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La Malienne qui range ses pneus au salon

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… Depuis dix-huit mois, Coumba Diakité a fait sienne cette phrase attribuée au chimiste Laurent Lavoisier. Une sentence que la jeune Malienne n’applique pas aux solutions des éprouvettes, mais aux pneus usagés dont elle a fait sa matière première.

 

Rien ne prédestinait pourtant la jeune femme à imaginer un futur pour les vieux pneus. En 2012, elle rentre de Tunisie, une licence d’informatique et gestion en poche, décroche un emploi salarié temporaire, avant de se marier. Si, jusque-là, elle reste sur l’autoroute dont a rêvé pour elle sa famille, celle d’un emploi en col blanc dans un bureau climatisé, c’est pendant sa première grossesse qu’elle prend le premier chemin de traverse en s’ouvrant à l’environnement.

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« J’aime apprendre », confie celle qui s’ennuyait un peu à la maison en attendant l’arrivée de son premier enfant et s’inscrivit à un MOOC – ces cours en ligne ouverts à tous – de l’université de Laval, au Québec, sur les enjeux du développement durable. Cette formation et la naissance de son bébé agissent comme un révélateur et lui donnent envie de changer son environnement direct. « Franchement, comment aurais-je pu continuer à supporter qu’on brûle les déchets autour de moi au risque d’empoisonner tout le monde ?, demande-t-elle aujourd’hui. Comment peut-on laisser polluer cet air qu’on respire tous, sans rien dire ? Comment peut-on détruire ainsi la planète qu’on laissera à nos enfants ? »

Toilettage

Une fois que ces questions se sont imposées à elle, la jeune maman sait qu’elle a trouvé sa voie. Consciente que le gouvernement malien ne peut pas tout faire et que chaque citoyen doit aussi se battre contre le non-retraitement des déchets, elle s’investit corps et âme dans la lutte contre la dégradation de l’environnement. « Je commence à travailler sur ma ville et mon pays, mais je sais que l’enjeu est plus large et que mes réponses pourront ensuite s’appliquer ailleurs », insiste-t-elle.

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Au Mali, seuls 25 % des déchets sont retraités. Il n’y a pas encore de politique globale, même si le gouvernement, aidé par la Banque mondiale, a investi 6 milliards de francs CFA (9,14 millions d’euros) pour créer une décharge finale moderne. Mais le chemin à parcourir avant son ouverture reste long et semé de mille embûches. En attendant, les rebuts s’accumulent toujours dans les rues de la tentaculaire Bamako où vivent déjà plus de 2,5 millions de personnes sur un total de 18,54 millions de Maliens.

Consciente que les déchets sont multiples, et qu’elle ne peut s’attaquer à tout à la fois, Coumba procède par élimination et s’arrête sur ces vieux pneus, omniprésents, qui polluent les paysages urbains lorsqu’ils sont abandonnés, et l’air lorsqu’ils sont brûlés. Au Mali, ces rebuts sont souvent le fait des nombreuses sociétés minières qui utilisent beaucoup de matériel de travaux aux larges roues. De plus, « comme ce sont des objets constitués de 80 % de plastique, il faut compter cinq cents ans pour qu’ils se dégradent », rappelle l’environnementaliste. Cette statistique n’a pas été pour rien dans la maturation de son projet et l’a guidée doucement vers l’idée que l’élasticité du produit en ferait des salons très confortables… Début 2018, son concept est fin prêt. Elle lance By’Recycl pour offrir une nouvelle vie à ces masses caoutchouteuses après une radicale mise en beauté dans son atelier.

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La jeune femme qui, hier, détournait les yeux de ces détritus, les cherche désormais. Quand le pneu arrive chez elle, elle adore le requinquer, lui qui a déjà à son actif une ou deux vies. Les « yougou yougou » ou « au revoir la France », ont en effet commencé sur les routes européennes avant d’être exportés en Afrique, où ils sont parfois préférés à leurs concurrents chinois, vendus neuf au Mali mais jugés de moins bonne qualité.

« Faire les choses dans l’ordre »

Dans son atelier, Coumba vérifie d’abord que leur niveau d’usure en fera encore de bons socles de base. Trop éclatés, ils ne pourraient pas être travaillés. Ensuite, elle les toilette puis les mesure pour savoir quel diamètre de structure en bois sera nécessaire afin de les habiller. « Je travaille avec quatre menuisiers et suis très fière d’avoir créé des emplois à Bamako », raconte la jeune femme déjà capable de retraiter 50 pneus par mois.

 

Si les commandes ne se bousculent pas, elle a quand même déjà vendu des produits dans des entreprises et quelques hôtels. Elle mise désormais sur son statut de membre du groupe des 54 femmes distinguées en 2019 par le forum Women in Africa (WIA) pour voir son business s’élargir. « Je suis désormais prête à passer à la dimension supérieure, car c’est nécessaire. L’économie circulaire est l’une des clés pour sauver la planète. Ce n’est pas en dilapidant les matières premières qu’on parviendra à faire cohabiter 9 milliards d’humains bientôt. Il ne faut plus jeter mais transformer les objets usagés », milite-t-elle.

Autour d’elle, Coumba Diakité sent parfois encore le doute planer. « J’aime l’idée d’entreprendre, confie-t-elle. Mon mari l’accepte très bien aussi, mais je sais que c’est parce que j’ai fait les choses dans l’ordre : en me mariant d’abord et en ayant deux enfants avant de monter mon affaire. Pourtant, j’entends encore autour de moi des personnes dubitatives, pour qui je devrais avoir un emploi salarié. Cela reste la norme dans beaucoup d’esprits masculins. Plus encore parce que je suis diplômée de l’enseignement supérieur », regrette la jeune femme. Un regret qui pèse peu, car, au fil des ans, elle a appris le discernement, persuadée aujourd’hui qu’il faut savoir faire mentir la tradition.

 

Source: lemonde.fr

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