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À la mémoire de notre très haut Camarade

Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni, Afel aissa, Abba, Amadou Garalo, Amadou RDA, Amadou P.A.I, Tichawchaw, Amadou Amagar, etc. Chers camarades jeunes, Chers parents et amis ;

Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs en vos rangs, grades et qualités.

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Il est pénible, vraiment pénible de devoir accepter la séparation d’avec un camarade de lutte qui a acquis des décennies d’expérience et qui a eu un parcours glorieux sur cette terre malienne, au service de la liberté, de la vérité, oui, de la vérité historique, de la justice, de la dignité, de l’unité et de la souveraineté nationale, de l’Unité africaine, de l’amitié entre les peuples du monde et de la paix, tout en restant, avant tout, fidèle aux idéaux de l’US-RDA et de son Président Mamadou Konaté, qui fut pour lui un père et un maître.

Oui, il est pénible de voir partir un camarade constant, solide et rempli d’une saine conviction inébranlable, résolu à tout mettre, avec amour, à la disposition de la jeunesse et des organisations patriotiques afin qu’elles puissent agir logiquement et librement pour le bonheur des peuples.

Voilà, qu’en ce dimanche 04 septembre 2016, à onze heures et trente, tu t’en es allé, camarade Amadou Djicoroni, nous laissant orphelins après plusieurs années de camaraderie et d’amitié sincère, orphelins de tes conseils judicieux, de tes encouragements patriotiques, orphelins de ta présence si enrichissante, de ton amour pour l’humanité.

Nous sommes inconsolables !

Amadou Seydou TRAORE, enseignant, libraire et éditeur ; secrétaire général du Syndicat national de l’Imprimerie, de la presse et de l’Industrie du livre ; Vice-président du Mouvement Soudanais de la Paix ; Vice-président du Comité de solidarité Afro-asiatique ; directeur de trois sociétés d’État dans le domaine culturel sous la Première République (1960-1968) ; Vice-président de la Commission de Presse et de propagande de l’US-RDA (1966-1968) ; Secrétaire à la presse puis Secrétaire politique de l’US-RDA (années 1990).

Amadou Seydou Traoré est né en 1929 à Soboundo (Niafunké), dans la région de Tombouctou, dont sa mère Aïssa Sankaré est originaire. «Femme au foyer», celle-ci a reçu une éducation conservatrice très stricte sur les questions morales. C’est elle qui l’envoie à l’école coranique avant qu’il fréquente l’école française. Seydou Traoré, le père d’Amadou, est quant à lui originaire de Ségou. Orphelin de père et de mère, il fut parmi les premières générations d’enfants recrutées de force dans les écoles coloniales.

Il sort diplômé de l’École Normale de Gorée (Sénégal) en 1917 comme Receveur des Postes et Télécommunications. À ce titre, il a installé tout le réseau postal et les lignes téléphoniques du cercle de l’Issa Ber (Niafunké). Sur les bancs de l’école, son père se lie d’amitié avec Mamadou Konaté avec lequel il fonde, en 1945, le Bloc démocratique soudanais (BDS) de tendance socialiste. Il participe également à la création de la Section Soudanaise du Rassemblement démocratique africain (US-RDA) en 1946.

En 1939, le père Traoré confie la scolarisation de son fils à son ami Mamadou Konaté, alors directeur de l’école rurale de Bamako Coura. Le jeune Amadou, surnommé «Amadou Djikoroni» par son instituteur en référence à son quartier d’habitation à Bamako, baigne dans un environnement très politisé. Son père est l’un des rares lettrés qui reçoit régulièrement la presse, et le foyer paternel est ainsi un lieu où se rencontrent de nombreux militants politiques et syndicaux.

À l’école, son instituteur et «père» Mamadou Konaté participe à la formation de sa conscience politique en lui demandant de rendre compte, chaque samedi, des événements de la guerre à ses camarades. De plus, il le commissionne à la sortie des classes pour convoyer sa correspondance militante. Après ses études primaires, Amadou intègre l’école secondaire Terrasson de Fougères (actuel lycée Askia) puis l’École Normale Frédéric Assomption de Katibougou.

Il obtient son Brevet élémentaire en 1947 et s’engage dans le tout nouveau cycle d’études qui s’ouvre pour les jeunes Africains des colonies françaises : la préparation du baccalauréat, qui leur était jusque-là interdit. Malheureusement, son père meurt dans un accident de circulation. En tant que fils aîné, il se retrouve en charge de sa famille et se voit obligé d’arrêter ses études pour devenir instituteur.

