Entre accusations de colonialisme et perpétuation de la Françafrique ; défense d’intérêts économiques, les interventions militaires étrangères au Sahel, notamment celle française, ne sont pas sans créer des remous dans toutes les strates de la population.
Il est vrai, les États ne se font plus la guerre, avec des armées qui s’affrontent aux frontières. Cette ère est révolue.
De même, la page des coups d’État avec leurs contrecoups de crises politico-économiques et sécuritaires est tournée.
Place à la démocratie, cette camisole de force que les États africains devaient porter à partir des années 80-90. C’était la Perestroïka à l’africaine, ce vent de démocratie qui était miroité comme le système de gouvernance le plus accompli. Avec sa naissance, s’est forgée une conscience citoyenne fortement jalouse de ses droits ; là où seuls les devoirs régnaient sans partage. Le citoyen s’est émancipé du joug accablant du pouvoir. Le pouvoir lui-même a-t-il réussi à faire autant vis-à-vis de l’extérieur ? Pas si sûr que cela.
La nouvelle guerre
Dans la démocratie prétendument salvatrice, une nouvelle guerre a fait son apparition, à savoir la guerre par procuration. Que ce soit les mouvements rebelles indépendantistes, terroristes, tout porte à croire qu’ils font tous l’objet d’une instrumentalisation justifiant une intervention étrangère dans nos pays.
Au Sahel que s’est-il passé ? Le 22 février 2011 éclate une insurrection en Libye. La tête de Kadhafi est mise à prix par les milices de Misrata armées par qui, on sait. Le Guide fait alors face à l’assaut de miliciens survoltés. Il riposte pour défendre son régime. Sans y prendre garde, il rentrait de plain-pied dans le scénario du film cataclysmique écrit pour lui. La France alors met en place sa rhétorique. Khadafi est décrit comme un parrain du terrorisme international qui a fait poser des bombes dans des avions, et qui, en cette année 2011, avait tiré sur sa population qui ne réclamait que la démocratie. Les grandes puissances devaient prendre leurs responsabilités : lui livrer la guerre et l’éliminer, s’il le faut, au nom de la démocratie et de la « responsabilité de protéger » la population libyenne.
La France a joué un rôle de premier plan dans la capture du leader libyen déchu, Mouammar Kadhafi, a annoncé le ministre de la Défense, Gérard Longuet. C’est en effet, l’armée française qui a arrêté le convoi dans lequel il se trouvait, avant que des combats entre la garde de Kadhafi et des rebelles éclatent au sol.
Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a estimé que l’opération sera terminée à partir du moment où le Conseil national de transition proclamera la libération du territoire libyen.
« Vous avez voulu la paix, vous avez voulu la liberté, vous voulez le progrès économique. La France, la Grande-Bretagne, l’Europe seront toujours aux côtés du peuple libyen », avait promis le 15 septembre 2011 le président Nicolas Sarkozy à Benghazi devant l’euphorie d’une foule acquise à l’avènement d’une « nouvelle Libye ».
L’espoir déçu
Qu’est-il advenu en lieu et place de l’idéal de démocratie ? Six ans après la chute du dictateur, la Libye s’est littéralement décomposée. Pire, les Libyens qui ont survécu aux bombardements de l’OTAN seront des milliers à mourir lentement pour avoir respiré sans le savoir les microparticules d’uranium volatilisées dans l’air, tandis que nombreux vont donner naissance à des enfants mal formés, sans bras, sans jambes… conséquence des bombes à uranium appauvri larguées sur le pays (cf : « Objectif Kadhafi », l’ouvrage de Patrick Mbeko, analyste des questions géopolitiques, paru aux Éditions Libre-Pensée, 2016).
Le même ouvrage souligne que lorsque débute la crise, le niveau de vie de la population libyenne n’a rien à envier à celui des populations occidentales. C’est le pays qui avait l’indice de développement humain le plus élevé du continent africain. Le PIB/hab était de 13 300 $, soit loin devant l’Argentine, l’Afrique du Sud et le Brésil. La croissance dépassait les 10 % et le PIB/hab augmentait de 8,5 %.
La Libye est aujourd’hui un pays complètement ruiné. Deux gouvernements et une multitude de groupes terroristes se disputent le contrôle du pays. L’enlèvement du Premier ministre Ali Zeidan à Tripoli, le 10 octobre 2013, est un triste exemple du climat chaotique qui règne dans le pays. Les dirigeants de la première heure du CNT ont fui le pays pour se réfugier à l’étranger. Les meurtres et les attentats sont devenus monnaie courante, contraignant des centaines de milliers de Libyens à trouver refuge dans d’autres villes ou dans les pays voisins
Répercussions chaotiques.
D’importantes quantités d’armements ultrasophistiqués sont sorties des magasins du Guide et déversés dans nos États.
