Expéditions difficiles de marchandises entre la Chine et le Continent, incertitudes sur le court et moyen terme, l’import-export africain retient son souffle au moment où l’épidémie du coronavirus s’accélère et menace de muter en pandémie. Décryptage.
Depuis dix ans, la Chine est indétrônable du rang de premier partenaire commercial de l’Afrique, avec des échanges qui ont atteint 208,7 milliards de dollars en 2019, en hausse de 2,2% en glissement annuel, selon Pékin. L’empire du Milieu est parti de très loin pour ainsi se retrouver au sommet, grâce notamment à ses prix défiants souvent toute concurrence et sa politique agressive sur le Continent. A seulement 2,8% en 2000, la Chine compte pour plus de 14% du commerce africain en 2018, selon un rapport de la Banque africaine d’Import-Export (Afreximbank).
Les importateurs sur le qui-vive
Ce business Chine-Afrique qui se concrétise notamment par des centaines de flux mensuels de bateaux au départ comme l’arrivée des principaux ports du Continent suscite cependant quelques craintes, alors que l’épidémie du coronavirus prend une ampleur insoupçonnée. « Si l’épidémie persiste jusqu’en mars, la situation aura vraiment des conséquences néfastes », prévoit Laurent Tamegnon. D’autant que les entreprises de la sous-région ont déjà dû difficilement composer avec la fermeture des frontières nigérianes, laquelle a par exemple fait fondre de 41% le volume des ventes régionales de Dangote Cement.
De Chine, les entreprises africaines importent aussi bien des matériaux lourds (machines et équipements électriques et mécaniques, véhicules et pièces), que des denrées alimentaires, des produits pharmaceutiques et diverses marchandises. Au sein de la communauté des importateurs, la situation est beaucoup plus difficile pour ceux qui ne peuvent stocker en trop grande quantité et sur une longue période. « Ici, les entreprises qui ont constitué d’importants stocks en fin d’année 2019 ne se font pas encore beaucoup de souci. En revanche, les importateurs de médicaments par exemple rencontrent déjà quelques difficultés », nous explique Charif Kojok, directeur général adjoint de la Chambre de commerce libanaise en Côte d’Ivoire. Mais si l’épidémie perdure dans le temps, la situation pourrait devenir critique même pour les entreprises qui gèrent des stocks longs.
En Afrique centrale, on évoque les mêmes ruptures de stocks, des retards de bateaux, la « mise en quarantaine » de certains conteneurs, mais aussi l’arrêt de certains chantiers, notamment pour les entreprises importatrices de matériaux de construction. « Les effets de l’épidémie se font ressentir, d’une manière ou d’une autre. Certaines entreprises font état de techniciens chinois qui ne viennent pas, parce que bloqués en Chine, d’autant que l’épidémie a coïncidé avec la célébration du Nouvel an chinois », nous explique une source au conseil patronal régional.
La facture devient salée à l’export
L’export aussi a été touché. Constituées principalement de matières premières, les exportations africaines vers la Chine sont désormais confrontées au ralentissement de la production chinoise. Pourtant, entre 2016 et 2018, les exportations africaines vers le Chine ont connu une hausse consécutive de 10,61%, 13,19% et 14,2%, avant d’enregistrer une décélération de 3,8% en 2019 à 95,5 milliards de dirhams. Le pétrole, l’une des principales ressources exportées, voit déjà son cours sur les marchés pâtir du coronavirus. En Angola, en Guinée équatoriale et au Congo Brazzaville, les importantes commandes chinoises pour la première moitié de l’année restent suspendues à l’éradication du Covid-19. Actuellement, les entreprises qui arrivent encore à expédier des marchandises paient le prix fort. « Les Navires se font rares, ce qui fait grimper les coûts pour les opérateurs », indique notre source au patronat d’Afrique centrale.
A l’ouest, un pays comme la Côte d’Ivoire fixait déjà à 100 000 tonnes ses ambitions d’exportations de noix de cajou vers l’empire du Milieu. « La Chine est un marché très important. S’il n’y a pas de consommation, les conséquences peuvent être graves. Etant donné que nous sommes encore au début de la campagne agricole, nous espérons que cette crise s’estompera avant la fin de notre campagne », nous explique Massogbè Touré, PDG de le Société ivoirienne de traitement de l’anacarde (SITA) et vice-présidente de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI).
