Au cours d’une récente interview sur les médias France 24 et RFI, le président Alpha Condé a présenté l’ambition de la révision constitutionnelle proposée par son régime : offrir à la Guinée et aux Guinéens un cadre normatif sain, permettant de clore définitivement les turbulences de l’ère Dadis Camara. Pour lui, la nouvelle loi fondamentale permettrait de ramener les Guinéens au cœur de l’action publique en constitutionnalisant la parité hommes-femmes, la lutte contre le mariage précoce, et le partage équitable des ressources issues de l’activité minière. Une action décrite comme nécessaire et urgente et envisagée à l’ « écoute [du] peuple guinéen », selon les termes du Président Condé. Pourtant, si l’on peut s’accorder sur la nécessité de réformes (administratives, légales, règlementaires…) courageuses et ambitieuses, le contexte politique national actuel offre une autre lecture de l’urgence des autorités à conduire de telles réformes constitutionnelles.
Le timing de cette révision constitutionnelle ne permet pas d’écarter définitivement toute velléité du Président Condé de briguer un troisième mandat à la tête de la Guinée. Il laisse d’ailleurs lui-même la porte ouverte à cette possibilité en refusant de se prononcer de façon tranchée sur la question, confortant les soupçons exprimés par une grande partie de l’opposition politique et de la société civile. Des craintes qui s’expriment alors que le régime de Conakry a multiplié les pressions et arrestations de nombreuses voix hostiles à la révision de la constitution après l’échec du dialogue politique inter-guinéen organisé à la fin de l’année 2019. Le tout dans un contexte économique et social qui n’a pas connu d’avancées significatives depuis dix ans.
Le bilan économique ne milite pas en faveur d’Alpha Condé
Malgré sa géographie et les richesses de son sous-sol, la Guinée d’Alpha Condé n’a pas connu les avancées économiques radicales que beaucoup espéraient après la première élection démocratique de 2010. Le pays demeure l’un des plus pauvres du continent, avec plus de la moitié de sa population vivant sous le seuil de pauvreté selon les estimations de la Banque Mondiale. Même si Conakry a affiché un taux de croissance à deux chiffres en 2016 et 2017, et plus de 5% depuis 2018, cela ne s’est pas traduit par une meilleure distribution de la richesse, bien au contraire. En 2019, le gouvernement d’Alpha Condé a rattaché la gestion des mines aux compétences de la présidence de la République, renforçant l’inégale distribution du dividende issu de l’activité minière. Le réseau routier est resté embryonnaire, dans un état proche de celui dont le pays a hérité en 2010, avec des périodes d’inaccessibilité accrues en saison des pluies.
Au niveau social, en dehors de la ville de Conakry, l’accès à l’électricité et à l’eau potable reste un problème pour les populations. Un paradoxe pour l’un des territoires les plus irrigués du continent. De même, les dysfonctionnements récurrents des systèmes d’assainissement urbain augmentent les risques de crises sanitaires de grande ampleur, ou renforcent leur gravité, comme cela a été le cas pendant la crise d’Ebola qu’a connue le pays pendant plus de deux ans à partir de 2013. Sans véritable bilan économique donc, et de plus en plus contesté au niveau politique, le Président Alpha Condé engagerait son pays dans un scrutin référendaire très incertain et peu crédible..
La préparation du scrutin souffre de graves irrégularités
Les manifestations entamées dès octobre 2019 par le Front national de défense de la constitution (FNDC) ont donné lieu à une violente répression des forces de sécurité entraînant la mort de nombreux manifestants. Au-delà des bastions traditionnels de l’opposition guinéenne – Labé, Mamou ou N’Zérékoré – d’autres régions habituellement favorables au régime de Conakry (comme Matoto, Faranah ou Kankan) ou plus partagées (comme Fria ou Forecariah) se sont jointes aux manifestations. De quoi contribuer à la création d’une atmosphère plus générale de défiance citoyenne (au moins depuis le début de l’année 2020) marquée entre autres par la paralysie totale des activités économiques dans plusieurs villes, et des actes de violence contre les représentants de l’État. D’ailleurs, le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, a récemment confirmé au micro de RFI le refus des Guinéens d’un changement constitutionnel : « Ils l’ont montré à plusieurs reprises et je sais qu’ils vont continuer (…) à empêcher cette consultation qui est illégale, inopportune et qui remet en cause les maigres acquis démocratiques dans notre pays.».
À quelques jours du scrutin, cette atmosphère de tension sociale affecte les activités de distribution des cartes d’électeurs, et le déploiement du matériel dédié. De même, les multiples contestations sur la représentativité (entre autres) de la CENI – la Commission en charge d’organiser ces élections – avaient déjà conduit à de multiples reports des élections législatives depuis septembre 2019. Des problèmes relevés pas Cellou Dalein Diallo qui a rappelé dans une tribune publiée dans Le Point l’absence « d’indépendance, d’impartialité » de la commission électorale. Par ailleurs, plusieurs incidents relatifs au vol de milliers de cartes d’électeurs ont été relevés, et renforcent le sentiment d’incertitude quant à la crédibilité du scrutin. Dans ces conditions, il est difficile de savoir comment le régime guinéen peut organiser des élections sans plonger dans un autre épisode d’instabilité politique de forte intensité.
La région n’a pas besoin d’une Guinée instable
Les dernières missions de médiation dépêchées pas la CEDEAO Conakry semblent envoyer un message clair : la région n’a pas besoin d’une Guinée instable. En effet, s’il est vrai que le pays a été jusqu’à présent épargné de la crise sécuritaire à ses frontières – en particulier au Mali voisin – il n’en demeure pas moins qu’une instabilité politique de forte intensité peut faire le lit de nouvelles formes de menaces. Le président Alpha Condé souhaite-t-il utiliser la réforme constitutionnelle pour se maintenir à la tête de la Guinée malgré son âge (81 ans), et le prix fort à faire payer à son pays ? Il est désormais face à l’histoire.