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La renaissance du Mali : Combattre la pauvreté florissante

Cet extrait est tiré du livre “Marchands d’angoisse : Le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être” de Mohamed Amara disponible sur FNAC et Amazon

Il est intéressant de porter l’attention sur un des phénomènes majeurs des sociétés africaines et plus particulièrement du Mali, la pauvreté. L’idée de traiter de ce phénomène m’est venue suite à un échange avec un collègue lors d’une conférence que j’animais sur la géopolitique africaine. Celui-ci m’expliqua en effet qu’il n’y a pas de pauvreté en Afrique, car le continent est riche : uranium du Niger, pétrole du Nigeria, diamant de la République démocratique du Congo, or du Mali, cacao du Ghana, etc. Ce à quoi je répondais : alors pourquoi les africains ne peuvent pas se soigner correctement ? Pourquoi malgré ces richesses, l’Afrique ne peut pas assurer convenablement l’éducation de ses enfants ? Pourquoi, ceux-ci émigrent-ils en Amérique, en Europe, en Asie ?

Cet échange m’a donc conduit à m’interroger sur la façon de définir la pauvreté.

Le concept de pauvreté est extrêmement vaste et recouvre toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Il est inutile de prétendre donner une signification consensuelle et exhaustive du concept de pauvreté, et ce n’est d’ailleurs pas le propos de cet article. En revanche, je vais en faire un tour d’horizon.

La pauvreté est tout à la fois un manque d’argent (définition du dictionnaire) et un manque de moyens pour atteindre ses fins. Mais il est surtout important de retenir l’idée que « La pauvreté, comme réalité persistante, est tributaire des contextes socio-historiques qui, compte tenu des situations, l’engendrent, la réduisent ou l’entretiennent ». Ainsi la pauvreté s’explique et se comprend selon les contextes et les situations.

Selon Maryse Bresson, « En sociologie (tout comme, implicitement, dans le langage courant), la pauvreté est d’abord un paradigme, une manière particulière d’aborder les problèmes des populations, qui postule l’idée de privation, de manque, notamment matériel ».

Dans un contexte malien, nous pouvons transposer cette question de la pauvreté de la façon suivante : un habitant pauvre de Gounambougou dans la région de Tombouctou au sens d’une personne incapable de subvenir à ses besoins essentiels de façon correcte, n’est pas le même pauvre que celui de Bamako (la capitale), qui ne peut pas s’approvisionner pour tel ou tel aliment (poisson, viande, céréales…). La gestion d’un faible revenu ne dépend pas seulement du manque d’argent. Elle dépend aussi du contexte et de la situation de la personne. La pauvreté au Mali revêt des formes économiques très diverses : emploi mal rémunéré, activité informelle, problème de redistribution des richesses…Mais elle est variable aussi suivant le milieu social de la personne, son lieu de vie (zone rurale ou urbaine, quartier favorisé ou défavorisé) et ses moyens d’existence (mendicité).

Le paradigme de la pauvreté, aujourd’hui au Mali, c’est donc une famille malienne sans revenu permanent, qui n’a pas la possibilité de scolariser correctement ses enfants et de se soigner correctement, qui vit dans une zone tributaire de conflits armés, aux prises avec des tensions intercommunautaires et sans appui familial (parent aisé, parent émigré).

Selon les données de l’Institut national de la statistique du Mali[4], la proportion de la population malienne, touchée par la pauvreté est de 47,2 % en 2015. Les études de l’Institut national de la statistique du Mali précisent aussi que la pauvreté frappe plus en milieu rural qu’en milieu urbain à cause du difficile accès à l’alimentation.

Au-delà des données de l’Institut national de la statistique du Mali, la façon dont A. Sen envisage la pauvreté me semble aussi pertinente pour comprendre les situations de pauvreté au Mali. Selon A. Sen, « […] la pauvreté doit être perçue comme un déficit de capabilités de base permettant d’atteindre certains niveaux minimalement acceptables ». La capabilité est le choix des fonctionnement à la fois élémentaires (se nourrir) et complexes (être heureux) ». Les fonctionnements constituent l’être d’une personne ; c’est-à-dire ce qu’elle est et ce qu’elle fait.

