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Idrissa Hamidou Toure, procureur de la République, prés le Tribunal de la commune IV : « Nous conservons la plénitude des pouvoirs pour maintenir l’ordre dans la cité »

La justice malienne connait depuis le 14 juin 2025 deux innovations majeures. Il s’agit notamment de la mise en œuvre du nouveau code de procédure pénale et la fin des pouvoirs des procureurs de la République et des juges d’instruction à décerner des mandats de dépôt.

Dans un entretien exclusif, accordé à Mali Tribune, Idrissa Hamidou Touré, Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la Commune IV du District de Bamako décortique ce changement capital dans le paysage judiciaire malien.

Mali Tribune : Le nouveau code de procédure pénale est entré en vigueur le 14 juin 2025, conformément à son dernier article qui donnait 6 mois à compter de la promulgation pour son application. Quel en est votre sentiment ?

Idrissa Hamidou Touré : Je n’ai pas de sentiment particulier là-dessus. C’est une bonne chose car il comporte des innovations majeures qu’il faudra cependant adapter à nos réalités, c’est tout.

Mali Tribune : Des innovations à adapter à nos réalités, est-ce à dire qu’il n’a pas été pensé en tenant compte de ces réalités ?

  1. H. T.: Vous savez de façon générale en Afrique francophone on est dans le mimétisme des textes français. C’est bien dommage mais c’est la triste réalité. Ceux auxquels l’on confie la révision ou la relecture des textes ne s’embarrassent pas trop de réflexions adaptées à nos réalités socio-culturelles. Bien souvent, ils prennent les textes français et nous les transposent à quelques ajouts ou modifications près. Alors que ces textes sont réfléchis et conçus à un moment donné par le courant politique au pouvoir en France, pour le peuple français en tenant compte de ses aspirations, sa vision de la justice etc.

Mali Tribune : On dirait que vous n’êtes pas fier de ce texte ? Pourtant dans le processus de relecture, d’adoption etc., des magistrats ont été entendus et peut être même vous ?

  1. H. T.: C’est un texte inclusif. Sauf que beaucoup ne se sont même pas donnés la peine de se demander sur l’origine du texte qu’ils avaient en face pour un peuple qui se veut souverain. La souveraineté c’est d’abord dans les textes juridiques pensés sur la base de nos réalités socio-culturelles. Il y a des choses dans ces textes que l’on ne pourra jamais appliquer au Mali. Par exemple, la reconnaissance du viol entre époux.

Des choses ont été retirées des textes lors de l’atelier national de validation ayant regroupé toutes les forces vives de la nation. Mais après on a vu que quelques personnes se sont retrouvées et ont remis les mêmes choses.

Des acteurs judiciaires dont les syndicats de magistrats ont averti sur l’inopportunité voire l’inapplicabilité de certaines dispositions en déphasage avec nos réalités, mais n’ont pas été suivis. Les gens ont été écoutés au CNT, pour la forme, sans prendre en compte leurs observations pratiques et pertinentes.

Aussi, j’ai l’impression que le chancelier en chef a dû être pris à la gorge sur certaines dispositions par des membres du CNT qui après coup s’en sont vantés dans leur « grin » et c’est bien dommage.

En plus au CNT je ne pense pas que tous ceux qui ont levé la main pour voter ces textes savent la provenance, le contenu et le contenant. Certains ont dû lever la main parce que la majorité l’a faite sans mesurer les conséquences d’un tel acte.

Cela dit, moi je suis un technicien, je peux avoir des appréhensions légitimes en tant que praticien et citoyen sur les textes mais mon devoir reste de les appliquer. Ça s’appelle être légaliste. Je peux ne pas être d’accord avec un texte de loi, mais il ne me revient pas de faire la loi, je n’en suis que la bouche pour paraphraser l’autre.

Mali Tribune : Avec l’entrée en vigueur du nouveau code, vous les procureurs, vous perdez votre redoutable pouvoir de mettre les gens en prison au profit du collège de la détention et de la liberté. Quel sentiment en avez-vous ?

  1. H. T.: Le nouveau code de procédure pénale a été promulgué par le Chef de l’Etat le 13 décembre 2024. Effectivement, des dispositions de son article 1373-1, il entre en vigueur six (06) mois après soit le 13 juin 2025.

