Si la volonté de la grande majorité des peuples sahéliens devait être respectée, leurs présidents n’iront pas honorer à Pau le rendez-vous avec Emmanuel Macron. Les réseaux sociaux rendent nettement ce pouls. Mais les chefs d’État sahéliens ont-ils le choix ?
Sans doute non, l’ascendant français sur eux est tel qu’il leur est impossible de se défausser du rendez-vous. Et puis, il n’est pas convenant de refuser de discuter d’une situation qui engage à la fois l’avenir et le présent de cinq pays et de leurs dizaines de millions d’habitants, somme toute vulnérables aux furies incessantes des terroristes de tous genres, djihadistes, narcotrafiquants et encore. Mais voilà, les peuples souffrent certainement plus de la situation que leurs dirigeants, les niveaux d’informations étant des plus inégaux. Il s’y ajoute que si ce sont les peuples qui confèrent les mandats aux gouvernants, ces derniers se retrouvent vite dans une sorte de tour d’ivoire qui les rend peu accessibles aux mandataires, et parfois même sourds aux gémissements de ceux-là. Telle est la dramatique quadrature du cercle dans laquelle sont désormais plongés les Sahéliens, gouvernés et gouvernants, face à une France forte de plusieurs leviers, militaires, diplomatiques et économiques. La pomme de discorde a, au regard de tant de pesanteurs défavorables aux Africains, de beaux jours devant elle ; d’aucuns disent même qu’elle est sans fin, car, à leurs yeux, Paris est loin de jouer franc jeu, son rôle n’étant pas du tout net. Comment croire en la sincérité du président français qui dit ne pas vouloir de soldats français sur quelque sol que ce soit du Sahel sans l’approbation des chefs d’État de céans alors que la France conçoit seule ses opérations militaires, les baptise et les déploie sans jamais associer les généraux africains dans le processus? Comment croire en la colère accusatrice d’Emmanuel Macron alors qu’il dit tantôt qu’il s’agit aussi de la sécurité de l’Europe et que, dans l’instant d’après, il veut faire croire que c’est seulement en bon samaritain qu’il déploie sa puissance de feu au Sahel ? Comment accorder foi aux épanchements fort outrés de Macron quand les armées françaises présentes au Sahel procèdent à des opérations inconnues des états-majors militaires des pays concernés, souvent à des éliminations de telle ou telle hautes figures du djihadisme ou du terrorisme? Suite au massacre de plus de 100 militaires nigériens à Inatès, la question a été posée de savoir comment les assaillants peuvent s’évoluer comme des poissons dans l’eau dans un espace aussi dégagé, sans forêts denses ni marécages, que celui du Sahel. « Comment plusieurs centaines de terroristes lourdement armés peuvent-ils se déplacer entre deux pays, le Mali et le Niger, sans être détectés ? Où sont passés les services de renseignements nationaux et ceux de Barkhane ? À quoi servent les 4.500 soldats français déployés au Mali? À quoi servent ceux présents au Niger avec tout leur arsenal de guerre impressionnant : les chars de combat, les drones de surveillance, les avions de reconnaissance et les avions de chasse comme les Mirages 2000, fleurons de l’industrie militaire française, dont la vitesse de pointe, assure-t-on, avoisine les 2.336 km/h? » On peut juste répondre, avec un certain dépit, que ce n’est pas pour un spectacle de feu d’artifice ou pour décorer un aéroport qui ne concourt pas à une foire internationale de beauté. Des vérités restent donc bien à dire. Le problème est de savoir si les cinq chefs d’État du G5 Sahel sauraient les dire clairement à Macron ou s’ils parviendront à lui en arracher. La langue de bois ne doit pas être de mise, le Sahel n’est pas un lieu de plaisanterie, encore moins de jeux. Contingence des reports ou pur hasard, la rencontre du 13 janvier prochain à Pau est exactement le 7ème anniversaire du jour où les armées françaises ont stoppé net à Konan (Mali) le déferlement des djihadistes vers Bamako (13 janvier 2013). Depuis, aucune victoire décisive n’a été remportée sur les assaillants. Un vaste sujet de réflexion.
Bogodana Isidore Théra LE COMBAT