Par exemple, deux maliens de la même région avec le même revenu monétaire n’auront pas les mêmes capabilités de fonctionnement. Dans cette vision de la pauvreté, « L’approche est donc multidimensionnelle dans le sens où la seule focalisation sur le revenu est abandonnée au profit d’une vision plus large du bien-être qui fait entrer en ligne de compte une multitude de composantes ».

Plutôt que d’être perçue sur le seul critère du manque de revenu, il y a donc un mécanisme de pauvreté qui est envisagée comme un déficit de capabilités de fonctionner.

Dans cette perspective, l’être humain serait capable de libre choix en fonction de ses possibilités physiques et mentales, et de celles liées à son environnement. Ces choix sont faits en rapport avec le bien-être de la personne. Les capabilités sont la possibilité d’exercer cette liberté de choix. Dans un contexte (africain, américain, asiatique ou européen) où les capabilités ne peuvent pas s’exercer, pour différentes raisons, il y a pauvreté même si la puissance étatique détient des ressources minières, économiques ou financières importantes.

L’approche multidimensionnelle de Sen, versée dans les situations maliennes de pauvreté, permet de comprendre que les pauvres ne constituent pas un groupe homogène. Au contraire, les pauvres sont hétérogènes, et leurs situations s’expliquent par plusieurs variables.

Parmi ces variables, il y a la conséquence de cycles économiques, l’impact négatif des politiques gouvernementales creusant davantage les inégalités, la soumission de l’État à des influences étrangères contradictoires (coopérations sous-régionales, internationales, etc.).

Ce qui m’amène à dire que l’État malien, comme la plupart des États africains, est dans l’incapacité d’apporter assistance aux personnes pauvres, c’est-à-dire celles qui vivent dans l’indigence, la privation de tout. Et s’il lui arrive de s’occuper des pauvres, c’est par simple convenance, pour se faire bonne conscience, ou encore pour répondre à des impératifs religieux. Car il n’y a pas de réelle politique de lutte contre la pauvreté. C’est une des explications de la montée du sentiment de pauvreté.

Dans ce contexte malien, parler des pauvres, c’est reconnaître les situations de privation, le manque de liberté. Parler des pauvres, c’est donc identifier les jeux d’acteurs, les stratégies, etc., dans lesquels les populations sont prises, et qui intiment consciemment ou inconsciemment aux chefs d’État africains de fermer les yeux sur les vrais problèmes de leurs concitoyens. Parler de pauvres, c’est parler de l’indignité dans laquelle on plonge ces personnes. Mais c’est aussi tenter de comprendre les situations de fragilité, d’instabilité, de tensions inter-communautaires, etc., qui limitent l’accès à la connaissance (fermeture de certaines écoles des zones tendues), et qui entretiennent certaines populations dans une pauvreté de fait, sans horizon. Parler de pauvreté, c’est pointer les situations d’inégalités sociales, économiques et de santé. La pauvreté fleurit partout.

Par conséquent, la pauvreté a plusieurs visages : une histoire, une sociologie, une anthropologie et une géographie, un espace local et global. Elle se définit par rapport à une société donnée. Elle peut frapper à la porte de n’importe quel citoyen malien. N’importe qui peut glisser dans la pauvreté. La pauvreté d’un individu ou d’un groupe est souvent la combinaison d’un contexte social et d’une histoire personnelle particulière.

Au Mali, qu’il s’agisse des personnes qui cherchent leur pitance dans les déchèteries, des maliens qui vivent des aides internationales, de ceux qui dépendent de la solidarité familiale, communautaire ou de la compassion religieuse, on est en présence de situations de pauvreté. Car, ces personnes sont dépendantes et dénuées de toute autonomie (financière, de pensée, de vie…) et de toute liberté. Le pauvre est un citoyen déchu, déchu de son statut social, déchu du système dominant.

