À l’occasion de la journée internationale de la philosophie célébrée chaque troisième jeudi du mois de novembre, la Faculté des Sciences Humaines et des Sciences de l’Éducation (FSHSE) de Bamako a organisé une grande conférence de presse. Le thème retenu était « Construire la paix dans l’esprit des femmes et des hommes ». Il y a eu quatre communications majeures autour de ce thème. C’était le jeudi 15 novembre 2018 à l’université de Kabala.
Étaient présents, Dr Abbé Clément Loa, Président de l’UCAO, Dr Belko Ouologueum, chef de département philosophie de la FSHSE, Dr Ibrahim Sagayar Touré, professeur à l’École Normale Supérieure, Dr Abbé Cissé Robert, doyen de l’UCAO, Tamba Doumbia, doyen de la FSHSE, etc.
Le chef de département de la FSHSE n’a pas manqué de faire remarquer que la grande mobilisation d’hier matin témoigne l’engagement de tous pour la philosophie parce que, dit-il, nous « respirons de la philosophie ». Il a précisé le contexte d’institutionnalisation de cette journée par l’Unesco. Il justifie le choix de ce thème dans un contexte malien marqué par des conflits de part et d’autre dans le pays.
Dr Badié Hima, Professeur à la faculté des sciences Humaines et des Sciences de l’Éducation, dans ses propos préliminaires note que le travail des professeurs de philosophie consiste à la formation des esprits, ce qui sous-entend la paix. La paix n’est pas pensable sans le droit et la liberté démocratique, a-t-il précisé. « Toute réflexion qui ne met pas en corrélation ces trois concepts n’est pas une réflexion féconde », a-t-il rassuré. L’aspiration à la paix traverse toute l’histoire de la philosophie, explique Badié Hima. La première loi de nature chez Hobbes, c’est l’inclination à la paix. La philosophie hobbesienne n’est pas une philosophie de la guerre comme on le laisse couramment entendre, remarque le conférencier.
Chez John Locke également, la loi de nature qui est opposée au droit de nature veut la paix, précise-t-il. Les libertés individuelles, l’état de droit démocratique, les institutions démocratiques fortes ont également été au centre des réflexions de Badié Hima pour l’instauration de la paix. Le musellement de la liberté de pensée peut entraver l’accès à la paix, martèle-t-il. « La liberté de penser est le véritable palladium de la paix, de la sécurité », rassure le conférencier. Être à l’abri de la faim est un droit fondamental pour chaque individu. L’instauration des débats publics est essentielle à l’instauration d’une paix durable, selon Amartya Sen précise Dr.Hima.
Quant à Dr Gabriel Tata, celui-ci a procédé à « une relecture épistémologique de nos traditions africaines ». Le conférencier s’interroge sur la place de l’oralité dans la construction de la paix. M. Gabriel Tata s’est adonné à critiquer les méthodes adoptées en vue d’instaurer la paix dans le monde. Des guerres intempestives partout dans le monde, mais jamais de paix. Les cousinages à plaisanterie, l’esprit de « Sanakounya », etc, faisaient la beauté du Mali. L’institution qui existait également au sein de ces sociétés, c’était l’arbre à palabre qui reconnaissait le droit à la parole à tous les citoyens. Ces méthodes peuvent permettre d’instaurer la paix dans nos communautés. C’est cette méthode qui a aidé les Béninois à instaurer la paix à travers les conférences nationales, a-t-il tenu à préciser. Il recommande l’encouragement du mariage interculturel. Cela pourra éviter les guerres interculturelles parce que les arbres généalogiques se rencontreront. Nos réalités endogènes peuvent être récupérées pour recoudre le tissu social malien, martèle le conférencier.
De son côté, Abdou Mahmoud, Professeur à l’ENSup, a tenu à exposer sur le sous-thème « philosophie, conflit et culture de la paix ». Il fait à ce titre remarquer que l’État doit jouer un rôle central dans la construction de la paix. La liberté d’expression doit être accordée aux philosophes afin qu’ils participent au débat public pour apporter des solutions aux conflits dans la société. L’accentuation des conflits relève en grande partie de l’esprit de vengeance à toute la communauté à laquelle appartient un criminel.
Outre cela, le conférencier a évoqué la persistance de la justice de la rue. « La violence est banalisée », dit-il. Ces tares sont liées à des préjugés interethniques transmis de génération en génération. À partir de ces préjugés, la déviance, la méfiance fait règle. Tous ces problèmes relèvent de la responsabilité de l’État, conclut-il.
Enfin, Dr Dicko Alassane Gakoé, Professeur à la FSHSE, a soutenu que le Mali a été victime en 2012 d’une invasion internationale. Depuis là, « c’est le dépérissement lent et sûr de l’État malien », a-t-il déploré. Derrière les groupes terroristes se cachent des grandes puissances internationales, précise-t-il. C’est un véritable « tsunami » qui s’empare du monde, martèle-t-il. Tous ceux-ci relèvent de l’effondrement des valeurs d’éducation, a-t-il expliqué. Une fois que celle-ci est bien menée, on peut arriver à déconstruire les préjugés, c’est-à-dire les idées préconçues. C’est le manquement de la raison aux hommes qui explique tout cet effondrement, remarque-t-il. La culture de la médiocrité est responsable de tous ces phénomènes : les politiques ne connaissent pas la politique, les religieux ne maitrisent pas parfaitement l’histoire de toutes les religions, etc. ; déplore le conférencier.
Le Mali est un pays pauvre, mais très riche et c’est pourquoi il se trouve envahi, réitère M. Gakoué. Les histoires africaines, maliennes sont enseignées pour que nous soyons fiers de nous-mêmes, mais aujourd’hui le Malien a honte de lui-même d’où la multiplication des doubles nationalités, a-t-il conclu.
Cette grande journée s’est achevée par un grand débat autour de la thématique abordée. Ceci a été l’occasion aux uns et aux autres de mieux fortifier leurs acquis.
Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays