La peste porcine africaine, qui décime le cheptel de porc asiatique depuis plusieurs mois, ne représente pas de danger pour l’être humain… pour l’instant. Cette épidémie sans précédent menace en effet l’approvisionnement en anticoagulant à travers le monde, un produit médical composé d’héparine, une substance d’origine porcine. Ce médicament très courant est largement utilisé dans le domaine chirurgical, mais également dans le traitement de maladies cardiovasculaires.
Santé Canada « reconnaît la gravité de la situation ». Le ministère dit d’ailleurs travailler depuis plusieurs mois avec les fabricants de ce type de médicaments afin de « diversifier la chaîne d’approvisionnement » et de prévenir une éventuelle pénurie. La Chine, où l’épidémie de peste porcine africaine a entraîné jusqu’à maintenant l’abattage de 1,2 million de porcs, était en 2018 le troisième exportateur d’héparine vers le Canada, après les États-Unis et la France.
« À ce jour, Santé Canada n’a pas eu connaissance de signaux d’alarme [liés à un accès problématique à l’héparine] », a indiqué le ministère fédéral au Devoir, tout en précisant qu’il « communique régulièrement avec les entreprises titulaires de licences pour ces produits au Canada afin de surveiller tout effet possible sur la qualité ou l’offre de ces produits ». Aux États-Unis, les pharmaceutiques Fresenius Kabi et Pfizer indiquent des ruptures de stock de certains de leurs anticoagulants, selon les dernières données de l’American Society of Health-System Pharmacists, et ce, en raison de la « pénurie de l’ingrédient de base », dit l’une et d’un « retard dans la production », affirme l’autre. Ces deux entreprises sont des acteurs importants du marché de l’anticoagulant au Canada.
Sanofi se veut rassurante
L’éclosion de peste porcine africaine dans le nord-est de la Chine en août 2018 a été le point de départ d’une épidémie d’envergure qui touche désormais plusieurs pays d’Asie, dont le Vietnam où 5,8 millions de porcs ont été éliminés à ce jour, indique la FAO dans son dernier bilan. Cette crise agricole majeure s’invite désormais dans le monde médical en raison des muqueuses intestinales de porc dont est extraite l’héparine. Le mouton ou le boeuf peuvent être utilisés également, mais plusieurs autorités sanitaires à travers le monde ont banni cette utilisation, en raison des risques de contamination par l’encéphalopathie spongiforme bovine, aussi appelée maladie de la vache folle.
Selon plusieurs estimations, la production de 500 millions de porcs est nécessaire annuellement pour répondre à la demande mondiale d’héparine, dont près des deux tiers sont issus de porcs d’origine chinoise. Fin octobre, le président de l’Organisation mondiale de la santé animale, Mark Schipp, a indiqué qu’un quart du cheptel mondial de porcs était désormais menacé par l’épidémie de peste porcine africaine en cours, ce qui représente entre 200 et 300 millions d’animaux que le monde agricole va devoir abattre et soustraire à la consommation. À titre comparatif, le Canada a produit 21,5 millions de porcs en 2017, dont 8,6 millions sur le territoire québécois.
« Je ne pense pas que l’espèce soit à risque de disparition, a dit M. Schipp. Mais c’est la plus grande menace que nous avons jamais vue sur la production commerciale de porcs à ce jour. » La peste porcine africaine se transmet à l’intérieur des élevages par des tiques et par contamination du fourrage. La maladie est apparue en Afrique du Sud avant de gagner l’Europe dans les années 1960. Depuis 2018, elle est réapparue en Europe de l’Est dans les colonies de sangliers sauvages et menace depuis les élevages de porc dans plusieurs pays européens.
Joint par Le Devoir, la pharmaceutique Sanofi s’est faite rassurante en précisant que l’héparine utilisée dans la fabrication de son anticoagulant était tirée de porcs provenant de France, du Canada et des États-Unis. « Il n’y a pas d’impact anticipé lié à la situation de la peste porcine africaine », a souligné la compagnie.
L’héparine est utilisée en médecine depuis plus de 80 ans en raison de ses capacités à prévenir la formation de caillots dans le sang. Elle est incontournable lors de dialyse rénale, de phlébites ou d’embolies pulmonaires, mais aussi après des interventions chirurgicales, afin d’éclaircir le sang et d’éviter les complications postopératoires. Le marché de l’anticoagulant était de plus de 9 milliards de dollars en 2017. Il devrait presque doubler d’ici 2026, en raison entre autres de la croissance mondiale des maladies cardiovasculaires.