Les dirigeants ouest-africains ont levé à Accra les sanctions qui étouffaient depuis janvier le Mali. Comment les chefs d’état se sont-ils mis d’accord sur une telle décision ? Précisions avec Niagalé Bagayoko
Les dirigeants ouest-africains ont levé à Accra les sanctions commerciales et financières qui étouffaient depuis janvier le Mali plongé dans une grave crise politique et sécuritaire. Comment les chefs d’état se sont-ils mis d’accord sur une telle décision ? Quelle évolution de la relation entre la Cédéao et le Mali désormais ? Précisions avec Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Secteur Network.
TV5MONDE : Que s’est-il joué lors de ce sommet qui a notamment entraîné la levée des sanctions contre Bamako ?
Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Secteur Network : Lors de ce sommet, il y avait une volonté de la Cédéao de retrouver une certaine crédibilité notamment aux yeux de l’opinion publique malienne qui a considérablement subi la décision prise de janvier d’adopter des sanctions économiques et financières strictes.
D’autre part, depuis plusieurs mois, un certain nombre de chefs d’État ont fait valoir que ces sanctions avaient des conséquences négatives sur leur propre économie.Je pense notamment au Sénégal.
Des États comme le Togo entretiennent aussi des relations de proximité avec le régime civil militaire malien. Les autorités togolaises ont intercédé auprès de leurs paires pour que les sanctions à l’encontre du Mali soient par ailleurs allégées. En retour, Bamako souhaitait voir le président Faure Gnassingbé agir comme médiateur dans la crise entre la Cédéao et le Mali.
Cette levée des sanctions a cependant demandé des contreparties. Je pense à l’adoption de la loi électorale, malgré le fait que 92 amendements aient été introduits par le Conseil National de Transition. Le chronogramme s’est toutefois éclairci avec l’annonce de la rédaction d’une nouvelle Constitution et de la fin de la transition annoncée fin mars 2024 et donc un délai de moins de 24 mois. On voit que ces mesures ont donc été jugées suffisamment satisfaisantes par les chefs d’Etats.
TV5MONDE : Quel est l’état des relations entre le Mali et les pays voisins ?
Elle sont très diversifiées. Dès l’annonce des sanctions, le Mali s’est assuré de débouchés avec la Guinée et du Burkina Faso qui sont également dirigés par des militaires. Ces Etats n’ont par ailleurs pas appliqué les sanctions de la Cédéao.
Le Mali a aussi veillé à soigner ses relations avec la Mauritanie qui est un acteur important qui permet d’assurer des ouvertures pour Bamako. Malgré des incidents graves qui se sont produits en début d’année avec la mort de ressortissants mauritaniens du côté de la frontière entre le Mali et le Mauritanie, le Mali a réussi a ménager le mécontentement des autorités mauritaniennes en demandant la mise en place d’une commission d’enquête conjointe.
Cependant, les relations se sont détériorées avec certains pays. Le Niger, au travers de son président et de son ministre des Affaires étrangères, ont affirmé régulièrement jusqu’à récemment et avec force du caractère illégal du régime malien. Avec la Côte d’Ivoire, les relations restent tendues. Depuis le coup de force de la junte, Alassane Ouattara a été l’un des plus insistants pour que les sanctions adoptées à l’encontre du Mali soient le plus sévère possible.
TV5MONDE : À quelle évolution peut-on s’attendre de la relation entre la Cédéao et le Mali ?
La Cédéao joue dans ce dossier-là sa crédibilité. Cependant, une attention particulière va être portée sur les dossiers burkinabé et guinéen. C’est là que réside tout le défi pour la Cédéao, celui de ne pas apparaître comme une organisation qui applique une position de deux poids deux mesures.
Malgré les coups d’état qui sont aussi intervenus au Burkina Faso et en Guinée, la Cédéao n’a jamais adopté des sanctions aussi sévères que celles qu’elle a pu adopter contre le Mali. Ce qui va se passer au Burkina Faso et en Guinée va beaucoup peser sur la relation qui va s’établir entre le Mali et la Cédéao.
Il ne faut pas oublier aussi que le représentant de la Cédéao avait été déclaré persona non grata au Mali avant l’adoption des sanctions. Il y avait donc déjà une dégradation de ces relations.
TV5MONDE : Quels enjeux politiques maliens seront particulièrement scrutés par la Cédéao prochainement ?
Je pense que tout va se jouer autour du respect du chronogramme électoral annoncé mais aussi de la façon dont la Constitution va être rédigée. La Cédéao va observer la prise en compte (ou non) des obligations attitrées aux états membres de la Cédéao au titre du protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001.
Une autre question fondamentale sera celle de savoir dans quelle mesure les autorités de la transition, et notamment le président, seront autorisées à se présenter ou pas ?
Avec la nouvelle loi électorale, il y a une possibilité pour les autorités de démissionner avant la tenue du scrutin pour pouvoir se présenter. Cependant, aujourd’hui la charte de la transition est toujours en vigueur et celle-ci interdit au président de la transition de se présenter, d’où l’enjeu que va constituer la rédaction de cette nouvelle constitution.
TV5MONDE : La levée des sanctions soulagera-t-elle sensiblement les Maliens ?
Les sanctions ont été très douloureuses mais sans doute moins qu’attendu par la population. Il semble qu’il y ait eu un certain nombre d’amortisseurs en raison des débouchés avec la Mauritanie, le Burkina Faso ou encore la Guinée. Il y a aussi des flux de traffic illicites qui ont permis de surmonter un certain nombre de difficultés. Cette levée était toutefois attendue avec impatience notamment parce que la crainte d’un défaut de paiement a été redouté avec beaucoup d’anxiété par la population malienne.
TV5