La France a annoncé, vendredi, la mort de Bah Ag Moussa, acteur majeur des rébellions touareg des années 1990 et 2000. Il serait responsable de plusieurs attaques contre les forces maliennes et internationales ces dernières années. Sa mort change-t-elle la situation sur le terrain, aussi bien militaire que politique ? Éléments de réponse avec Caroline Roussy, chercheuse à l’Iris.
« Un succès majeur dans la lutte contre le terrorisme ». C’est par ces mots que Florence Parly, la ministre des Armées, a annoncé, vendredi 13 novembre, la « neutralisation », au Mali, d’un cadre opérationnel jihadiste de tout premier plan lié à Al-Qaïda.
Décrit comme le « chef militaire » du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans »(GSIM) – aussi connu connu sous les acronymes RVIM ou JIN -, Bah Ag Moussa, a été tué dans une opération de la force Barkhane menée mardi dans le nord-est du Mali, à environ 100 kilomètres de Menaka.
Il avait déserté l’armée malienne dès 2012 pour rejoindre la rébellion et fonder avec Iyad Ag Ghali le groupe jihadiste Ansar Dine. Un de ses principaux succès aura été de réussir, en 2017, à unir sous la même bannière du GSIM, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et d’autres groupes islamistes.
La mort de ce cadre historique de la mouvance jihadiste peut-elle faire évoluer la donne sécuritaire pour la force Barkhane ? Que révèle cette opération dans les relations entre Paris et le gouvernement de transition malien ? Caroline Roussy, chercheuse à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), répond aux questions de France 24.
France 24 : En juin, la France a annoncé la mort du chef historique d’Aqmi, une victoire essentiellement symbolique car Abdelmalek Droukdal n’était plus un homme de terrain. Celle du Touareg Bah Ag Moussa, membre fondateur d’Ansar Dine, peut-elle faire évoluer la situation sécuritaire ?
Caroline Roussy : C’est un coup porté au GSIM, notamment après les images, diffusées sur les réseaux sociaux, des retrouvailles des 200 jihadistes relâchés en échange de la libération de quatre otages dont la française Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé, personnalité politique malienne de premier plan.
Cette image, même s’il y a tout lieu de se réjouir de la libération des otages, représente un camouflet pour la France. L’objectif des opérations qui se multiplient depuis le 30 octobre semble être la remobilisation des militaires de la force Barkhane, après le malaise suscité par la remise en liberté de ces centaines de jihadistes.
Militaire de formation, Bah Ag Moussa avait des notions stratégiques et de connaissances du terrain. Le tout est de savoir s’il avait formé des successeurs et si d’autres personnes de son acabit peuvent le remplacer. La mort de ce chef est donc significative, mais à moyen et long terme, je ne crois pas que cela change la donne sur le terrain car les troupes françaises doivent faire face à un ennemi aux contours de plus en plus flou.
Ces groupes armés ont été rejoints par des populations pour des raisons d’opportunisme, par désespoir ou absence d’un État en capacité de les protéger. La question centrale est la suivante : qui est l’ennemi au Mali aujourd’hui ? Au-delà de la complexification de la situation et de l’endogénéisation de la menace qui a souvent peu de rapport avec des motifs religieux, l’ennemi désigné depuis le sommet de Pau du G5 Sahel était l’Organisation état islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Désormais une attention particulière et renouvelée est portée au GSIM qui, fort d’avoir retrouvé quelque 200 hommes, aurait reçu, selon différentes sources, une rançon de 30 millions d’euros.
Le Premier ministre malien de transition, Moctar Ouane, avait défendu « la nécessité d’une offre de dialogue avec les groupes armés » jihadistes au sein du « dialogue national inclusif ». Cette nouvelle opération montre que c’est bien l’option militaire qui est privilégiée par Paris…
Oui, cela montre de profondes dissensions entre Paris et Bamako sur le fait de négocier ou non avec les jihadistes. Paris est en désaccord avec le gouvernement de transition mais aussi avec ce que la population malienne a exprimé : en 2017, il y a eu une conférence de l’entente nationale ; puis en 2019 un dialogue national inclusif. À chaque fois, les Maliens se sont dit favorables à un dialogue avec les jihadistes, notamment Iyad Ag Ghaly qui dirige le GSIM, et Amadou Koufa, un autre chef jihadiste.
Il y a un fossé qui est en train de se creuser entre Paris et Bamako. Il semble, pour l’instant, difficile pour la France d’envisager cette option au regard des efforts consentis sur les plans humain et financier depuis 2013. Pour le moment, le choix est celui d’une dynamique d’attaque sur le terrain militaire. Cela pose la question de l’avenir des relations entre la France et le nouveau gouvernement malien. Pourront-ils trouver un terrain d’entente ou une limite a t-elle été franchie ?
La mort de Bah Ag Moussa a été annoncée le 13 novembre, jour de commémoration des attentats de Paris et du Stade de France. Faut-il y voir un symbole ? Ou une manière de justifier l’existence de la force Barkhane ?
Cela fait partie de la rhétorique politique et gouvernementale. Cependant, n’y a jamais eu de signes qui indiqueraient que la France serait visée par des attaques à partir du Sahel. Quand nous évoquons le Mali, nous utilisons des catégories d’analyse qui sont des représentations occidentales : jihadistes, terroristes, islamistes… Alors que le profil des ennemis est beaucoup plus complexe, nuancé et difficile à appréhender. Pour revenir à la question du 13 novembre, je comprends que cela puisse interroger mais j’y vois plutôt une coïncidence au regard du faible intérêt de l’opinion publique pour ce qu’il se passe dans la région.
Source: France 24