Après l’élection des membres du bureau de la haute Cour de justice et la main mise du RPM sur ce joujou épouvantail, un député juge aurait dit que le « fait majoritaire » n’est pas le « fait propriétaire ». S’estimant de l’opposition, il aurait voulu occuper le poste de vice-président à défaut de celui de président, et dénonce par la même occasion la propension du parti majoritaire à ne rien laisser passer.
Quelques jours plus tard, c’est Modibo Sidibé, président des Fare, qui préconise le respect mutuel et réciproque entre majorité et opposition. Selon l’ancien Premier ministre d’ATT, la majorité doit respecter l’opposition, et vice et versa. Les lamentations de ce genre sont devenues monnaies courantes depuis l’élection d’Ibrahim Boubacar Kéita, en août dernier, la nomination à la primature d’abord d’Oumar Tatam Ly, ensuite de Moussa Mara, la formation de leur gouvernement.
La critique la plus inattendue est venue de Soumaïla Cissé qu’on présente comme chef de file de l’opposition, le président de l’URD ayant affirmé publiquement que son ennemi intime et vieux rival, IBK, n’a pas respecté le fait majoritaire en nommant Moussa Mara à la tête du gouvernement en remplacement d’Oumar Tatam Ly que certains voulaient partir justement parce qu’il n’est censé appartenir à aucun parti politique, surtout pas au RPM.
Ces lamentations étonnent d’autant plus qu’elles proviennent d’acteurs politiques formés pour la plupart dans les rangs de l’Adema-Pasj, un parti qui avait érigé l’exclusion et l’hégémonisme en modes de gouvernement, du temps de sa grandeur et de sa lamentable gestion des affaires publiques, et sont dirigées, aujourd’hui, vers d’anciens camarades de « caste ». Accusés hier d’abuser du fait majoritaire totalitaire lorsqu’ils étaient à l’Adema, ils deviennent donc les accusateurs d’aujourd’hui.
Des acteurs flous, variables et indéfinis
Ces différentes sorties, très souvent fortement médiatisées comme pour prendre la communauté internationale très (trop) présente ici à témoin, donnent matière à réflexion sur ces notions de majoritaire, de pouvoir et d’opposition.
Après l’euphorie née du renversement du régime militaire de Moussa Traoré en 1991, qui a été suivi d’un véritable engouement des Maliens pour des élections libres, la scène politique n’a plus été occupée que par des acteurs à définition variable, floue et difficile. En réalité, que faut-il entendre par majorité et opposition dans cette démocratie tropicalisée ?
Si Alpha Oumar Konaré et son Adema ont été ébranlés vers la fin du second mandat du premier président élu de l’ère démocratique malienne, il s’agissait plus d’une contestation, d’une révolte, d’un refus nés de frustrations et d’ostracisme que d’une véritable opposition. Quant à son adoubé successeur, ATT avec qui tous les partis politiques ont composé, il n’a eu de problèmes qu’avec l’armée dont il est lui-même issu. Il a fallu attendre sa chute, vers la fin de mars 2012, l’organisation des élections présidentielle et législatives, en 2013, pour voir se dessiner un nouveau paysage politique, dominé par un RPM requinqué face à un Pasj déglingué et une URD déconfite, la percée des Fare et de la Codem.
C’est l’URD, dont le candidat a été battu au second tour de la présidentielle par IBK et qui est arrivée deuxième avec dix-sept députés, les Fare, qui ne comptent plus qu’un seul siège sur les six qu’elles avaient gagnés à l’issue des dernières législatives, et le Parena, deux députés, qui ont choisi de jouer le rôle très ingrat et mal apprécié de contradicteur du pouvoir en place. Un pouvoir renforcé par l’afflux massif de toutes les autres formations politiques venues, dans l’espoir de se protéger, sous le parapluie du RPM.
Si, au moins, un de ces trois partis, le Parena, a déjà dégainé contre le pouvoir, sont-ils pour autant de l’opposition ? Oui ! si l’on se réfère à la compréhension générale que les citoyens ont de cette notion. Cependant, le terme le plus convenable, adéquat et approprié devrait plutôt être « minorité » en opposition à « majorité ». URD, Fare et Parena ne sont de fait qu’une minorité de la classe politique et de l’Assemblée nationale. Les dernières élections ont démontré en effet que même avec leurs résultats cumulés, ces trois formations viennent loin derrière le seul RPM. Mais ces résultats font-ils pour autant du parti présidentiel « la majorité » ? Absolument pas.
Une majorité minoritaire, une opposition majoritaire
Le président IBK et ses 66 députés du RPM (sur les 147 que compte l’hémicycle) ont été élus par beaucoup moins de 50% des votants, ceux qui ont daigné se rendre aux urnes. Ces votants ne sont, eux-mêmes, qu’une partie des électeurs inscrits, c’est-à-dire les Maliens qui ont 18 ans au moins, au moment des scrutins, et ceux que l’administration n’a pas « oublié » de prendre en compte (des milliers d’électeurs potentiels n’ont pas pu voter soit parce qu’ils n’avaient pas leur nom sur les listes électorales soit parce qu’ils n’ont pas eu leur carte Nina soit parce qu’ils n’ont pas été recensés)
Tous les électeurs potentiels réunis, inscrits ou non, ne constituent eux-mêmes, qu’une petite partie de la population malienne. Peut-on alors dire que le RPM est la majorité alors que ses élus ne l’ont été que par une minorité des électeurs inscrits qui sont eux-mêmes une partie des électeurs potentiels, eux tous n’étant qu’une minorité de la population ? Non ! Le RPM est juste le parti au pouvoir. Au pouvoir parce que son président a été élu chef d’un Etat en quête de repères, ses députés détiennent la majorité des sièges d’une Assemblée nationale qu’il fallait renouveler coûte que coûte sur injonction des envahisseurs, institutionnels ou terroristes mais tous armés, ses cadres sont les plus nombreux au sein d’un gouvernement qui ne trouve pas ses marques et ne sait dans quelle direction aller.
A considérer globalement et autrement, cette « majorité » au pouvoir est minoritaire, et c’est « l’opposition » qui devient majoritaire. Il ne s’agit nullement de cette opposition à laquelle s’identifient l’URD, les Fare ou le Parena, il s’agit de cette opposition, la seule et véritable, largement majoritaire, qui, depuis les premières élections de 1992, boude les urnes et hue désormais les acteurs politiques de tous bords : le parti national de l’abstention démocratique.
En refusant d’aller aux urnes, ces abstentionnistes marquent leur désapprobation, leur contestation, leur refus. Leur opposition à tous ceux qui candidatent pour des postes électifs, et qui, une fois parvenus à leurs fins, s’empressent de décevoir les quelques votants qui ont cru en eux.
Cheick TANDINA
SOURCE: Le Prétoire