Monsieur le Président du jury d’honneur, Partageant votre souci du temps, je souhaiterais juste évoquer quelques éléments. Je voudrais d’abord vous parler d’impunité. L’impunité est définie dans sa plus haute accession dans cette déclaration d’un repris de justice à qui un Avocat avait osé demander: «Monsieur, comment se peut-il que vous ayez maille à partir avec la justice; vous qui avez échappé de peu à la pendaison ? » Le repris de justice lui répondit «Vous savez cher Maître, il y a tellement de chance en notre faveur et tellement peu contre nous que je suis davantage surpris que vous. D’abord les chances sont élevées de ne pas être pris; si pris de ne pas être poursuivi ; si poursuivi de ne pas être jugé; si jugé de ne pas être condamné et si condamné de ne pas être pendu».
Ces propos suffisent à démontrer que l’impunité est la sève nourricière du crime. Elle est pour le crime ce qu’est le Nil pour l’Egypte.
Au Mali, l’impunité résulte de la paralysie de la Justice dans les zones où l’insécurité règne en maître. Ailleurs, elle est le fruit de nombreux dysfonctionnements du service public de la justice.
J’illustre mon propos par les tueries de Haguel Hoc en 2011, l’affaire des 16 prêcheurs mauritaniens et maliens tués en 2012, la mort suspecte du jeune Fousseyni Ouattara le 19 août 2012, les chamiers non encore refroidis de Sokolo, Dioura, Dogo, … Dans ces affaires tragiques, la réponse pénale appropriée se fait attendre.
L’impunité est aussi induite par le projet de loi d’entente nationale à travers ses articles 3 et 4. De la lecture combinée de ces textes, il résulte que les crimes isolés non imprescriptibles peuvent être «exonérés ». De notre point de vue, les exonérations de poursuites devraient concerner les crimes contre la chose publique (Attentats et complots contre le gouvernement, crimes portant atteinte à la sécurité intérieure de l’état ou à l’intégrité du territoire par la guerre civile, l’emploi illégal de’ la force armée, la dévastation et le pillage public).
L’impunité explique, pour une grande part, la résurgence de la vindicte populaire et de la justice privée. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, une mère a perdu trois (3) de ses fils le 30 octobre courant à Doumanzana, lynchés pour avoir eu le malheur d’être assimilables à des voleurs. Mais entendons-nous bien; le sentiment d’impunité peut expliquer la justice populaire; elle ne peut en aucun cas la justifier.
Je voudrais ensuite vous parler des violations des droits humains inhérents au terrorisme mais aussi à la lutte contre ce fléau. Dans leur projet diabolique et ubuesque, les terroristes n’épargnent pas les civils. Les Engins Explosifs improvisés sèment la mort presque quotidiennement et n’épargnent ni les femmes, ni les enfants. Nos braves militaires dont nous saluons le courage et le sacrifice sont tués en violation flagrante des règles du Droit International Humanitaire.
Il faut oser le dire, le contre – terrorisme a aussi son lot de violations des droits de l’Homme. On ne saurait passer sous silence les allégations d’exécutions sommaires imputées à nos forces. Les allégations de tortures et autres mauvais traitements infligés aux présumés terroristes.
A titre d’illustration, je voudrais citer les actes de tortures avérés sur Monsieur Amadi Amadou Ba, ressortissant de Diondiori; Wangara Dianka SOW, ressortissant de la Commune rurale de Toguéré-coumbé Cercle de T énékoun.
Notre conviction est faite: la victoire sur I’ obscurantisme passera inéluctablement parle cœur de nos concitoyens pris dans l’étau infernal de la barbarie ! Le droit au procès équitable surtout dans un délai raisonnable est constamment violé au Mali. Je voudrais simplement rappeler ici le cas emblématique du nommé Y oussouf Diarra détenu provisoirement plus de 12 ans (2006-2018). Il a recouvré sa liberté grâce à l’intervention de Monsieur le Procureur Général près la Cour d’Appel de Bamako que la CNDH salue pour sa bonne collaboration.
Dans l’affaire dite des 21 bérets rouges disparus, parties civiles et accusés courent après la justice. Les premières veulent légitimement savoir comment leurs proches ont disparu; les seconds se prévalent du droit fondamental « d’être jugé dans un délai raisonnable ou d’être libéré» comme le prescrit l’article 9 paragraphe 3 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. La Justice doit impérativement veiller sur les droits humains des deux parties et aider notre armée à tourner cette page douloureuse de son histoire.
