Ne dit-on pas que le plus grand risque, c’est de ne prendre absolument aucun risque? Allez dire ça à nos brillants banquiers maliens, eux qui ont inventé un concept révolutionnaire en banque : la banque zéro risque.
Le risque est inhérent à l’activité bancaire principale: le prêt d’argent. Depuis toujours, les banques et autres institutions de prêt à travers le monde travaillent à réduire ce risque au strict minimum, avec des résultats mitigés. Dans les pays dits développés, les progrès réalisés au cours du quart de siècle passé dans l’application des technologies de l’information et de la communication à l’activité bancaire ont révolutionné la monétique et permis de réduire de manière significative le risque inhérent au prêt bancaire. En effet, ces pays ont mis en place un système efficace de partage d’informations entre les institutions financières qui permet de créer un dossier de crédit solide sur chaque citoyen. Plus que les garanties ou autres collatéraux, c’est ce dossier de crédit qui permet aux institutions de prêt de se faire une idée de la solvabilité et de la crédibilité d’un client potentiel, et informe donc leur décision de lui accorder ou non un prêt. Grâce à l’application intelligente de cette technologie, le prêt bancaire a fait un bond spectaculaire dans ces pays, à tel point que les banques et autres institutions de prêt repoussent tous les jours un peu plus loin les seuils du risque pour pouvoir survivre dans un environnement de concurrence rude et acharnée.
Cette technologie est disponible dans nos banques maliennes, qui ont fait une migration réussie vers la monétique. C’est ainsi qu’ECOBANK a commencé à installer une application sur les téléphones cellulaires de ses clients, qui leur permettra bientôt de faire toutes leurs transactions à partir de leur portable, rendant la carte magnétique caduque ou obsolète. Malheureusement, ECOBANK, comme le reste des banques opérant au Mali, fait une application très sélective de ces nouvelles technologies. En effet, en dehors de la carte magnétique pour les opérations bancaires ordinaires comme le retrait d’argent, ECOBANK n’offre pas à ses clients la carte de crédit, qui aurait pu rendre le prêt accessible aux différentes couches socioprofessionnelles de notre pays.
Par ailleurs, selon les enquêtes que nous avons menées à ECOBANK, plusieurs conditions très contraignantes et généralement inutiles doivent être remplies pour avoir un prêt, même pour un client de longue date de la banque. La première de ces conditions s’applique aux clients individuels connus dans le jargon de nos brillants banquiers sous le nom de ‘particuliers’. Pour avoir un prêt à ECOBANK, un client appartenant à la catégorie des particuliers doit être salarié: c’est la politique officielle d’ECOBANK de ne pas accorder de prêt ‘aux particuliers non salariés’. Cette condition exclut d’office du processus de prêt tous les particuliers bénéficiant de formes de paiement autres que le salaire (comme les consultants free-lance, qui n’ont ni salaire ni échéance fixe pour la rémunération de leurs services, ou les particuliers percevant des commissions sur la vente de produits ou sur la prestation de certains services).
Une fois qu’il remplit cette condition pour le moins bizarre, le particulier se trouve immédiatement soumis à une deuxième condition non moins contraignante: ECOBANK n’accorde pas de prêt aux salariés de toutes les structures. En effet, il faut non seulement être salarié pour avoir un prêt à ECOBANK, mais aussi et surtout être salarié d’une catégorie bien définie de structures, comme par exemple l’Etat, les organisations internationales, les grandes entreprises solidement implantées (les multinationales), etc. Sans surprise, c’est ECOBANK qui établit à sa discrétion absolue, une liste annuelle des structures publiques et/ou privées dont les salariés sont éligibles pour son prêt. Cette condition réduit comme une peau de chagrin le nombre de salariés éligibles pour le prêt à ECOBANK, l’objectif réel de la banque.
En plus du prêt, ECOBANK offre à ses clients salariés éligibles une avance sur salaire, qui a remplacé le découvert payable en sept jours et donc, accessible seulement dans la dernière semaine du mois (la semaine du paiement des salaires) pour cette catégorie de clients. Bien sûr, le client particulier salarié d’une entité éligible pour le prêt à ECOBANK doit joindre à sa demande de prêt une ‘lettre de domiciliation irrévocable de salaire (ou de pension)’ à ECOBANK. Voilà toutes les conditions qu’un particulier doit remplir pour prouver à ECOBANK qu’il a un ‘revenu régulier’ et donc, qu’il est éligible pour le précieux prêt dont il a tant besoin, à condition bien sûr, qu’il ait une garantie (cela dépend du montant demandé). La garantie comme condition peut ne pas s’appliquer aux petits prêts comme par exemple l’avance sur salaire pour les particuliers salariés ou le découvert remboursable en sept jours ou les petits contrats au délai de paiement court pour les entreprises. Avec donc un salaire d’une entité jugée sure domicilié chez elle et une garantie le cas échéant, ECOBANK peut être sure à 100% qu’elle ne court aucun risque à accorder un prêt à un particulier, même en cas de force majeure comme une catastrophe naturelle ou humaine majeure. Voilà comment ECOBANK a réduit le risque lié au prêt pour les particuliers détenteurs de compte chez elle à zéro.
