Après 22 ans de règne du soupçon sous Yahya Jammeh, la Gambie pensait en avoir fini avec les purges inexpliquées dans l’armée. Mais la détention d’une dizaine de militaires sèment le doute sur la détermination du nouveau pouvoir à respecter les droits de l’Homme.
Au pouvoir dans son pays depuis bientôt neuf mois, le président Adama Barrow a affiché sa volonté de rompre avec l’arbitraire et les violations des droits de l’Homme du régime de son prédécesseur, qui vit en exil en Guinée Equatoriale.
En juillet, M. Barrow avait relativisé, dans un entretien à l’AFP, les craintes de complot que fomenteraient des proches de Yahya Jammeh avec des membres des forces de sécurité, jugeant « terriblement exagérées » ces « rumeurs ». Il assurait même avoir « réintégré beaucoup de personnel militaire » qui avait été « limogé injustement » à la suite du changement de régime.
Une dizaine de militaires gambiens ont pourtant été arrêtés – y compris pour trois d’entre eux ce même mois de juillet – par la police militaire, a appris l’AFP auprès de leurs familles.
« Il est accusé d’avoir facilité la fuite d’un soldat recherché en lien avec un groupe de discussion sur Whatsapp », a expliqué à l’AFP Sunkar Jarjue, l’épouse du soldat de première classe Abdoulie Bojang. Un récit corroboré par Banna Jarju, la femme d’un autre militaire arrêté en juillet, Lamin Nyassi.
Une dizaine de soldats sont ainsi en détention pour une durée indéterminée, bien au-delà du délai légal de la garde à vue de 72 heures, a confirmé à l’AFP un responsable militaire s’exprimant sous le couvert de l’anonymat.
Au total, douze militaires ont comparu cette semaine devant une cour martiale qui leur a signifié neuf chefs d’accusation, a indiqué samedi à l’AFP le porte-parole de l’armée, le capitaine Lamin Sanyang, sans autre précision.
Jusqu’alors, le porte-parole s’était borné à confirmer la détention de soldats dans le cadre d’une enquête pour « actes de mutinerie et de sédition » révélés par des enregistrements de conversations sur Whatsapp.
– Radié de l’armée –
Certains, comme le sergent-chef Abdoulie Jammeh, neveu de Yahya Jammeh, arrêté en septembre pour absence injustifiée et détenu pendant plusieurs semaines avant d’être relâché et radié de l’armée, paieraient le prix de leurs liens familiaux.
« Ils lui ont demandé s’il communiquait toujours avec son oncle », a indiqué à l’AFP son épouse, Tida Bajinka Jammeh.
Face aux critiques des associations de défense des droits de l’Homme, dénonçant la durée de ces détentions sans inculpation, le ministre de l’Information, Demba Ali Jawo, a invoqué une « clause de sauvegarde » autorisant le renouvellement de leur détention tous les 14 jours.
« Aucune clause du règlement des forces armées ni aucune loi ne permet de contrevenir à la Constitution », rétorque le directeur de l’Institut pour les droits de l’Homme et le Développement en Afrique (IHRDA), basée en Gambie, Gaye Sowe.
Des ONG, dont l’IHRDA et des associations de victimes, parmi lesquelles Fatoumatta Sandeng, fille de Solo Sandeng, un opposant à Yahya Jammeh mort en détention en avril 2016, ont lancé en octobre une « campagne internationale » pour que l’ancien président soit traduit en justice.
Mais sur ce volet, le procès de neuf anciens responsables de la défunte Agence nationale du renseignement (NIA), considérée comme l’instrument de répression du régime Jammeh, pour le meurtre de Solo Sandeng, fait quasiment du surplace.
Ouvert le 20 mars, le procès a repris fin octobre, après plus de six mois d’interruption. Les accusés ont à nouveau plaidé non coupable, mais les audiences vont de report en report, les avocats de l’ancien chef de la NIA, Yankuba Badjie, ne s’étant pas présentés à plusieurs reprises.
Finalement, les débats devraient reprendre pour de bon lundi, avec ou sans les conseils de Yancuba Badjie, a annoncé cette semaine la présidente du tribunal.
Battu par M. Barrow à l’élection présidentielle du 1er décembre 2016, M. Jammeh a refusé de reconnaître sa défaite. Après six semaines de crise à rebondissements, il a finalement quitté le pouvoir et le pays le 21 janvier à la suite d’une intervention militaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et d’une ultime médiation guinéo-mauritanienne.