Dans un entretien exclusif, Modibo Sidibé, ancien Premier ministre et initiateur de l’Initiative Riz, revient sur les différents contours de cette opération à succès. Il ne manque pas de souligner, au passage, la mauvaise foi des adversaires dont le dessein est politique.
Quels étaient les objectifs de l’Initiative Riz ?
Modibo Sidibé : Pour la campagne agricole 2007/2008, l’objectif de l’Initiative Riz était d’augmenter significativement la production de riz, et d’atteindre 1.618.323 tonnes de riz paddy, ce qui représenterait une hausse de 50% par rapport à la production de la campagne 2007-2008. Ce niveau de production devait permettre de dégager un (1) million de tonnes de riz marchand, de couvrir les besoins alimentaires internes du Mali estimés à 900.000 tonnes et de dégager un excédant commercialisable de 100.000 tonnes de riz marchand destiné à la vente hors du pays.
Quelles stratégies ont été mises en œuvre pour atteindre les objectifs de production ?
La stratégie de production a consisté à accroître la productivité des différents systèmes de production par la subvention aux intrants agricoles (engrais et semences) ; le préfinancement des équipements ; le renforcement de l’appui-conseil ; l’appui au fonctionnement de certaines structures de production. En somme, la stratégie commerciale de l’Initiative Riz consistait à éviter une baisse drastique des prix au producteur, tout en garantissant la stabilité des prix pour les consommateurs.
L’Initiative Riz a coûté combien au total ?
Au terme de la campagne agricole 2008/2009, le coût de la mise en œuvre de l’Initiative Riz s’est établi à 34 543 685 957 de Fcfa dont
13 147 685 957 Fcfa (Etat) et 21 396 000 000 de Fcfa (producteurs). Ces montants ont été validés par le Vérificateur général dans son rapport de 2009.
Pourquoi parle-t-on de 42 milliards ?
C’est le coût global prévisionnel qui avait été estimé à 42,65 milliards de Fcfa, selon la clef de répartition suivante : Etat, 11, 41 milliards ; et les producteurs : 31,24 milliards. Généralement, il y a toujours une différence entre les estimations de coûts d’un projet au départ, et les coûts de réalisation du projet. Les premières sont des hypothèses de travail, alors que les secondes résultent de la mise en œuvre concrète.
Comment l’Initiative Riz a-t-elle été financée ?
Le financement de l’Etat s’est établi à 9 598 703 953 de Fcfa sur Budget National, et la contribution des producteurs à 21 396 000 000 de Fcfa. Les partenaires techniques et financiers ont aussi contribué à hauteur de 3.599.199.187 de Fcfa pour le Canada, le Royaume des Pays Bas et la BAD. Les appuis directs des PTF aux producteurs étaient de 968 500 000 de Fcfa pour le Pnud, la Fao, le Danemark et la Banque mondiale.
Quels ont été les résultats de l’Initiative Riz ?
C’est d’abord l’extension de l’Initiative Riz au maïs, au blé et au coton au cours de la campagne agricole 2009-2010. Ensuite, la subvention engrais a été étendue à ces cultures ; et il y a l’accélération de la dissémination du Nérica. À ce sujet, les surfaces ont considérablement augmenté passant de 3 000 ha en 2006 à 11 000ha en 2008, soit un accroissement de 366%. En outre, d’importateur net de semence de Nérica, le pays est aujourd’hui autosuffisant et dispose d’un excédent de stock. Quant à l’accessibilité aux engrais, la disponibilité et l’accessibilité des engrais dues à l’Initiative Riz ont permis d’approvisionner 52% des producteurs de riz qui n’avaient aucune possibilité d’accès à ces intrants. L’engouement suscité chez les producteurs lors de la campagne 2008-2009 s’est traduit par une augmentation de l’utilisation des engrais (de 19,53%, par exemple, dans la région de Ségou), ainsi que des superficies cultivées (de 48,24% dans la région de Mopti et de 15,82% dans la région de Ségou).
Quels ont été les impacts significatifs de l’Initiative Riz ?