Au Port autonome de Douala, on estime la situation « plutôt normale » pour l’instant. « Le contrôle des bateaux se fait à la bouée d’escale. S’il n’y a pas de détection de virus, les bateaux sont remontés. Le trafic est normal, que ce soit pour les bateaux à destination du Cameroun ou ceux à destination du Tchad et de la Centrafrique », nous déclare un responsable de la communication. Au Port de Lomé pourtant, les médias rapportent notamment des cas de bateaux bloqués, car provenant de Chine, les mesures de contrôle ont naturellement été renforcées.
Déconvenues potentielles pour la croissance
Le Covid-19 est également mal venu pour le financier du commerce panafricain, Afreximbank. Basée au Caire, l’institution compte la Chine parmi ses actionnaires. Ici, on pèse suffisamment l’impact que pourrait avoir le coronavirus sur le commerce régional. « Il est clairement établi que cette épidémie a des implications directes en termes de commerce mondial et de croissance mondiale. La Chine étant le premier partenaire commercial de l’Afrique, la corrélation entre les investissements chinois en Chine et la croissance de l’Afrique est vraiment très élevée, de l’ordre de 190% », nous explique Dr Hippolyte Fofack, économiste en chef et directeur de la recherche et de la coopération internationale chez Afreximbank. « Quand il y a une réduction de 1% ou 2% en Chine, poursuit-il, cela a des incidences réelles sur la croissance en Afrique à travers le commerce. Il est donc important que cette crise soit rapidement sous contrôle ».
Pour 2020, les différentes institutions financières multilatérales ont projeté une amélioration de la croissance en Afrique. La Banque mondiale pronostique pour l’Afrique subsaharienne 2,9% contre 2,4% en 2019, tandis que la Banque africaine de développement (BAD) prévoit pour l’ensemble du Continent 3,9% de croissance, contre 3,4% l’an dernier. Selon certains analystes, la croissance chinoise pourrait fléchir jusqu’à 4% contre 6,1% en 2019, en raison du Covid-19. Sur le long terme, les experts voient un potentiel chamboulement au niveau des chaines d’approvisionnement.
Une aubaine pour le commerce intra-africain ?
« Alors que le Supply Chain avait déjà été affecté par la guerre commerciale entre la Chine et l’Amérique, le prolongement de l’épidémie pourrait davantage accélérer la diversification des chaines d’approvisionnement qui pourraient se déplacer vers d’autres pays d’Asie, et pourquoi pas l’Afrique ! », analyse Hippolyte Fofack. Etant donné que dans un tel cas de figure la croissance chinoise en serait particulièrement affectée, l’économiste voit deux scénarios se dessiner. « Si la transition au niveau de la Chine se fait au profit de l’Afrique, explique-t-il, ce serait une bonne chose pour le commerce intra-africain. Et si elle se fait vers d’autres pays comme l’Inde, les conséquences seraient plus dramatiques pour l’Afrique. Cela veut tout simplement dire que les exportations africaines se trouveraient profondément affectées par la crise ».
A l’échelle internationale, le Covid-19 prend de l’ampleur. Outre l’Asie, plusieurs cas de contamination ont été signalés en Europe, notamment en France, en Italie, en Espagne et en Suisse. En Afrique où l’Egypte a finalement diagnostiqué négatif le premier cas de contamination confirmé sur le Continent il y a deux semaines, l’Algérie a signalé, mercredi 26 février, un cas de contamination, un ressortissant italien. En ce moment, l’économie mondiale est en état d’alerte face au virus venu de Chine. Alors que le défi pour l’Afrique en 2020 est de retrouver la tendance haussière de ses exportations vers l’empire du Milieu, tout en continuant de s’approvisionner à bon prix, l’évolution de l’épidémie est suivie de près.
Par Ristel Tchounand
Source: La Tribune Afrique