Militant à l’US-RDA, Amadou Seydou Traoré lutte contre l’armement nucléaire, diffuse la pétition «Appel de Stockholm» du 19 mars 1950 et collecte des signatures qu’il envoie aux initiateurs. Sa prise de position entraîne sa non-titularisation et sa mutation hors de Bamako, à la tête de l’école du village de Garalo (cercle de Bougouni). Il est alors un jeune «directeur stagiaire» âgé de 21 ans. Affecté en 1954 à l’école de Djoliba, il réintègre Bamako en 1956 dans l’école de son enfance, toujours dirigée par Mamadou Konaté, l’année où ce dernier meurt.

De 1956 à 1958, Amadou Seydou Traoré est muté à l’Inspection académique du Soudan. Il en profite pour passer son bac philosophie en candidat libre et devient l’un des rares bacheliers du territoire en 1957. L’année suivante, alors que l’US-RDA dirige le Gouvernement du Territoire autonome du Soudan français et appelle à voter «Oui» au Référendum proposé par De Gaulle pour l’intégration des territoires colonisés dans la «Communauté franco-africaine», Amadou Seydou Traoré s’inscrit en faux par rapport à la ligne du parti.

Avec d’autres camarades, il fait campagne pour le «Non» et plaide en faveur de l’indépendance immédiate. Ses prises de position vaudront à Amadou d’être suspendu puis radié de la fonction publique.

Il décide alors avec ses amis de créer une Section Soudanaise du Parti Africain de l’Indépendance (PAI), dont il devient premier secrétaire, et fonde une librairie,

L’Étoile noire. Clandestinement, Amadou se rend à la Conférence Panafricaine des Peuples à Accra en décembre 1958, où il rencontre des figures comme Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Frantz Fanon, Ernest Wandjé, etc. En mars 1959, Modibo Keita propose au PAI une rencontre pour fusionner toutes les «forces patriotiques». Après consultation des sections locales du PAI, Amadou Seydou Traoré et ses camarades donnent leur accord pour se fondre dans l’US-RDA, à condition que la perspective soit d’amener le Soudan à l’indépendance et au socialisme.

En 1961, un an après l’accession du Mali à l’indépendance, Amadou Seydou Traoré propose à Modibo Keita de léguer au pays sa librairie L’Etoile noire et une enveloppe de 52 millions de Francs CFA. Sa librairie est alors transformée en entreprise d’État et Amadou Seydou Traoré, réintégré dans la fonction publique, devient Directeur de trois sociétés d’État : la Librairie Populaire, les Éditions Imprimeries du Mali et l’Office cinématographique national du Mali (OCINAM).

Avec la réforme de l’Enseignement de 1962, il a pour mission d’approvisionner les écoles du territoire en matériel pédagogique, sportif et culturel et l’Administration malienne en matériel et fournitures de bureau. Il se charge également de monter 42 librairies populaires dans les différentes régions du Mali. La librairie Populaire et l’OCINAM soutiennent les activités d’alphabétisation des adultes, la politique de développement agricole et de défense de l’environnement. Travaux agricoles, équipement des écoles, alphabétisation et séances de cinéma vont alors de pair pour toucher hommes et femmes paysannes, à travers tout le pays.

En 1963, à l’issue du Congrès constitutif du Syndicat national de l’Imprimerie, de la presse et de l’Industrie du livre, Amadou Traoré en est élu Secrétaire Général.

En 1966, il est nommé Vice-président de la Commission de Presse et de propagande du Bureau Politique National de l’US-RDA. Durant toute cette période, il est également l’un des principaux animateurs des écoles du Parti où il a en charge la formation idéologique des cadres civils et militaires. Mais l’aventure socialiste s’arrête brutalement lorsque, le 19 novembre 1968, un coup d’État militaire renverse le régime de l’USRDA.

Le Président Modibo Kéïta est arrêté avec plusieurs responsables de la 1ère République, dont Amadou Traoré. Sans jugement, ils sont déportés au bagne de Kidal où Amadou Traoré et ses camarades subissent pendant 10 ans brimades, mauvais traitements et tortures. Il appartient au dernier contingent de prisonniers politiques libérés en 1978.

