L’île italienne de Lampedusa a été à nouveau prise d’assaut la semaine dernière, par des dizaines de canots chargés de jeunes gens en provenance de la Tunisie, distante de quelque 150 kilomètres. Les premières estimations ont fait état de 7000 personnes débarquées en deux jours, profitant d’une météo propice; un chiffre qui a encore grossi au fil des heures.
D’après les infos recueillies sur place, il s’agirait avant tout de ressortissant·es originaires de Guinée, de Côte d’Ivoire, mais aussi des Tunisien·nes et des Egyptien·nes fuyant une situation économique désastreuse, ainsi que des Burkinabés et des Malien·nes. Depuis le début de l’année, ce sont quelque 130 000 personnes qui ont débarqué sur l’île de Lampedusa, en ligne de front pour accueillir un flot continu d’hommes, de femmes, d’enfants. Lesquel·les, malgré toutes les tentatives de l’Union européenne pour les bloquer en amont, continuent d’embarquer à bord de rafiots pour gagner l’Europe.
Cette arrivée spectaculaire de plusieurs milliers de personnes a donné lieu à un intense ballet diplomatique au sein de l’Union européenne, l’Italie appelant à l’aide; l’Allemagne annonçant, dans un premier temps, refuser d’accueillir de nouveaux arrivants; la France, par la voix de son président, insistant sur l’importance de trouver une solution européenne. Tandis que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, débarquait à Lampedusa aux côtés de la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni. Face aux réactions tous azimuts de responsables politiques européens, le silence radio des institutions continentales, régionales et des présidents africains est d’autant plus assourdissant.
Comment comprendre en effet que ni l’Union africaine, ni aucun chef d’Etat du continent ne fasse entendre sa voix, de quelque manière que ce soit, alors que des milliers de jeunes issus du continent ont, une fois de plus, défié la mort pour fuir leur pays? Comme si ces drames répétition ne les concernaient pas et relevaient uniquement de la responsabilité de l’Union européenne? Car ces jeunes gens ne fuient pas tous des pays en guerre, loin de là; mais plutôt des contextes où ils pensent n’avoir aucune chance de mener une vie digne d’être vécue, de sortir d’une précarité sans issue.
Lorsqu’une bonne partie de sa propre jeunesse ne songe qu’à quitter le pays pour un ailleurs meilleur, on pourrait imaginer que des campagnes nationales encourageant les jeunes à rester chez eux soient organisées par les pouvoirs publics avec, à la clé, des propositions concrètes, des programmes pour les aider à démarrer dans la vie. Las. Les drames à répétition qui font la une des médias en Europe et suscitent émoi et compassion d’une opinion publique qui se sent impuissante, ne font guère les gros titres des médias du continent. Et ne figurent pas davantage parmi les priorités à l’agenda de l’Union africaine ou d’institutions régionales. Seules quelques voix d’organisations de la société civile se font entendre, qui déplorent «une indifférence et un silence coupables» de la part de «leaders africains qui ne savent que faire de cette jeunesse».
Des ONG africaines et internationales critiquent également les montants faramineux accordés – en vain – par l’Union européenne à la Libye et à la Tunisie pour «bloquer» les migrants potentiels et neutraliser les passeurs qui prospèrent dans ce juteux business. Deux pays qui mènent la vie dure aux ressortissants d’Afrique subsaharienne qui séjournent chez eux avant d’embarquer pour Lampedusa. La Commission européenne planche également sur une aide au Sénégal afin de prévenir les départs et traversées vers les îles Canaries espagnoles, en mettant à disposition drones et navires à déployer au large de ses côtes. Via l’agence européenne Frontex qui serait ainsi déployée hors de l’Europe. Avec, à la clé, craignent les organisations de la société civile, de nouvelles violations des droits humains.
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