Evoquée toujours sans jamais la voir: l’éventuelle rançon payée pour la libération mardi des quatre Français d’Arlit au Niger pose la question des moyens que les Etats sont prêts à engager pour libérer leurs otages.
Selon une source proche des négociateurs nigériens, citée par l’AFP, 20 à 25 millions d’euros ont été versés en échange des otages français aux ravisseurs et aux intermédiaires qui, sur le terrain, ont joué un rôle important pour obtenir ces libérations.
Citant mercredi une « source française » non identifiée, le quotidien Le Monde écrit que « l’argent a été prélevé sur les fonds secrets alloués aux services de renseignement ».
« On se doute bien que c’est (l’entreprise publique) Areva qui a payé pour la libération des otages d’Arlit, de la même façon que c’est GDF Suez (groupe énergétique français) qui a payé pour celle de la famille Fournier en avril 2013 au Nigeria », affirme pour sa part Pascal Lupart, président du comité de soutien de Serge Lazarevic, enlevé en novembre 2011 au Mali par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
Officiellement, la politique reste le non paiement de rançon. « La France ne verse pas de rançon (…) pas besoin de revenir sur le sujet », a encore souligné mercredi l’entourage du président socialiste François Hollande.
Cette position reprend celle de l’ex-président de droite Nicolas Sarkozy, qui déclarait en mai 2011, en évoquant la libération de trois otages d’Aqmi deux mois plus tôt: « L’Etat français ne paie pas de rançon et ne cède pas aux chantages. C’est une question de principe. Mais il y a un autre principe auquel je suis attaché: toute vie est sacrée ». M. Sarkozy confirmait ainsi en pointillés qu’une rançon avait pu être versée.
« Tout le monde paye, même les Britanniques »
« La rançon, c’est un peu comme l’Arlésienne de Bizet. On en parle tout le temps mais on ne la voit jamais, alors que les Etats ou les entreprises payent dans la quasi totalité des cas », affirme à l’AFP l’ancien patron d’un service de renseignements français, sous couvert d’anonymat. Ce spécialiste ajoute qu’il « y a toujours une rançon ou une contrepartie payée sous une forme ou une autre: argent, libération de prisonniers, livraisons d’armes… »
Un bon connaisseur d’Aqmi, qui demande lui aussi à rester anonyme, ajoute: « Contrepartie ou pas: officiellement non, mais il y a toujours moyen de faire payer quelqu’un sans que cela soit officiel et c’est sans doute ce qui s’est passé ».
Avis partagés par Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). « Tout le monde paye, même les Britanniques », assure-t-il. « Rançon, contrepartie (libération de prisonniers), ou opération de vive force: il n’y a pas d’autre manière de libérer des otages ».
En juillet 2012, un porte-parole d’un groupe islamiste avait affirmé à l’AFP qu’une rançon de 15 millions d’euros avait été payée pour libérer au Mali deux Espagnols et une Italienne, détenus depuis près d’un an. En mai 2011, ce sont sept millions de dollars (5 millions d’euros) qui avaient été versés pour libérer deux marins espagnols, selon un pirate somalien.
En avril 2008, deux millions de dollars avaient été déboursés par l’armateur d’un voilier, Le Ponant, pour la libération des 30 membres d’équipage, dont 22 Français, retenus au large de la Somalie. A l’époque, Paris avait affirmé que « strictement aucun argent public n’avait été versé ». Une partie de la rançon avait été ensuite récupérée lors d’un raid de l’armée française.
En juin dernier, sous l’impulsion de la Grande-Bretagne, le Groupe des huit pays les plus industrialisés (G8) avait affirmé solennellement son refus de payer des rançons en cas d’enlèvements de leurs ressortissants par des « terroristes ». Le G8 avait aussi appelé les entreprises à refuser de payer.
Selon des sources britanniques, l’ »industrie » des prises d’otages a rapporté quelque 70 millions de dollars à l’ensemble du réseau Al-Qaïda au cours des deux dernières années.
Début 2013, une ancienne ambassadrice américaine au Mali, Vicki J. Huddleston, avait déploré que la France verse des « millions de dollars » pour libérer ses otages. Washington avait ensuite exhorté la communauté internationale à la « tolérance zéro » en la matière, afin de ne pas « remplir les coffres des terroristes ».