Les impacts de l’Initiative Riz sont nombreux. Je peux citer les impacts pour les producteurs. En effet, le niveau élevé des prix a procuré aux producteurs des revenus plus importants pour la satisfaction de leurs besoins en équipements. Au niveau des consommateurs, il faut noter que le consommateur malien a bénéficié du prix du riz le plus bas de la sous-région, dans un contexte de hausse généralisée des prix des produits de première nécessité. Les écarts ont varié entre 100 et 150 Fcfa/kg.
S’agissant des opérateurs économique et autres prestataires, il convient de signaler que les commerçants de riz et les autres prestataires (transporteurs, banques, fournisseurs d’équipements, transformateurs, etc.) ont enregistré une augmentation considérable de leurs chiffres d’affaires. En termes d’impacts toujours, il y a eu une amélioration du taux de mécanisation. De fait, l’équipement des producteurs en matériel agricole a permis d’augmenter considérablement les surfaces exploitées et améliorer le respect du calendrier agricole. Par exemple, le placement de 50 motoculteurs en zone Office du Niger a permis l’exploitation de 2 021 ha, soit en moyenne 40 ha par motoculteur. Il est à noter que depuis plus de deux ans, les marchés de consommation sont correctement approvisionnés en riz local ; le Mali a exporté, à travers le PAM, des céréales (mil et riz) vers d’autres pays. En 2010, contrairement à la pratique des années antérieures, le Mali n’a exonéré aucune importation de riz.
Quelle évaluation a-t-elle été faite de l’Initiative Riz ?
Le Vérificateur général a procédé à une vérification financière et de performance de l’Initiative Riz. Ses conclusions ont été rendues publiques dans le rapport 2009 du Bureau du Vérificateur général. Elles ont été mises en ligne sur son site web. Le rapport fait le constat des insuffisances ayant marqué la mise en œuvre de l’Initiative Riz mais établit que les objectifs de production ont été globalement atteints pendant la campagne 2008-2009, dans les régions de Ségou et de Mopti. Par rapport aux prévisions, les taux de réalisation ont été de 106,98% dans la région de Mopti et de 93,4% dans la région de Ségou. Concernant la campagne 2007-2008, les taux d’accroissement étaient de 79,28 dans la région de Mopti et de 22,22% dans la région de Ségou, en considérant les données du rapport de l’Enquête Agricole de Conjoncture (EAC). Les riziculteurs ont amélioré leurs revenus nets grâce à l’Initiative Riz, même si l’objectif d’une augmentation des revenus de 66,67% pendant la campagne 2008-2009 n’a pas été dans l’ensemble atteint.
Donc l’Initiative Riz a été plutôt un succès ?
Le taux de réussite atteint se fixe globalement à 99% selon les données du Bilan de la campagne agricole ; et à un peu plus de 80% pour les données de l’Enquête Agricole de Conjoncture (EAC). Un projet qui atteint 80% de réussite dès la première année est normalement considéré comme une réussite. Par ailleurs, au cours du Forum Agri Business 2010 à Kampala (03-07 2010), l’Initiative Riz a été primée par EMRC (European marketing Center for Research and consulting). Ce prix est destiné à saluer les efforts d’individus ou d’organisations qui ont contribué de manière exceptionnelle au développement économique et social dans leur pays et région.
Sur quoi repose la polémique à propos de l’Initiative Riz et que vise-t-elle ?
En dépit des faits, les adversaires de l’Initiative Riz s’accrochent au coût estimatif du projet et rejettent toutes les explications. L’objectif visé par eux est politique : il s’agit de nier l’évidence et tenter de compromettre la réputation d’intégrité de Modibo Sidibé. Si l’Initiative Riz avait été l’échec dénoncé, le gouvernement n’aurait pas décidé de l’étendre au maïs, au blé et au coton en 2010. On ne reconduit pas une opération qui a échoué ! Maintenant, que ceux qui sont contre l’Initiative Riz annoncent publiquement leur volonté de ne plus subventionner les engrais et soutenir l’effort d’équipement des producteurs !
Nana HOUMAMA