ECOBANK réserve cependant une dernière chance aux ‘particuliers non salariés’. Pour cela, il faut que le ‘particulier non salarié’ ait une entreprise, auquel cas il cesse d’être ‘particulier non salarié’ pour devenir une entreprise. Mais là ne s’arrête pas son parcours du combattant: il faut non seulement que le particulier non salarié ait une entreprise pour être éligible pour le prêt à ECOBANK, mais aussi et surtout que son entreprise ne soit pas une ‘start-up’, une jeune pousse, le gros mot dans le jargon sophistiqué de nos chers banquiers pour désigner une nouvelle ou jeune entreprise. Eh oui chers lecteurs, c’est une autre politique très officielle de notre très chère ECOBANK de ne pas accorder de prêt aux start-up.
Si malgré tout le particulier non salarié a une entreprise, et que son entreprise n’est pas une start-up, ECOBANK peut lui faire un prêt, mais à une condition supplémentaire: que son entreprise non start-up figure sur sa liste des entreprises à accompagner cette année là. En effet, selon nos enquêtes, c’est une autre politique officielle de notre très chère ECOBANK d’établir au début de chaque année une liste d’entreprises à accompagner, et les clients ne figurant pas sur cette liste sont d’office exclus du processus de prêt. Un simple click sur un bouton d’un des ordinateurs de la banque permet à n’importe quel employé de savoir si une entreprise non start-up est sur cette liste très selecte et forcément restreinte des privilégiés du prêt à ECOBANK. Quelles conditions doit donc remplir une entreprise non start-up pour figurer sur cette liste? Mystère, mystère. Malgré tous nos efforts, nous n’avons pas pu obtenir de réponse à cette question. Là aussi, les critères pour être sur cette liste sécrète sont définis par ECOBANK à sa discrétion absolue.
Mais une fois qu’il remplit tous ces critères (avoir une entreprise qui ne soit pas une start-up, et figurer sur la liste mystérieuse des privilégiés du prêt d’ECOBANK), le particulier entreprise non start-up peut finalement avoir un prêt, à condition qu’il ait une garantie, qui peut être une propriété (maison, terrain, etc.) ou un contrat commercial ou de travaux. Dans le cas du contrat, ECOBANK vérifie d’abord auprès de l’autre partie au contrat la validité du contrat et les échéances de paiement. Si la banque se satisfait de cette vérification, le particulier entreprise non start-up aura son prêt, à une dernière condition évidente: que le particulier entreprise non start-up détienne ou ouvre un compte à ECOBANK dans lequel l’argent du contrat sera intégralement viré. Bien entendu, tout cela ne servirait à rien si la demande de prêt du particulier salarié ou entreprise non start-up coïncide avec le moratoire périodique que la banque décrète unilatéralement sur le prêt au moins une fois par an. Pendant cette période prétendument d’audit de son système de prêt, mais en réalité d’activité intense et effrénée sur le marché financier international, ECOBANK refuse d’accorder le moindre prêt, quel que soit le demandeur. Au bout de ce parcours du combattant, le client salarié ou entreprise non start-up peut finalement avoir son prêt au taux d’intérêt exorbitant de 11% qui, avec les différents frais, tourne en réalité autour de 17%.
Pour compenser cette quasi absence de l’activité économique réelle dans notre pays, ECOBANK offre chaque année un prêt ramadan pouvant atteindre un million FCFA au taux d’intérêt mirobolant de 0% à ses particuliers salariés. Connaissant les rapports de notre très chère banque à l’argent facile, nous avons trouvé cette générosité pour ne pas dire cette largesse très suspecte. Nous avons retourné la roche et découvert une anguille aussi grosse que la colline de Koulouba, sous la forme de frais de traitement de dossier de 73 000FCFA, plus l’inévitable taxe de 0,17% sur lesdits frais de traitement (12 410 FCFA), et l’assurance de 4 000 FCFA, qui amènent votre total remboursable à 89 410 FCFA pour un prêt d’un million FCFA. Si vous déduisez de cette somme les frais de traitement réels d’un dossier de prêt ordinaire (10 000 FCFA) et l’assurance et les taxes, vous vous retrouvez en réalité avec des frais de traitement exorbitants de 63 000 FCFA. Voilà le moyen que les brillants stratèges de notre très chère ECOBANK ont trouvé pour vous faire payer un taux d’intérêt de 6,3% sur votre prêt ramadan à taux zéro.
A sa décharge cependant, ECOBANK n’est pas la seule banque opérant au Mali à appliquer ce genre de critères farfelus et complètement ridicules au prêt. Toutes les banques maliennes appliquent plus ou moins les mêmes critères. La grande terreur du banquier malien est d’être obligé d’accorder un prêt au client qui, au bout du parcours héroïque décrit ci-dessus, se rend éligible pour un prêt. Un concept aussi anti-prêt et donc anti économie nationale que celui de la banque zéro risque si cher à nos brillants banquiers ne peut que générer de la surliquidité de façon quasi permanente. Mais que diable font nos très chères banques de cette surliquidité à part s’en vanter à tout bout de champ? Nous avons posé cette question cruciale à ECOBANK, à la BICIM, à et Établissements Financiers du Mali, et à la BCEAO, mais n’avons obtenu aucune réponse. Dans notre prochain article, nous vous donnerons donc notre réponse à cette question existentielle pour notre pays.
Kandioura
La rédaction