Atlantico : Suite au décès de 4 soldats des forces spéciales américaines au Niger, au début de ce mois d’octobre, le Washington Post indique que la stratégie poursuivie par les Etats Unis, sur place, pourrait conduire à empirer la situation sur place. Cette mise en garde est elle justifiée ?
Emmanuel Dupuy : Il n’y a pas eu besoin de l’attaque visant les 12 membres des forces spéciales américaines et les 30 membres des Forces de défense et de sécurité (FDS) nigériens, le 4 octobre dernier, à Tongo Tongo, pour prendre conscience de l’évolution dramatique de la situation sécuritaire à la frontière entre le Mali et le Niger. Il n’aura ainsi pas fallu attendre deux semaines pour ce qui semble vraisemblablement être le même groupe terroriste n’attaque la gendarmerie de Ayorou, tuant 13 gendarmes et emportant plusieurs véhicules.
Depuis, les actions conjointes des militaires français engagés depuis aoûut 2014 dans l’opération Barkhane et leurs homologues des FDS auront permis d’intercepter le commando à Inates, à la frontière malienne, témoignant du caractère transfrontalier et particulièrement évolutif de la menace.
L’article de Max Bearak que vous évoquez, mentionnait surtout que la présence américaine au Niger était solidement ancrée dans le pays depuis l’installation des Américains, dès 2013, dans leur cinq bases dont la base de drones d’Agadez et celle sur l’aéroport de Niamey. En dévoilant la présence de 800 soldats américains – la plupart issus des forces spéciales – Washington est ainsi obligée d’en justifier l’usage, la légitimité et l’efficacité. Il en est également résulté le début d’un débat à Washington quant à la modification des règles d’engagement sur le terrain. A l’aune des zones d’ombres liées aux conditions dans lesquelles les quatre soldats américains ont été tués, l’on s’oriente, en effet, vers une plus grande souplesse quant à l’usage de la force.
La prise en compte par l’Etat-major américain du théâtre d’opérations du Niger et du Sahel va ainsi changer de nature et risque d’être désormais considéré comme une « zone active d’hostilités » (area of active hostilities) au même titre que le Yemen, la Syrie, l’Afghanistan ou la Somalie – où est, du reste, tombé le premier soldat américain décédé au combat en Afrique, en mai 1993. Il faut aussi avoir à l’esprit que la présence américaine sur le continent est nettement plus large que les 800 soldats fréquemment évoqué.
Du reste, l’opération – « Juniper Shield », dont le but est de « neutraliser » les chefs des groupes armées terroristes liés à AQMI ou plus récemment à DAESH – sous laquelle agissait l’équipe des 12 forces spéciales américaines pris au piège de l’embuscade mortelle ayant couté la vie à quatre des leurs – est désormais engagée sur 35 pays africains. Ce sont ainsi plus de 6000 militaires qui opèrent sur le continent africain, parmi lesquels 1300 membres des forces spéciales (dont le 3ème groupe des forces spéciales dont étaient issus les quatre militaires tombés au Niger) consistant le « noyau opérationnel » traditionnel du Commandement des forces spéciales (SOCOM / SOCAFRICA).
Plus précisément, le dispositif « Juniper Micron » (spécifiquement dédié à la coopération entre AFRICOM et Barkhane) aura prouvé que l’appui américain en matière de renseignement au profit de l’opération Barkhane, pourtant revendiqué par James Mattis auprès de son homologue française, Florence Parly (venue lui rendre visite, la semaine dernière, au Pentagone) était déjà largement sorti de sa dimension et de ses objectifs initiaux.
En premier lieu, en terme de dimensionnement. Si l’on y ajoute les nombreux « contractors » qui accompagnent les 6000 Américains engagés par l’United States Africa Command (AFRICOM) sur le continent africain, ce sont près de 20 000 personnels qui, par un moyen ou un autre, sont sous contrat américain, par le biais, notamment du nouveau commandement américain AFRICOM, crée à Stuttgart, en Allemagne, en 2008.
