La France doit apprendre à devenir le partenaire de l’Afrique et non son tuteur Une chronique de Soufyane FRIMOUSSE *Maître de conférences, Docteur et Habilité à diriger des recherches. Université de CorseChercheur associé ESSEC Business School Paris. Chercheur associé HEC Montréal. Rédacteur en chef adjoint de la revue Questions de Management.
Depuis son élection, le Président Macron souhaite transformer les rapports que la France entretient avec l’Afrique (Discours de Ouaga, Sommet de Montpellier). Il clame haut et fort qu’il faut dépasser la « Francafrique » et faire émerger autre chose… Oui, mais quoi ? Et pour faire quoi ?
Au-delà des discours, cette transition, tant souhaitée des deux côtés de la rive, réclame un nouveau récit, de nouvelles valeurs et une nouvelle manière d’appréhender le monde.
N’oublions pas qu’il faut toujours révolutionner les esprits avant de dynamiser l’économie ou les autres domaines…C’est pourquoi, il est indispensable de sortir du brouillard dans lequel nous errons depuis la disparition en 1989 de l’ancien monde.
Depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS, nous avons connu la mondialisation, la désindustrialisation, la financiarisation et ses excès, la lutte sino-américaine, le terrorisme, le dérèglement climatique, le déchainement d’une nature incontrôlable, les pandémies… Comment sortir de ces 40 chaotiques ?
Quel récit pour la relation entre l’Afrique et la France ?! Capitalisme, libéralisme, islamisme… ils sont tous plus aveuglants qu’éclairants. Le panafricanisme, les idéologies de la négritude, le consciencisme, le panislmanisme, le panarabisme ont constitué les horizons idéologiques de l’Afrique. Ils sont obsolètes.
Alors demain, quelle vision ?
Quel horizon envisagé ? Quelles réflexions…Quel sera le nouveau récit ?
Ce récit doit reposer sur la question primordiale qui n’est plus : « dans quelle sorte de monde voulons-nous vivre ? », mais plutôt désormais : « quelle sorte de monde nous permettrait de survivre ? ».
L’Afrique est le continent qui a le moins contribué au dérèglement climatique, mais elle en subit les pires effets. Rappelons que le continent ne représente qu’environ 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre alors qu’il représente 20 % de la population mondiale. En l’absence d’une correction commune de trajectoire, l’Afrique devrait être la zone la plus touchée par le changement climatique. Encore une injustice qui aura forcément des dramatiques répercussions en Europe (immigration, insécurité…).
La durabilité écologique et sociale ne peut plus se contenter de poursuivre la conciliation entre l’environnement et la croissance économique dans le cadre d’un système productif inchangé avec des rapports si asymétriques entre la France et l’Afrique.
Des relations malsaines
L’Afrique se fait désormais entendre et exige que l’on prenne en compte les aspirations du Sud. C’est un langage qui émane, pour une fois, des personnes concernées et que la France doit écouter et comprendre. S’il existe bien une relation forte entre le continent et la France, elle est malsaine depuis le début, car trop déséquilibrée pour que l’on puisse s’en satisfaire. Il est indispensable de se débarrasser du fardeau de la colonisation et de la françafrique. La France doit se dépouiller du besoin d’écraser l’autre pour acquérir confort et bien-être en comprenant que son pouvoir ne dépend pas de l’appauvrissement de l’Afrique.
Bien au contraire, dans un monde devenu multipolaire, il est de son intérêt de participer à une mise en situation plus favorable de l’Afrique afin d’être son partenaire et non plus son tuteur. Il s’agit de miser sur une entité géostratégique et économique afro-médi- péenne (Afrique, Méditerranée, Europe) pour peser dans l’ordre du monde face notamment aux mastodontes asiatiques (Inde, Chine…). L’objectif stratégique est d’arrimer les deux continents l’un à l’autre.
Une Afrique tant convoitée
Proposer de fausses alternatives ou des demies mesures sans réelles visions serait fatale à la France qui a usé de l’intégralité de ses jokers. Se tromper reviendrait à pousser l’Afrique tant convoitée à se tourner davantage vers la Chine et/ou la Turquie et on pourra dire adieu aux formidables marchés africains et à la Francophonie.
Pour éviter ce désastre, la France n’a donc pas d’autres solutions que de favoriser l’émergence d’une véritable école de pensée accompagnée d’une réforme intellectuelle.
La France doit saisir qu’il n’y a pas de sentiment anti-français… mais plutôt un ras le bol de sa mainmise politique, militaire et économique sur le continent … L’Afrique ne souhaite pas se fermer de la France… mais elle n’accepte plus qu’elle fasse la loi.
Elle doit savoir que l’Afrique attend de la France une pensée co-construite et non pas uniquement des produits de luxe, de la gastronomie, de la technologie et l’organisation de sommets.
Ce qu’il s’agit de mettre au jour désormais, ce sont de nouvelles manières de se fréquenter, un être au monde fécond pour les deux parties, une pensée qui pousse ces deux espaces à une réinvention profonde. Dans cette optique, il est impératif de sortir des prismes conceptuels de l’aide au développement, de la responsabilité humanitaire, de la gestion des flux migratoires, de l’insécurité, des logiques du pré carré…
Peu importe la voie envisagée, cela passe par des nouveaux systèmes éducatifs et de formation pour notamment façonner un nouvel imaginaire partagé. L’avenir vertueux entre l’Afrique et la France sera d’abord un maillage de pensées humaines.
Source: MondAfrique