice des agents impliqués ; de garantir une justice alerte et indépendante pour lutter contre l’impunité. Elle aurait pu leur faire dans le même sens l’injonction d’associer les anciens Chefs d’Etat « aux initiatives en cours pour la préservation de la cohésion et de l’unité nationale » conformément à l’article 29 de la Constitution qui dispose que le Chef de l’Etat le chef de l’Etat « incarne l’unité nationale. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire… Il veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics …»
Ce faisant, elle serait au moins dans le contrôle du comportement des institutions et leurs membres même à titre préventif. Elle peut dans ce rôle de régulation, discipliner le Chef de l’Etat ou le Premier ministre pour prévenir les conflits en s’appuyant sur les dispositions de la constitution leur imposant des devoirs. Ce serait limite, mais innovant et constructif.
On pourrait admettre la prévention d’éventuelles situations de blocage réel où le fonctionnement d’une institution de l’Etat, au même titre que les conflits d’attributions non tranchés entre institutions constitutionnelles, peuvent créer une atmosphère et un climat de tension et de paralysie permettant à des arbitres hors du champ politique et institutionnel de s’autoproclamer pour rétablir l’ordre. Il est plus vraisemblable que le comportement actuel du Gouvernement et du Chef de l’Etat peut créer dans le pays une telle situation. Aussi, sanctionner certains comportements du Chef de l’Etat en lui donnant des injonctions conformément aux exigences constitutionnelles de sa fonction peut relever de l’article 85, mais documenté par les dispositions y afférentes dans la constitution.
Cette régulation/discipline par déclaration d’inconstitutionnalité du comportement d’un acteur public considéré contraire aux prescriptions de la Constitution peut s’imposer en vue d’un nouveau comportement conforme aux prescriptions constitutionnelles. C’est vrai qu’une telle démarche demande du courage et du caractère.
Le Pouvoir IBK a abimé le Mali, la république et la nation. « La Cour constitutionnelle est la honte de notre démocratie » avec Manassa Danioko à sa présidence.

Souleymane Tiéfolo Koné, ancien ambassadeur en Mauritanie

Source: Malijet

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