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La lettre que je devais à Yambo Ouologuem

Cher mentor,

Cette lettre, j’aurais dû vous l’envoyer depuis longtemps, depuis 2009, quelques temps après mon arrivée au Mali, où j’ai réellement découvert, réellement compris ce que le Mali et l’Afrique ont fait de vous. Mais je ne l’ai pas fait, parce que je caressais le rêve de vous rencontrer, réussir à vous rencontrer, discuter avec vous, avant de vous l’écrire, ma lettre. Mais voici cinq ans que je cherche à vous rencontrer, vous qui habitez seulement à quelques centaines de kilomètres de Bamako où j’habite, et je n’y suis pas encore arrivé. Pas facile de vous rencontrer et discuter littérature avec vous, vous n’en voulez plus, la littérature, vous ne voulez plus en entendre parler, m’a-t-on dit.

 Yambo Ouoleguem ecrivain litteraire

Mais, cher mentor, je ne trouve plus le courage de ne pas vous adresser ma lettre après cet énième « miracle » autour de vous et votre œuvre, auquel j’ai encore assisté hier. J’étais, en compagnie de quatre étudiants maliens en Lettres modernes, en train de discuter du livre La Couleur de l’Ecrivainde Sami Tchak, un de vos fils spirituels – un auteur qui vous apprécie beaucoup-, un livre qui parle de la situation de l’écrivain africain francophone, de l’écrivain en général, quand j’ai évoqué, comme dans presque tous les débats littéraires, votre nom. La catastrophe ? Deux des étudiants ont vaguement affirmé avoir déjà entendu votre nom, un parmi eux a réussi, après quelques minutes de réflexions, à donner le titre de votre livre, Le Livre, mais aucun d’eux ne vous a jamais lu. Aucun de ces quatre étudiants maliens en Lettres modernes ne vous a jamais lu. « Même vous vous n’avez pas lu Yambo Oulologuem ? » que je leur ai demandé, ébahi, accusateur.

Cher mentor, je me rappelle, ce fut en 1998 que pour la première fois, j’ai mis la main sur votre livre « Le Devoir de violence » dans la bibliothèque de mon père. J’étais collégien, et je n’avais pas, je vous l’avoue, aimé le livre. Je ne l’avais pas compris. Trop compliqué et trop dense. Je ne l’avais repris que trois ou quatre ans plus tard, en classe de première, quand notre professeur de français nous serinait que c’était le plus grand ouvrage de la littérature africaine francophone, avec Les Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma. Cette fois-ci, je l’avais lu jusqu’au bout, je l’avais aimé.

Mais, ce fut durant ma deuxième année au supérieur que je vous ai vraiment connu. Au centre culturel français de Lomé, un soir de décembre, dans une revue littéraire dont j’oublie aujourd’hui le nom, j’ai lu votre histoire. L’histoire de ce jeune homme malien, ce Dogon, né en 1940, qui publia son premier roman, « Le Devoir de Violence », à 28 ans, en 1968, qui obtint la même année le Prix Renaudot- l’un des plus prestigieux prix littéraires récompensant les écrivains francophones, devenant ainsi le premier africain à recevoir ce prix, et qui vit son conte de fée, quelques semaines plus tard, transformé en cauchemar, sous des accusations de plagiat et des critiques d’une méchanceté inouïe. Le jeune prodige ferma la bouche et tourna définitivement le dos à la brillante carrière qu’il présageait. La dernière phrase du conte : « Il vit aujourd’hui au Mali, à Mopti, où on dit qu’il est devenu marabout et se consacre à la prière. »

Cher mentor, du Renaudot de 28 ans, vous êtes aujourd’hui devenu un obscur vieil homme vivant retranché dans un village malien, loin de la littérature, loin du monde. On dit que votre livre est étudié dans de très prestigieuses universités américaines, que vous recevez des invitations de partout en Occident, mais vous avez décidé de ne plus jamais rien avoir à voir avec la littérature. Certains vous disent devenu fou, d’autres que vous avez été endoctriné par la religion, mais vos inconditionnels soutiennent que ce sont les acerbes critiques, accusations et humiliations, orchestrées par la complicité de certains intellectuels africains, qui vous ont traumatisé. « L’Afrique vous a trahi et tué à 28 ans » soutiennent-ils.

Oui, parce que « Le Devoir de Violence » n’est pas tendre avec l’Afrique. Vous y aviez abordé des sujets qui fâchent en Afrique. En pleine Négritude, quand tous vos pairs s’époumonaient à vanter une Afrique faussement paradisiaque, faussement immaculée avant l’arrivée des méchants colonisateurs blancs, quand vos pairs se contentaient de vendre une Afrique édénique qui ne pouvait naître que de leurs plus folles imaginations, vous aviez, vous, jeune homme inconnu de 28 ans, osé affirmer dans votre livre, à travers le règne des Saïfs sur l’empire Nakem, que l’esclavage existait en Afrique, orchestré par les Arabes, avec la complicité des notables africains, avant l’arrivée des Blancs. Astafourlaï ! Sacrilège ! Oui, vous aviez responsabilisé l’Afrique dans son propre désastre, ses propres humiliations. Pire, vous aviez osé, depuis 1968, parler d’homosexualité en la rattachant à un Noir dans votre livre, abomination ! Et vous l’avez payé très cher. Vous l’avez payé de votre carrière, de votre génie.

Mais, cher mentor, même vos plus grands détracteurs le reconnaîtront, sans orgueil, sans mauvaise foi, vous avez fait, avec un seul livre, ce que rêve tout écrivain : avoir une œuvre. Et comme le disait un de vos fils spirituels, l’un des plus illustres écrivains du monde francophone aujourd’hui, vous avez écrit un livre qui en vaut mille. Et je rêve que « Le Devoir de Violence » soit lu, en Afrique, au Mali. Je rêve que tous les élèves maliens et africains, tous les étudiants maliens et africains lisent « Le Devoir de Violence ». Je rêve que tout ce silence complice qui vous a entouré durant votre « lapidation » de 1968, durant votre « lapidation » de toujours, je rêve que ce silence complice, hypocrite, du monde intellectuel et universitaire africain qui entoure aujourd’hui votre œuvre soit brisé, que ce silence incompréhensible qui entoure votre nom au Mali soit brisé, et qu’avant de citer n’importe quel « pisse-copie nègre d’écrivain célèbre » (c’est par ce titre que vous avez désigné certains auteurs africains dans votre cuisant pamphlet « Lettre à la France nègre » paru en 1969) on vous cite. Parce que, même depuis vos profondeurs du pays Dogon, même depuis vos silences, blotti sous les moignons de votre destin avorté, vous restez, vous resterez l’un des plus grands auteurs que notre continent, notre époque, le monde francophone, ait connus, inch Allah !

Source: davidkpelly.mondoblog.org

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