Après vingt mois de crise, et malgré l’épineuse question du Nord, les artistes réenchantent la capitale du Mali. Demandez le programme culturel !
Même à l’abri des violences, la ville n’était que l’ombre d’elle-même depuis le 22 mars 2012 et le coup d’État ; aujourd’hui, la capitale du Mali renaît après vingt mois d’horreur. Comme tous les Maliens, les artistes, isolés du monde et de leur public, portent encore les marques de cette douloureuse période. Pour l’exorciser, la chanteuse Fatoumata Diawara prépare d’ailleurs un documentaire racontant cette période à travers ses rencontres dans tout le pays avec les musiciens maliens.
Tournages et festival
Mais à se promener dans Bamako deux mois après l’arrivée à la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta, les dimanches de mariage battent de nouveau leur plein, tout comme les balanis, discothèques improvisées au coin des rues où les enfants viennent danser. Dans toutes les disciplines, les artistes réenchantent la ville. Depuis les hauteurs, au Musée national qui présente une exposition sur les bijoux du Mali, au Conservatoire des arts multimédia où les étudiants en théâtre travaillent avec Eva Doumbia la mise en scène d’un texte de Lars Norén, et jusqu’à l’aéroport où l’on croise le cinéaste et ancien ministre de la Culture Cheick Oumar Sissoko tournant une scène de son film Rapt à Bamako, la reprise n’est pas un vain mot. “Nous rencontrons encore quelques difficultés à bloquer une rue, à emprunter un véhicule à la police qui en a besoin, mais la peur de l’insécurité n’est plus ce qu’elle était. Nous sortons enfin de la période la plus terrible du Mali postcolonial.” Le retour du cinéaste à la caméra, après 14 ans, a été salué par le ministre de la Culture Bruno Maïga qui a aussi inauguré le tournage du nouveau film de Souleymane Cissé, autre grand nom du cinéma malien.
Dans la foulée, le ministre a coupé fin octobre le ruban de la dixième édition du festival Dense Bamako danse, de la chorégraphe Kettly Noël (photo ci-dessus). Chaque soir, on s’agglutinait devant la scène de sa compagnie, Donko Seko, avant de se retrouver au Fali-Fatô (l’âne fou), restaurant-galerie ouvert au plus fort de la crise l’an dernier par la chorégraphe : “Voilà ce qui est sorti du coup d’État, ce besoin d’être dehors, de ne pas vivre caché”, explique Kettly Noël, qui donnait rendez-vous chaque matin à 7 heures à ses danseurs pour “parler au Capitaine Sanogo [le putschiste du 22 mars, aujourd’hui sous les verrous, NDLR]. Le jour se levait, et nous étions prêts à faire face. Nos mouvements exprimaient ce qui avait besoin de se dire, c’était notre ancrage.”
Peinture et photographie
Au coeur du vieux Bamako, dans le sillage du festival de danse, le plasticien Amadou Sanogo, homonyme du putschiste, fait “atelier portes ouvertes” dans sa cour de Dar Salam. On y entend la guitare de son voisin Sidi Touré, dont le dernier album Afalia, vient de sortir, en écho aux conflits du Nord dont il est originaire. On y voit les enfants faire leurs gammes de couleurs, sur un bout de bois qui deviendra masque sous le regard du peintre. Natif de Segou, venu étudier à Bamako où un professeur l’a révélé à son art, Sanogo questionne avec distance ironique la société malienne dans des toiles figuratives d’une force sidérante. Son exposition de la rentrée a marqué la réouverture de l’Institut français, qui a repris un rythme de croisière, derrière ses hautes grilles de protection : concert du rappeur d’origine malienne Oxmo Puccino, représentations d’une pièce née de la guerre, Il pleut sur le Nord de Sirafily Diango. Tandis qu’au premier étage de l’Institut, le bibliothécaire et écrivain Ousmane Diarra relisait les épreuves de son nouveau roman né du contexte politique qui a secoué son pays.
Tout au long de la crise, certains lieux ont tenu bon, véritables refuges pour les artistes : la compagnie Acte sept du dramaturge Adama Traoré, le Centre Soleil d’Afrique, la galerie Médina d’Igo Diarra. Ce militant de la culture vient de fêter le deuxième anniversaire de son espace où se tient l’exposition “Mali moto” à la gloire des deux-roues qui permettent de se faufiler entre les taxis jaunes et les petits bus verts (Sotrama) de Bamako. Une photo montre l’icône de la photographie malienne sur un deux-roues : Malick Sidibé. Jusqu’au 7 décembre, l’exposition “Bamako photo in Paris”* lui rend hommage, ainsi qu’à plusieurs talents, toutes générations confondues, de la photographie malienne. La jeune Fatoumata Diabaté y dévoile les nuits de Bamako. Cette ambiance festive a reconquis la capitale, où chaque fin de semaine, dans les maquis, les boîtes à ciel ouvert s’animent jusqu’au petit matin.
En musique(s)
Alors que le célèbre groupe touareg Tinawiren annonce la sortie mondiale de son nouvel album, enregistré dans un désert loin du sien, en Californie, pour cause de guerre et de longs mois de charia, le grand joueur de Kora Toumani Diabaté a repris le chemin du Diplomate où il se produit chaque vendredi soir quand il n’est pas en tournée internationale. Son fils, Sidiki Diabaté, griot et joueur de kora lui aussi (73e génération), s’exprime également par le rap. Avec son acolyte Iba one, il a enchaîné les tubes, “Victoire”, “Patriote”, à la gloire du Mali uni et des forces armées. L’un des fondateurs du rap malien, Ramses, prépare de son côté un nouvel album et se révèle excellent comédien au sein de la compagnie franco-malienne Blonba, comme on a pu le voir lors de la tournée française de Plus fort que mon père.
Parmi les signes de ce réveil culturel de la capitale, la présence du producteur et musicien anglais Damon Albarn (leader des groupes Blur et Gorillaz), qui est au Mali comme chez lui, est révélatrice. Courant octobre, il a installé de petits studios dans un lieu de rassemblement culturel à Bamako, La maison des jeunes. Elle donne son titre au nouvel album d’Africa Express**, cette réunion toujours renouvelée de musiciens africains et d’ailleurs, dont Florent de la Thullaye a filmé l’aventure***. Damon Albarn a notamment enregistré Songhoy blues, un jeune groupe venu de Tombouctou, de ce Nord blessé qui est encore sur toutes les bouches et dans les coeurs inquiets.