Au Mali, une rébellion en veilleuse depuis 2006-2007, a subitement repris du poil de a bête, avec à sa tête des déserteurs de l’armée libyenne. La jonction de ces aventuriers de retour, avec la promesse ferme de création de leur État, avec les mouvements jihadistes (Ansar Eddine, mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), Al qaïda au Maghreb islamique) a conduit à l’occupation des 2/3 du territoire national.
Le coup de grâce du Mali était projeté à partir de Kona, par une grande offensive sur le Sud. C’est alors qu’intervient, au pied levé, l’Opération Serval qui a marqué un coup d’arrêt à cette offensive, le 11 janvier 2013. La France était alors le sauveur du Mali, celle par qui le pays doit sa survie. Les populations, dans la capitale, s’arrachaient le drapeau bleu, blanc, rouge, en guise de reconnaissance à l’ancienne puissance coloniale.
Des nouveau-nés étaient baptisés François HOLLANDE. Il n’était pas rare d’entendre ‘’papa HOLLANDE’’ de la bouche de Maliens euphoriques.
L’un des témoignages les plus poignants de reconnaissance a eu lieu à Tombouctou ‘’libérée’’, lors de la visite du Président HOLLANDE en compagnie de son homologue Dioncounda TRAORE, Président de la Transition.
«C’est un saint ! Tombouctou était la ville aux 333 saints, maintenant il y en a un 334e, c’est Jacques Chirac», s’enflamme Moulaye El Mihdi, le tailleur. Et François Hollande ? «Ah oui, c’est lui le président, et c’est lui le saint, pardon», s’excuse le notable avec un sourire plein de grâce.
Les critiques
Mais la lune de miel ne durera pas longtemps. Le premier clash est survenu lors de la prise de Kidal par les militaires de l’Opération Serval (en réalité Iyad Ag Ghaly et ses hommes avaient déjà abandonné la ville) qui s’est faite par opération aéroportée et sans soldat malien. Le colonel Didier DACKO (désormais général DACKO), qui commandait les opérations dans le Nord, et se trouvait alors à Gao, affirmait, excédé, «ne pas avoir été mis au courant». Ce qui est d’autant plus contrariant que la France a longtemps été soupçonnée d’entretenir une complicité particulière avec les Touareg. De plus, la présence de forces du MNLA à Kidal inquiète le reste du pays.
Lors de la visite du Président HOLLANDE à Tombouctou un responsable des services techniques de la ville, en poste pendant toute la période de présence des rebelles islamistes à Tombouctou, résume le sentiment général :»tout le peuple malien a besoin d’éclaircissements au sujet du MNLA (et de sa présence à Kidal, dans le nord). Il ne faudrait pas dire qu’on nous ait libérés pour nous imposer une autonomie du MNLA».
À cette question, François HOLLANDE s’engage sur le fait que la France «n’a pas vocation à rester» au Mali, et cédera dès que possible la place aux militaires de la Misma (force africaine avec soutien international) et à l’armée malienne, qui «contrôlera tout le territoire national».
En fait de céder, l’Opération Serval a été remplacée par Barkhane dont la mission exclusive est la lutte anti-terroriste dans l’espace sahélien.
Nonobstant la pertinence de la présence de cette Force du fait d’une capacité de nuisance de plus en plus importante des mouvements terroristes et de l’incapacité des FAMa à couvrir l’ensemble du territoire, l’intervention étrangère reste sujet à caution.
Désormais, l’accusation de colonialisme n’est pas rare, surtout envers la France, à qui on prête l’intention de vouloir perpétuer la « Françafrique ».
Selon Oumar Diallo, un Burkinabé, cité par Philippe PERNOT|Orient Le Jour : « Je suis contre cette présence militaire (dans le Sahel), car elle est un moyen armé pour assouvir les desseins inavoués de l’ancienne puissance coloniale. Les interventions dans le centre du Mali ou à Ouagadougou pour stopper l’invasion jihadiste sont un leurre. La réalité est que la France ne veut pas résoudre les conflits armés, mais les « gérer », les instrumentaliser ».
Certains, au sein de la population, accusent la France de vouloir défendre ses intérêts économiques, notamment les exploitations d’uranium d’Areva au Niger.
Au Mali également, de forts soupçonnent pèsent sur la puissance libératrice quant à l’exploitation en catimini de ressources minéralogiques.
La Force conjointe du G5 Sahel, réponse de la France, permettra-t-elle de se sortir de l’imbroglio dans lequel elle s’est fourrée ? C’est naturellement que l’ancienne puissance coloniale du Sahel dirige les efforts diplomatiques dans la région, puisqu’elle a réussi à entraîner l’Union européenne dans la danse pour former les forces de sécurité (armée, police, gendarmerie) au Mali et au Niger, à travers l’EUTM.
Cela suffira-t-il à faire oublier que les interventions étrangères consistent à éteindre ici le feu allumé ailleurs ? Rien n’est moins sûr.
Par Bertin DAKOUO
Source: info-matin