À sa libération, il est invité en Guinée pour se faire soigner. À l’issue de son séjour, Sékou Touré lui propose de s’y exiler, mais Amadou Traoré refuse et rentre au Mali, car c’est dans son pays qu’il veut lutter. Il est nommé Conseiller pédagogique à l’inspection de l’enseignement fondamental à Nioro du Sahel, ville où «on n’entend pas siffler le train». Le régime militaire espère ainsi le couper de tous réseaux politiques et syndicaux en l’envoyant loin de la capitale et du trafic ferroviaire.

L’ironie est que Nioro est desservie par avions dont l’un appartient à l’Office de Développement Intégré du Kaarta (ODIK) où l’épouse d’Amadou est Secrétaire de Direction. Il utilise donc ce moyen de transport pour envoyer et recevoir clandestinement le matériel militant à Bamako et ailleurs. Il milite au sein du Syndicat national des enseignants et de la culture (SNEC) et participe à réactiver des cellules clandestines de l’US-RDA dans les différentes localités où il est muté : Baguinéda, Sikasso.

En 1984, il devient chef d’une section de l’Institut pédagogique à Bamako et prend sa retraite anticipée en 1986, pour ne pas être mêlé aux activités du parti unique, l’Union démocratique du peuple malien (UDPM). Avec l’aide de camarades, d’organisations syndicales comme le SNEC, et grâce aux soutiens des employés de la Librairie Populaire, il parvient à récupérer l’entreprise en 1988 lorsque le régime décide de la privatiser.

Il la transforme en société anonyme qui comprend également la coopérative culturelle Jamana, créée par des militants comme Alpha Oumar Konaré. Durant cette période où la lutte contre le régime de Moussa Traoré s’intensifie, Amadou Traoré participe avec les militants de l’USRDA, du Parti Malien du Travail (PMT) et du Parti Malien pour la Révolution et la démocratie (PMRD) -toutes trois organisations clandestines- à la création d’une Association légale de lutte politique.

Celle-ci voit le jour le 24 octobre 1990 sous le nom Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA). Quelques mois plus tard, une révolution éclate. Après de longs mois d’affrontements faisant des centaines de morts et de blessés, une frange de l’armée renverse le régime de Moussa Traoré le 26 mars 1991.

Ensuite, il créait une librairie indépendante : la «Librairie Traoré» et les Éditions «La ruche à livres» qui jouxtent sa maison dans le quartier de Ouolofobougou-Bolibana. Il poursuit son œuvre d’éducateur militant en publiant de nombreux ouvrages, souvent rédigés de sa plume, sur l’histoire de la 1ère République et les problèmes politiques du Mali contemporain.

Il animait des conférences-débats et des émissions sur les antennes de radios privées. Il a également créé un Centre de documentation pour archiver les documents relatifs à la lutte anticoloniale et au régime de l’US-RDA. Ce centre comporte également une bibliothèque. Nombre de jeunes militants viennent se documenter auprès de lui.

Parallèlement à ses activités de libraire, Amadou Traoré continue à militer à l’US-RDA dont il devient successivement Secrétaire à la presse et Secrétaire politique.

Mais ne se reconnaissant plus dans ce parti tiraillé par les crises et dissensions internes, il en quitte finalement la direction en août 2002. Sa maison était également fréquentée par les militants de l’association «Repères» dont Amadou était président, les jeunes de l’association Faso Kanu («l’amour de la patrie») et du collectif Mali Té Tila («Mali un et indivisible») créé en juillet 2014 pour dénoncer les accords d’Alger et défendre l’intégrité territoriale du Mali.

Et voilà que notre très haut camarade Amadou Djicoroni meurt modestement, dans la dignité, dans la concession de son père. Amadou Seydou Traoré est l’un des libérateurs du Mali.

Son sort, tout comme celui de la plupart de ses compagnons de lutte, fut des brimades, des incarcérations, des humiliations et des tortures difficilement imaginables, infligées par des officiers félons qui, sous la direction d’un soi-disant général devenu grand Républicain pour certain, avaient fait irruption sur la scène politique malienne, en novembre 1968.

Amadou Djicoroni nous a toujours dit que “le vrai salaire des libérateurs ne se mesure ni en numéraire ni en nature. Les actes patriotiques ne sont pas des marchandises. Ils ne se vendent pas, ils ne s’achètent pas, ils ne sont pas piratables. Ils appartiennent en propre à ceux qui les ont posés et se paient uniquement en valeurs impérissables.”

