Le 12 mai, la chaîne qatarie Al-Jazeera a rediffusé un documentaire intitulé «Shadow War», se proposant d’expliquer les enjeux du conflit sous le prisme de la conquête pour les matières premières en Afrique.
Selon les auteurs, Bob Coen et Eric Nadler, dont la société What’s Up Production installée à Nantes travaille régulièrement avec la chaîne Arte, l’Afrique, pour la troisième fois de son histoire, après la conférence de Berlin en 1885 et la période de décolonisation, est devenue la proie d’un nouveau découpage pour l’attribution de ses ressources entre les Etats-Unis, la France et la Chine.
Washington ayant perdu le statut de superpuissance manufacturière, en dehors de l’industrie d’armement, plusieurs télégrammes diplomatiques éventés par Wikileaks démontreraient le niveau de crispation des Américains face aux appétits de Pékin. Bousculant les institutions internationales, qui exigent réformes démocratiques et économiques, la Chine s’est peu à peu imposée sur le continent en proposant des prêts à taux 0 sur vingt ou trente ans et surtout en ayant aucune exigence en retour autre que l’exploitation des ressources.
Alors que le terrorisme a constitué une première opportunité pour Washington d’étendre son contrôle sur le continent africain par la création de l’Africom, comme plus tard l’épidémie Ebola, la guerre en Libye a permis de neutraliser définitivement les velléités d’autonomie et d’intégration du continent que le Colonel Kadhafi se proposait de financer, mais aussi de faire main basse sur ses réserves pétrolières.
Quant à la guerre au Mali, certaines interviews expriment de sérieux doutes sur les capacités des djihadistes touaregs à s’emparer d’une ville de trois millions d’habitants comme Bamako. D’ailleurs certains témoins anonymes révèlent que l’opération Serval aurait laissé s’enfuir les colonnes du groupe Ansar Dine vers l’Algérie lors de la bataille de Kona… Là aussi dans le but de créer un pôle d’insécurité pour justifier une présence militaire occidentale et donc monopoliser les ressources inexploitées en hydrocarbures du bassin de Taoudeni, et d’uranium au sud du site d’Arlit dans un contexte de raréfaction.
Malgré la participation d’experts reconnus comme Antoine Glaser, Rudolf Attala et Laurent Bigot, ce documentaire accorde une large place aux thématiques anti-impérialistes servies par des auteurs comme l’historien Jeremy Keenan, l’universitaire et politicien suisse d’extrême gauche Jean Batou, l’activiste Mohamed ag Hamattal ou encore le diplomate onusien Ahmedou ould Abdallah, ancien directeur général de la Société nationale des mines de Mauritanie. L’ensemble se concluant par les déclarations du président du Haut conseil islamique malien, l’imam Mohammed Dicko, qui avait qualifié les attentats de Bamako de «châtiments divins», et pour lequel «l’Occident vit des guerres pour justifier sa puissance»…
Par delà le caractère univoque des propos, on ne trouve aucune mention de l’implication de la compagnie pétrolière Sonatrach sur l’exploitation du bassin de Taoudeni, de la renégociation à la hausse par le Niger de son uranium, du financement des madrassas radicales au Nord Mali par des ONG originaires du Golfe Persique, de l’instrumentalisation par Doha et Ankara des djihadistes de Benghazi, ni des liens entre les forces spéciales qataries et le groupe Ansar Dine révélés par Jean-Christophe Victor peu avant sa disparition.
Entre anti-impérialisme et théorie du complot, Al Jazeera, par cette programmation, illustre donc parfaitement l’émergence inquiétante d’un phénomène visant à instrumentaliser les thématiques d’extrême gauche non seulement par les djihadistes mais aussi par l’islam salafiste.