Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, général Salif Traoré dresse le tableau de la situation sécuritaire du Mali, la mise en œuvre de la loi de programmation de la Sécurité intérieure (Lpsi) ainsi que les rapports entre forces de sécurité et populations. Le général Traoré a surtout été amené à répondre à ceux qui ont appelé à sa démission suite aux événements tragiques de Niono.
Le Prétoire : La situation sécuritaire dans le pays demeure préoccupante, particulièrement au Nord et au Centre. On assiste souvent à des attaques contre la population, des affrontements entre les communautés, n’est-ce pas la conséquence de l’absence de l’Etat sur toute l’étendue du territoire national ?
Général Salif Traoré : Effectivement, nous avons en charge la protection des personnes et de leurs biens. Il faut préciser que la sécurité par essence est transversale. Il ressort de la responsabilité de chacun. Ainsi, au niveau du Gouvernement, un ministère a été créé en relation pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens sur toute l’étendue du territoire national avec le ministère de la Défense. Il est vrai que la situation est très critique aujourd’hui.
Notamment dans la partie centrale. Je veux parler de toute la région de Mopti et une bonne partie de la région de Ségou. A ce niveau, il est vrai que nous enregistrons régulièrement des attaques. Nous notons quelques conflits de coexistence.
Quand je parle de conflit de coexistence, il s’agit des communautés qui s’affrontent. Cela peut donner l’impression que c’est des conflits intercommunautaires, mais je crois que notre pays est au-dessus de tout cela. Nous préférons parler de conflits de coexistence, parce que nous voyons une main négative derrière tout ça.
Ces situations nous emmènent à dire que la situation est assez difficile. Il y a des efforts en cours pour décanter la situation et ces efforts seront maintenus. Je pense que vous êtes des observateurs avisés. Vous savez d’où nous venons. Au moment où ce régime accédait au pouvoir, le pays était dans des difficultés extrêmement complexes. Au point que l’appareil de sécurité a été totalement débrayé.
Les services de sécurité avaient quitté une bonne partie du territoire. Alors, remettre tout cela en place demande du temps. Et malheureusement, nous sommes dans un contexte où le temps n’est pas notre meilleur allié.
Il faut faire en très peu de temps. Souvent avant même de préparer les gens, il faut les déployer pour qu’ils assument leurs fonctions. Nous sommes dans un environnement sécuritaire très hostile, car les terroristes et les bandits aussi s’organisent de mieux en mieux. Ils bénéficient de soutiens et de complicité.
Tout cela fait que le redéploiement des services sociaux de base et les services de sécurité ne sont pas à hauteur de souhait.
Certaines choses se sont passées parce que l’Etat n’était pas là. C’est une évidence, on ne va pas le nier. Il y a des endroits où il n’y avait plus de police ou de la gendarmerie, ni d’école. Mais vous avez pu le remarquer lors de l’élection présidentielle. Nous avons pu tenir les élections dans ces zones parce que l’Etat et les services de sécurité étaient là.
Que peut-on retenir comme acquis dans la mise en œuvre de la loi de programmation de la Sécurité intérieure ?
Effectivement, au niveau de ce département, nous avons une loi d’orientation et de la programmation de la sécurité intérieure 2017-2021. Il s’agit d’une loi de planification des investissements, des acquisitions, la formation et le recrutement. Nous avons commencé en 2017. Et vous avez dû constater que chaque année nous faisons des recrutements au niveau de la police et de la protection civile. Ce qui nous a permis de multiplier notre effectif, pratiquement par deux. Aujourd’hui, quand vous faites un tour au niveau des différents commissariats, des brigades ou des pelotons de garde, partout il y a des véhicules qui sont là. Parce que le gouvernement, à travers cette loi, est en train d’investir dans les équipements. Aussi, je signale que presque tous les policiers ont, aujourd’hui, des armes individuelles. A noter aussi que beaucoup d’infrastructures ont été réalisées grâce à cette loi. Nous organisons aussi des formations pour les forces. Tout cela grâce à cette loi.
Par ailleurs, je rappelle que la loi nous exige de passer chaque année devant l’Assemblée nationale pour rendre compte de ce que nous faisons. Le Conseil supérieur de défense est aussi informé des avancées.
Officiellement, le mouvement Dan na Ambassagou n’existe plus, cette décision du gouvernement semble être la pomme de discorde entre vous autorités et la population. On a l’impression que la population accorde plus de crédit à ce mouvement qu’au gouvernement. Que pensez-vous de cette situation ?
Je ne pense pas tout cela. Parce que nous sommes régulièrement sollicités par les populations pour dire qu’il y a telle ou telle situation. C’est vrai que l’espace étant grand et le fait qu’il n’y ait pas de camps et de postes de sécurité en nombre suffisant, certaines populations éloignées peuvent se sentir abandonnées. Les groupes d’autodéfense étant plus proches d’elles, peuvent parfois se voir sollicitées. On peut comprendre. Mais de là à dire que ces populations font plus confiance aux groupes d’autodéfense qu’aux forces de sécurité. Non, pas du tout ! Un Etat doit s’affirmer, un Etat ne sous-traite pas sa sécurité. Ce dont nous faisons la promotion est que chacun soit un peu responsable de sa sécurité. Que les populations nous aident avec des informations et des suggestions, mais pas en voulant se substituer à nous. Car cela crée beaucoup de confusion après et par la suite, favorise la prolifération des armes que nous cherchons à combattre aussi.
Le député de Niono et le président du parti Sadi, Dr Oumar Mariko vous accusent d’être le seul responsable des événements de Niono. Peut-on savoir ce qui s’est réellement passé à Niono ?