Ainsi Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djicoroni, nous a-t-il dit à plusieurs reprises qu’en aucun cas il ne fallait qu’on accepte qu’il soit décoré à titre posthume, puisque, vivant, il ne l’avait jamais accepté. Et aussi, il nous a confié la mission d’informer qui de droit qu’il ne souhaite aucune cérémonie de clairon.

Personnellement, je l’ai fait avec insistance.

Aussi, nous vous prions, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir accepter de respecter cette volonté de votre père, de votre tonton, de votre Doyen Amadou Djicoroni, dont nous vous saurions infiniment reconnaissants. Respecter sa volonté serait lui rendre un service sans limite.

Un merci reconnaissant à tous ceux qui se sont investis, ici et ailleurs, pour accompagner notre très haut Camarade à la fin de sa vie.

Merci à tous ces hommes et femmes ici présents, et surtout aux jeunes qui, sur plusieurs canaux de communication, rendent un hommage mérité à ce Doyen infatigable et imperturbable dans son effort pour un monde meilleur.

Le camarade Amadou Djicoroni est mort dans la déception de voir que le grand Mali, dont il a contribué solidement à faire un pays d’hommes et de femmes libres et dignes, soit en chute libre aboutissant :

1- à la partition et à la perte de l’indépendance du Mali et de sa souveraineté ;

2- au démantèlement de l’Etat malien et à la déstabilisation de la sous-région ;

3- aux désordres institutionnels ;

4- à l’ethnitisation, à la dislocation et à la liquidation de l’armée nationale du Mali;

5- à une guerre civile intercommunautaire ;

6- à la discrimination, au favoritisme et à l’impunité.

Face à cette situation déshonorante, il attendait avec impatience le respect rigoureux de l’intégrité territoriale du Mali acquise le 22 septembre 1960 sous la direction éclairée et vigilante du président Modibo Keita, du drapeau malien sur toute l’étendue du territoire national et de la devise du Mali, ainsi que l’exercice de notre souveraineté partout au Mali, et le respect de l’honneur et de la dignité du Mali, qui ne sont pas à négocier.

Nous, de l’association REPÈRES, l’Organisation Faso Kanu et du Collectif Mali TÉ TILA, témoignons que notre CAMARADE Amadou Djicoroni laisse le souvenir d’un homme engagé, honnête, digne, confiant, discret, modeste, humble, intelligent, disponible pour tout travail pour le Mali et pour le reste de l’humanité.

Il était très attentif, solidaire, véritablement solidaire ; il était profondément généreux. Il avait une capacité d’écoute extraordinaire.

Il éprouvait beaucoup d’amour pour les opprimés, sa vie était vouée à leur service, sans contrepartie. Il était toujours indigné face à leurs souffrances, où qu’ils soient.

Le CAMARADE Amadou Djicoroni accueillait avec respect et considération tous ceux qui aspirent à un changement réel. Il n’a cessé de chercher la voie qui mènerait avec certitude à ce changement tant attendu au Mali.

Camarade Amadou Djicoroni, nous saluons ton immense travail qui servira notre patrie, aujourd’hui et demain. Tes livres seront de véritables guides pour l’action.

Ta disparition est une perte énorme pour tous tes compagnons de lutte, singulièrement les jeunes. Ta leçon sera utile. Nous continuerons à nous en inspirer !

Merci d’avoir réussi à préparer solidement des patriotes qui, en toute confiance, feront le Mali.

Dignement et pleinement, tu as admirablement rempli ton contrat envers ta famille, tes nombreux amis, tes compagnons de lutte de l’US RDA, tes codétenus politiques, notre génération et le Peuple Malien. Dors en Paix, camarade mon alter ego, la lutte, nous saurons la mener comme convenu. Ta mort est une perte immense pour le Mali et pour l’Afrique.

C’est vraiment triste de te perdre physiquement Amadou, mon “type” comme on aimait s’appeler toi et moi, à un moment où le Mali est dans une situation désastreuse. Camarade Amadou Djicoroni, tu as mérité de la patrie, en vérité, le digne descendant de tiramakan et de bassi, tu mérites la gloire, le Mali, l’Afrique et le monde t’en sont reconnaissants.

Nous continuerons l’effort, nous porterons haut le flambeau avec honroya dans le cœur.

Que la terre te soit légère ! Amen !

Bamako le 06 septembre 2016

Ibrahima KEBE

Source: Le Reporter

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