Appels à l’indépendance, combats contre l’armée, fonctionnaires exécutés ou pris en otages: les rebelles touareg continuent de défier l’Etat malien à Kidal, berceau de mouvements indépendantistes qui échappe encore en partie au contrôle de Bamako.
Kidal se trouve sur un vaste territoire du nord du pays appelé Azawad par les Touareg, nomades d’origine berbère vivant à cheval sur plusieurs Etats au Sahara.
Des membres de cette communauté ont formé le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui, avec d’autres groupes armés, a été engagé dans des affrontements meurtriers avec l’armée malienne le 17 mai à Kidal, alors que le Premier ministre Moussa Mara y était en visite.
L’attaque à Kidal, qui a fait 36 morts selon Bamako, “n’est ni plus ni moins qu’une déclaration objective de guerre à l’Etat du Mali“, a lancé lundi le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, en précisant que Bamako ne renonçait cependant pas à ses engagements de dialogue avec les mouvements armés.
“C’est le Mali qui a occasionné les affrontements”, et le MNLA a défendu ses positions, a dit à l’AFP le vice-président du MNLA, Mahamadou Djéri Maïga. “Nous ne sommes pas dans la logique d’une guerre. Nous sommes dans la logique de chercher la paix”, a-t-il soutenu.
De sources militaires, l’envoi de renforts à Kidal est en cours depuis le 17 mai et devrait se poursuivre. 1.500 soldats maliens y sont arrivés depuis dimanche.
Mais peu de sources interrogées sur le sujet par l’AFP à Bamako et à Paris croient à une nouvelle guerre dans une région ayant connu en cinq décennies plusieurs rébellions indépendantistes touareg, dont le MNLA est la dernière émanation.
Cette situation illustre surtout la difficulté pour le Mali à imposer son autorité dans ces zones depuis son indépendance, en 1960.
Ce qui s’est passé à Kidal le 17 mai “est un affront que le gouvernement veut laver. (…) L’opinion malienne est vraiment braquée, le gouvernement est obligé de montrer ses muscles”, estime Naffet Keïta, anthropologue malien.
“Après les rébellions touareg des années 1960, 1990 et d’aujourd’hui, le gouvernement veut trancher le noeud gordien, et il (en) a les moyens”, ajoute-t-il.
– Situation ‘très délicate’ –
Les dernières violences ont suscité dans le pays des manifestations hostiles à la France et à la mission de l’ONU au Mali (Minusma), dont des forces sont déployées notamment dans le Nord, dans le cadre d’une intervention internationale en cours depuis janvier 2013.
Cette opération a permis de chasser des grandes villes les groupes jihadistes qui avaient occupé le nord du Mali pendant près de 10 mois, en profitant d’une offensive menée par le MNLA.
La France, qui a déployé jusqu’à 5.000 hommes au Mali pour cette intervention, était en train de réduire son contingent pour le redéployer dans le Sahel. Mais ce processus a été décalé de quelques semaines en raison des derniers évènements et des renforts vont être envoyés à Kidal, qui comptera bientôt “un peu moins d’une centaine” de soldats français, a indiqué Paris mardi.
Dans le même temps, le processus de dialogue entre Bamako et les groupes armés du Nord, amorcé par un accord signé à Ouagadougou en juin 2013, est au point mort, même si chaque camp affirme demeurer ouvert aux discussions.
Le Mali a nommé en avril un négociateur en chef, “mais ensuite il ne se passe rien. Du côté de Bamako, il n’y a clairement pas de grande volonté de négocier. On veut reprendre la situation en main mais sans négocier”, avance Pierre Boilley, un historien français spécialiste des Touareg.
Selon André Bourgeot, ethnologue français également spécialiste des sociétés touareg, “la situation est très délicate”, avec la rébellion qui “développe un discours victimaire et génocidaire” alors que “beaucoup de Maliens en ont marre du MNLA”.
Ces derniers jours, le gouvernement malien a régulièrement expliqué vouloir renforcer la présence de l’Etat dans le Nord sur tous les plans, notamment militaire et administratif – une mission de longue haleine, au regard des moyens requis et de la déliquescence des institutions datant déjà d’avant la crise.
“Pour prendre Kidal, il faut contrôler quatre axes routiers importants” sur la durée, ce qui était impossible “dans un passé plutôt récent” à l’armée malienne sous-équipée et manquant d’hommes, relève une source militaire étrangère.
L’évolution de la situation dépendra aussi de l’attitude des forces internationales sur le terrain (France, ONU), mais également de médiateurs officiels ou parallèles dans la crise: Burkina Faso, Algérie ou Maroc.
Par Serge DANIEL à Bamako, avec Cécile FEUILLATRE à Paris | AFP