L’équipe américaine qui a été victime de la tragique embuscade opérait plus q’une simple mission de recueil de renseignement, justifiant que la nature des opérations engagées par les Etats-Unis avaient déjà changé depuis plusieurs semaines. Le Secrétaire d’Etat à la Défense, James Mattis a beau dire que les Etats-Unis ne font que des « opérations d’entrainement, d’accompagnement et d’assistance », force est de constater que la nature de la menace évoluant plus rapidement qu’envisagé par les Etats-Unis. Ainsi, ces derniers sont bien obligés de se mettre au diapason des modalités opératoires engagées par l’opération Barkhane et les forces armées des pays membres du G5-Sahel.
Il s’agissait, en effet, dans ce cas précis de traquer et vraisemblablement mettre « hors d’état de nuire » Abou Walid Al-Sahraoui, ancien du Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) devenu Al Mourabitoune, qui avait prêté allégeance à Daesh en octobre 2016. Ce dernier avait multiplié les opérations dans la région, à travers les multiples attaques menées pour le compte de son groupe crée en mai 2015 – Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) – et qui opérait, sans doute grâce à quelques complicités locales, dans cette localité de Tongo Tongo, peuplée de 3000 personnes, située à 180 km au Nord de la capitale et où se sont déroulés 46 attaques depuis l’année dernière.
Le mérite de l’article du journaliste du Washington Post réside, en réalité, dans sa capacité à poser les bonnes questions et d’interroger la pertinence du mode opératoire et des missions effectuées par les Etats-Unis dans le pays et plus singulièrement dans la région de Tillabery, où les quatre berets verts ont trouvé la mort, face à ce qui semble être un commando d’une cinquantaine de terroristes particulièrement bien entrainé et opérant avec facilité voire connivence dans la région.
Le ciblage des émirs des groupes armés terroristes, désormais laissé à l’appréciation des unités patrouillant sur le terrain – et non plus dépendant d’une décision venant de la chaîne de commandement remontant directement au Commandement des forces spéciales à Sant’Petersburg, en Floride, dans la banlieue de Tampa, occasionnera inexorablement, à l’avenir, des pertes civiles (CivCas) qui pourrait également contribuer à fragiliser la situation, que l’expérience américaine en Irak et en Afghanistan corrobore. La tension quant à la présence des soldats étrangers dans la bande sahélo-saharienne, à l’instar des manifestations d’hostilité ou de lassitude au niveau des populations locales se multiplient contre la Minusma ou Barkhane au Mali. Cette réalité ne peut que confirmer l’urgente nécessité d’une plus forte coordination entre forces militaires étrangères entre-elles et une plus active coopération avec les armées africaines qu’elles équipent, entrainent et avec lesquelles elles patrouillent.
Il en va de la légitimité des opérations de stabilisation, surtout quand elles ont vocation à durer…
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2-Selon le sénateur Lindsey O.Graham “Vous allez voir plus d’actions en Afrique, pas moins; vous allez voir plus d’agression de la part des États-Unis envers nos ennemis, pas moins” en indiquant des informations provenant du secrétaire d’Etat à la défense, Jim Mattis, sur une éventuelle expansion de la capacité “meurtrière” de l’armée de l’armée américaine à utiliser la force meurtrière au Niger. Faut il effectivement s’attendre à une intensification des “escarmouches” sur le terrain ? Pour quelles raisons ? Existe t il des risques d’escalade ?
Certes, la pression parlementaire se fait plus forte quant à l’action anti-terroriste engagée par les Etats-Unis au Sahel, alors que le Président de la Commission de la Défense du Sénat, John McCain exige toujours des réponses claires quant à certaines zones d’ombres liées à l’attaque du 4 octobre dernier. Il est néanmoins encore beaucoup trop tôt pour assumer un changement radical dans la stratégie américaine au Sahel.
Source: atlantico