Je salue d’abord la mémoire du commissaire Tounkara. Je salue son attitude pendant les évènements. Je présente également mes condoléances à la famille du civil qui est décédé.
Cette dramatique histoire est entre les mains de la justice. Ce qui s’est passé à Niono est très grave. C’est grave en ce sens que la population, pour laquelle nous sommes là, se retourne contre nous jusqu’à mort d’homme. Cela n’est pas compréhensible. C’est pourquoi dans la foulée, des renforts ont été envoyés pour rétablir l’ordre. Pour interpeller tous ceux qui peuvent être impliqués de près ou de loin dans cette histoire en les mettant à la disposition de la justice qui va faire le tri. Ce que je voudrais dire c’est que nous ne faisons pas d’amalgame.
Actuellement, il y a deux types d’enquêtes administratives qui sont en cours. Il y a une enquête au niveau de la police et une enquête au niveau de l’inspection des services de sécurité qui est aussi sur le terrain. La responsabilité administrative de tout un chacun va être dégagée en ce moment. S’agissant de la responsabilité du ministre, je rappelle que ma responsabilité morale est engagée à chaque fois que je perds un élément. Mais, il faut comprendre que le ministre est à un niveau politique et stratégique et que certains détails ne sont pas de son ressort même s’il a la responsabilité globale de la gestion.
Les événements malheureux de Niono relancent le débat sur le rapport souvent très tendu entre la population et les forces de l’ordre, plus précisément la police. Quelles sont les actions que votre département envisage pour éviter une telle situation à l’avenir ?
C’est une question qui revient régulièrement. Même si à chaque fois que nous lançons les concours de recrutement pour 2000 places, nous nous retrouvons avec 50 000 candidats. Au-delà du chômage, le constat est qu’il y a beaucoup de citoyens maliens qui veulent intégrer la police. Mais il se trouve qu’il y a des cas pas très souhaitables dans chaque groupe de personnes. Certains policiers peuvent avoir des comportements qui peuvent énerver les populations. Ça on ne peut pas le nier. C’est pourquoi, nous avons des inspections au niveau de la police et au niveau du département qui sont là pour connaitre ces situations. Maintenant, elles dépassent le cadre purement administratif, les intéressés vont répondre devant la loi. Mais, ce n’est pas aussi une habitude de lâcher nos éléments à la première occasion. Nous cherchons à savoir ce qui s’est passé.
Nous avons également mis en place au niveau du département une stratégie nationale de renforcement des liens de confiance entre les forces de sécurité et les populations. Si vous vous rappelez, l’année dernière, nous avons distribué dans plusieurs écoles des bandes dessinées qui retracent l’histoire des différentes forces de sécurité. Parce que nous voulons que les enfants comprennent dès le bas âge ce que c’est la police et ce qui la différencie avec la garde et la gendarmerie nationales. Qu’ils sachent que la police, la garde et la gendarmerie nationale sont leurs instruments. Une police n’existe que s’il y a une population. Donc, il ne peut pas y avoir antagonisme entre la population et la police. Ceux qui sont policiers aujourd’hui, sont des civils d’hier et vont être des civils demain. Donc, nous sommes condamnés à travailler ensemble.
C’est ce que nous essayons d’expliquer aux Maliens.
Que dites-vous à ceux qui réclament votre départ du gouvernement ?
Je n’ai pas de réaction à ce niveau. Vous savez moi, je suis militaire. Le chef suprême des Armées m’a mis ici. Ce n’est pas à moi de fuir ma mission. J’ai été toujours ouvert aux critiques et suggestions. Je veux que les choses changent et qu’il y ait de l’accalmie. Je suis conscient de la gravité de la situation actuelle, mais ensemble que nous pourrons relever le défi.
Où en sommes-nous avec les enquêtes ? Quels sont les enseignements que vous tirez du drame de Niono ?
Encore une fois, les enquêtes sont en cours. Et les enseignements à tirer sortiront de çà. Mais nous devons faire en sorte quelques-uns au niveau collectivité puissent être mécontents jusqu’à faire recours à la violence. Cela ne doit pas se faire. Et j’ai quitté Niono récemment, les discours qui ont été tenus étaient des discours forts. Les notables disent que c’est à eux la honte.
Il y a eu ces derniers temps des sinistres à répétition des camions citernes. Qu’est-ce qui explique tout ça ?
Je salue par cette occasion la mémoire de toux ceux qui ont perdu la vie lors de ces incendies. Mais c’est également l’occasion pour moi de féliciter les sapeurs pompiers. L’enseignement à tirer est que les véhicules ne sont pas dans les normes. Cela nous interpelle tous. La question de sécurité étant transversale. Nous allons assumer les nôtres. Nous sommes mêmes en train d’aller vers l’enseignement des gestes de secours dans le cursus scolaire. Nous sommes en train de nous battre pour cela. Il faut préparer les populations. Car nous avons beau avoir la volonté, nous ne pouvons pas avoir un agent de sécurité pour chaque citoyen. Il y a eu des cas où la personne qui pouvait éviter cela à l’avance était le chauffeur. Difficile d’accuser le gouvernement pour des choses comme ça. Au-delà des considérations mystiques ou sociétales, tout le monde est interpellé. Il faut que les uns et les autres, avant de monter dans le véhicule, s’assurent d’abord qu’il est en bon état. Nous sommes interpellés, chacun doit jouer sa partition.
Réalisée par
Nouhoum DICKO
Le Prétoire