Monsieur le Président du Jury,
Honorables membres du jury,
Je voudrais vous évoquer les assassinats ciblés dans nos villes et campagnes. Pour ne parler que des cas les plus récents, je rappelle avec émotion feus Adjudant-Chef Abdoul K TOURE, AbdoulayeOumar Maiga et son garde de corps lâchement assassinés à Gao en novembre dernier
Je voudrais vous entretenir de l’esclavage par ascendance principalement au nord du pays et dans la région de Kayes. Ainsi, la CNDH exprime-t-elle sa très vive préoccupation suite aux multiples allégations d’exactions commises sur des citoyens s’élevant contre leur condition« d’esclaves» par ascendance dans de nombreuses localités de la région de Kayes.
Je voudrais vous parler de ces milliers d’enfants privés du plus élémentaire des droits mais qui dès fois conditionne beaucoup de droits : le droit à l’éducation.
La CNDH loue les efforts personnels du Chef du Gouvernement pour l’ouverture de certaines écoles dans le centre du pays mais déplore la fermeture à ce jour de centaines d’autres.
Dans d’autres écoles ouvertes, les enfants et les enseignants manquent de tout. Je m’en voudrais de ne pas évoquer ici, ces enfants de Samé, Ouolof, à seulement 12 km de la ville de Kayes, qui apprennent à même le sol en ce 21 ème siècle !
Je voudrais vous parler de ces nombreux citoyens qui ont perdu la vie parce qu’on voulait juste leur retirer de force une moto Djakarta, vendue quelques instants après à quelques milliers de FCF A !
Je voudrais vous parler des cas isolés de tortures dans nos établissements pénitentiaires et unités d’enquête. A ce propos, la CNDH remercie et félicite le Directeur National de l’Administration Pénitentiaire pour la lettre circulaire rappelant l’interdiction absolue de la torture. Je voudrais vous parler de ces citoyens qui ont le malheur d’habiter dans les zones abritant les transits et dépôt d’ordures (Lafiabougou et Médine).
Je voudrais vous parler des millions de maliens qui n’ont pas accès à des soins de qualité en dépit de tous les bienfaits de l’AMO !
Je voudrais vous parler de ces jeunes filles mutilées ou mariées de force à l’âge de la scolarité, des milliers de femmes battues ou dépouillées du patrimoine successoral si elles n’en constituent pas tout simplement un élément!
Je voudrais vous parler des entraves à la liberté syndicale et à certains droits des travailleurs dans nombre de nos entreprises et services publics!
Je voudrais aussi et surtout vous parler des détentions illégales au niveau de la Sécurité d’Etat totalement en marge du droit. Oui, il faut oser le dire, la SE détient au secret. En dépit du mandat légal d’accès à tous les lieux de privation de liberté, la CNDH se heurte à un mur du silence.
Monsieur le Premier ministre aidez-nous à avoir une collaboration saine avec ce service important de l’Etat mais qui n’a pas reçu de l’Etat le pouvoir et la prérogative d’être au-dessus du droit dont l’Etat lui-même est soumis. En application du sacrosaint principe « nemo plus juris » nul ne peut transmettre plus de droit qu’il n’en a lui-même. En le disant nous chantons avec le poète: Marchant à la mort; oubliant calme et confort pour dire la vérité, une minute; juste une minute!
A la lumière de ce qui précède, la CNDH recommande:
– la mise à la disposition de la justice des moyens humains, matériels et financiers à la hauteur de ses missions ;
– le renforcement des structures de contrôle en vue de corriger les dysfonctionnements de la chaîne pénale ;
– l’accélération des procédures ouvertes et l’engagement sans délai d’enquêtes appropriées concernant toutes les violations graves des droits humains;
– l’adoption des mesures propres à garantir le droit à l’éducation, à un environnement sain et à la santé sur l’ensemble du territoire.
Mesdames ,et messieurs,
Il me restait tant à dire; mais en tant que Président de la Commission nationale des Droits de l’Homme, je me dois juste de respecter votre droit à ne pas être soumis à un message excessivement long, barbant et rébarbatif.
Je vous remercie de votre aimable attention.
Le Président
Maître Malick COULIBALY
Info Matin