Lorsqu’il prêtait serment après sa victoire historique sur son rival Soumaïla Cissé au second tour de la présidentielle en 2013, Ibrahim Boubacar Keita savait, bien sûr, que sa tache de stabiliser et de reconstruire le Mali ne serait pas aisée, mais il ne s’attendait pas à autant de problèmes et de difficultés à priori aussi insurmontables les uns que les autres. Qu’il s’agisse de la crise du nord dont il avait fait de la résolution le thème central de sa campagne, que de la lutte contre l’impunité et la corruption ou des chantiers du développement et de la bonne gouvernance.
En un an et quelques mois seulement, bien de péripéties extraordinairement malheureuses ont, en minimisant les bonnes initiatives et efforts considérables consentis, émaillé sa gouvernance, frappant les esprits, non seulement de ses partisans et sympathisants mais aussi de l’opinion publique nationale en général, faisant les délices d’une opposition politique qui avait été longtemps à la recherche de ses marques après sa prise de pouvoir.
La reconquête du nord s’étant arrêtée à Kidal par la volonté de la France, cette ville et sa région ont encore plus cristallisé les rancœurs et la frustration du peuple après l’épisode malheureux du voyage au mois de mai du Premier ministre Moussa Mara et les tueries consécutives perpétrées contre les administrateurs au gouvernorat et les forces de défense et de sécurité maliennes.
Depuis lors, le président IBK et son Premier ministre ont été constamment au créneau, sur la défensive, essayant de colmater à qui mieux mieux les brèches creusées par ces évènements dans les esprits les mieux disposés, autant les plaies causées par les nombreuses affaires de corruption, de surfacturation, de délinquances à col blanc faisant un tort incommensurable à la réputation d’un gouvernement et de dirigeants censés mener une lutte impitoyable contre l’impunité et la mal gouvernance, pour le bonheur et l’honneur des Maliens. IBK lui-même ne pouvait plus être épargné, parce qu’il s’était engagé personnellement devant Dieu et les Maliens à œuvrer totalement, en âme et conscience à panser les maux du Mali et de son peuple sans exclusive, à redonner au peuple son honneur et sa fierté.
Ces vertus et qualités, autant indispensables aux vrais maliens que l’air qu’ils respirent, dont il avait fait des slogans de campagne, semblaient sciemment mises au rencart par la volonté des puissances occidentales et de l’ONU, devenus comme des instruments des mouvements armés indépendantistes et mus par des desseins obscurs. D’où la levée de boucliers contre la France de Hollande, l’ONU et la Minusma taxées de complaisance sinon de complicité avec le mouvement National de Libération de l’Azawad, pion avancé du terrorisme jihadiste dans le nord en passe de devenir un sanctuaire pour tout ce que le sahel compte d’islamistes narcotrafiquants radicaux.
IBK avait-il surestimé ses propres capacités ou sous estimé les enjeux géopolitiques, stratégiques et les dangers de l’imbroglio de la crise du nord pour la souveraineté du Mali et l’unité nationale ?
Les voix de Tiébilé Dramé, Djiguiba Keïta (PPR) du Paréna et de Soumaïla Cissé, le charismatique fondateur de l’URD, dans des adresses qui ont fait date, des réquisitoires impitoyables contre les dérives colossales du pouvoir et le président IBK, ont fait état du bilan désastreux de la gouvernance actuelle, sur fond d’un populisme mal venu, d’une vision erronée des réalités et de mauvais choix, qui conduit le Mali à une impasse au meilleur et à la catastrophe au pire. Un tableau guère reluisant mais qui avait l’avantage de remuer le couteau dans la plaie et de mettre la pression sur un IBK face à la solitude, aux questionnements essentiels du pouvoir et surtout au peuple de plus en plus impatient, accablé par la précarité et la dégradation inéluctable de ses conditions de vie.
S’agissant notamment de cet honneur et de la fierté malienne qui sont des vertus essentielles longtemps bafouées dans cette crise, les Maliens et Maliennes, de plus en plus sceptiques ou traumatisés, étaient en droit de se demander par quel miracle ils allaient les recouvrer comme promis, après l’humiliation de notre armée nationale, les libérations successives inacceptables de combattants du MNLA faits prisonniers par nos soldats, comme la levée des mandats internationaux contre leurs leaders présumés coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Quant à la corruption et au népotisme qui l’accompagne ils demeurent des plaies vives malgré la croisade impitoyable du ministre de la justice et des droits de l’homme, Mohamed Aly Bathily qui se démène comme un beau diable pour conjurer ces démons qui accablent la République face aux caciques du système judiciaire qui renâclent.
Le président Ibrahim Boubacar Keïta dispose de trois ans et quelques mois pour redresser la barre et répondre aux attentes légitimes de la majorité des Maliens comme promis. Le temps lui est désormais compté. Pour l’heure, l’on constate une dégradation du climat de confiance entre lui et son électorat selon les derniers sondages qui le créditent du soutien de seulement 56% des 88% des Maliens qui l’ont plébiscité au second tour de l’élection présidentielle de 2013. Un tel effondrement de sa côte de popularité est significatif. Il se doit d’en tirer rapidement les conséquences et les leçons de manière salutaire pour sa gouvernance, qu’il a le devoir urgent de remettre en questions, s’il veut accomplir un second mandat.
Oumar Coulibaly