Pour conclure, si le Mali veut réduire les situations de pauvreté, cette difficulté « à pouvoir se montrer en public sans honte », les balises statistiques ne suffisent pas pour mesurer le phénomène, car elles peuvent être arbitraires et biaisées. La pauvreté n’est pas seulement une incapacité pécuniaire, mais aussi une difficulté à choisir librement les fonctionnements nécessaires à l’existence.

Au Mali, les infinies politiques de lutte contre la pauvreté n’ont pas atteint leur but : réduire les situations de pauvreté voire de vulnérabilité, et construire le bien-être des populations. Pourquoi ? Parce que le modèle de société actuel ne convient pas. Il faut des réformateurs, des leaders politiques jeunes, des mouvements citoyens désintéressés, etc., qui permettent de rejouer les cartes des rapports sociaux entre l’individu et la communauté pour plus de pouvoir d’agir.

Il faut travailler à la liberté individuelle pour une vraie déliaison. « Libérer l’individu, c’est particulièrement libérer la femme, en cessant de lui enseigner que sa raison d’être est d’avoir des enfants d’un homme dont elle dépendra toute sa vie ».

Pour les maliens, aux prises avec le problème, il n’est plus question de savoir ce qui est, mais plutôt de savoir comment s’en sortir ou comment vivre avec. Dans les sociétés maliennes, il y a des tendances lourdes telles que la faiblesse de la puissance publique, la criminalité organisée, les tensions inter-communautaires, la confusion des pouvoirs, la corruption, l’isolement géographique, la faible scolarité, les rackets, le vol de bétail, la violence intergénérationnelle, l’exclusion des femmes et des jeunes, etc., qui doivent être prises en compte pour une vraie inclusion et pour amorcer une sortie des situations de pauvreté.

Hommes et femmes, dans un esprit de dignité et d’équité, devraient pouvoir se défaire des injonctions familiales, groupales, qui malheureusement légitiment un autre fléau du continent : la corruption (cette solidarité néfaste qui permet à l’individu de piocher dans les fonds publics pour les restituer aux siens)[9]. Elle participe malheureusement de la pauvreté dans un pays en proie aux conflits de tous ordres. Un des impacts immédiats de ces conflits, c’est que la jeunesse malienne s’ennuie. Et on sait tous qu’un peuple peut périr d’ennui. Même si le Mali se veut démocratique (promotion des droits et libertés), il enferme ses citoyens dans une spirale d’échec.

Pourtant, le Mali a eu sa grandeur, comme l’exprime Amin Maalouf : « […] les habitants de Gao possédaient tant d’or que le plus médiocre tissu d’Europe ou de Berbérie pouvait s’y vendre quinze vingt fois sa valeur. En revanche, la viande, le pain, le riz et les courges se trouvaient en si grande abondance qu’on pouvait les obtenir au plus vil prix. »[10]. Il est inconcevable de constater qu’au 16eme siècle à Gao les populations vivaient dans une certaine abondance et que ce n’est pas le cas aujourd’hui dans la même ville, qui dépend des aides des organisations non gouvernementales.

Après ce diagnostic, je suis donc tenté de dire que la pauvreté est une question d’action publique de laquelle doivent naitre des reformes politiques. Par conséquent, il est urgent pour le Mali d’avoir un dirigeant jeune qui vit « pour » [11] la politique et non « de » la politique ; c’est-à-dire un homme d’État qui ne cherche pas à plumer les populations, mais qui œuvre pour l’intérêt général du Mali. Un homme d’État jeune, qui changera le Mali, un pays où les enfants auront le sourire, où les citoyens peuvent dormir tranquilles, où de chaque acte posé renaitra un bout du Mali. Le Mali à renaître viendra d’un jeune chef d’État qui ose.

Source: Mohamed Amara, Marchands d’angoisse : Le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être

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