Sauf que contrairement à ce que pensent beaucoup, cela ne marque pas la fin des pouvoirs des procureurs et juges d’instruction à décerner mandat de dépôt. C’est le sens de l’article 1371-1 qui dispose qu’« en attendant la mise en place du collègue des libertés et de la détention, les juges d’instruction et les procureurs de la République continuent à exercer la plénitude de leurs attributions par rapport aux mandats de justice ».

Cette disposition transitoire n’entre en vigueur que pour compter du 14 juin 2025. Donc c’est maintenant qu’elle est d’application. Pour ainsi vous dire que les procureurs et les juges d’instruction conservent encore, dans les dispositions anciennes, toute la plénitude de leurs pouvoirs pour maintenir l’ordre dans la cité.

Mali Tribune : Est-ce à dire que le collège des libertés et de la détention n’est pas encore mis en place dans nos tribunaux ? Pourquoi ?

  1. H. T.: La collégialité est prévue dans les tribunaux de grande instance depuis la loi de 2011 portant organisation judicaire soit 14 ans aujourd’hui. Elle n’a pu être effective, faute de ressources humaines suffisantes. Tous ordres confondus, nous sommes 499 magistrats si je ne m’abuse sur lesquels il n’y a que 300 ou un peu plus dans les fonctions actives en juridictions. Raisonnablement, on ne pouvait mettre en application la collégialité et c’est toujours le cas. Cependant les autorités judiciaires s’activent à augmenter les effectifs d’où les recrutements massifs de ces dernières années avec plus de 300 auditeurs de justice qui seront en principe opérationnels progressivement d’ici 2030.

Ensuite il faut mettre toutes ces innovations en musique avec l’efficacité recherchée et attendue des actions judiciaires. Il s’agit de systèmes expérimentés ailleurs, où ils ont montré leurs limites. Par exemple les Rwandais, avant nous, avaient expérimenté la collégialité. Ils ont dû l’abandonner, faute d’efficacité et de célérité dans le traitement des affaires judiciaires, pour retourner au système du juge unique. Allez-y voir dans les grandes démocraties judicaires comme les USA, c’est un seul juge qui décide en âme et conscience de la mise en liberté avec ou sans cautionnement et c’est aussi lui, aidé par un juré populaire, qui se prononce dans les affaires criminelles etc.

La France, que l’on copie, a tous les problèmes d’efficacité judiciaire à cause, entre autres, de ce système. Si vous suivez leur actualité judiciaire, ils sont actuellement à réfléchir à comment supprimer même le sursis dans les condamnations tellement qu’ils souffrent de laxisme et de lourdeur judiciaires.

Mali Tribune : Ils sont pourtant nombreux à réclamer de plus en plus la fin des mandats entre les mains des procureurs de la République et des juges d’instruction… ?

  1. H. T. :C’est dans l’air du temps tout cela. Certains de notre époque ont ceci de singulier qu’ils sont vindicatifs sur des sujets dont ils ne maitrisent pas la profondeur. Chaque société doit évoluer en fonction de ses réalités. Nous, nous sommes une société fondamentalement punitive. Chez nous le pardon vient après la sanction. Or chez les occidentaux, la liberté est un culte. Ce qui est valable en occident ne l’est pas chez nous.

Mali Tribune : Donc vous pensez qu’il ne faut pas retirer aux procureurs de la République et aux juges d’instruction leurs pouvoirs de mandats ?

  1. H. T.: Vous savez, je ne prêche pas pour ma chapelle. Je ne suis pas procureur de la République ad vitam aeternam. Je parle en tenant compte des réalités actuelles de notre pays.

Il est évident que dans un pays où l’excès dans la parole, la tolérance, le respect des valeurs sociales, le devoir civique, le respect de la chose publique, la cohésion sociale, l’unité nationale, l’intégrité du pays etc., sont soumis à de rudes épreuves, sans le pouvoir des mandats du procureur de la République ces dernières années, on serait peut-être déjà en guerre civile. Ce pouvoir de mandat a maintenu la stabilité relative du pays en bien des moments et aujourd’hui encore n’eut été ce pouvoir-là, d’aucuns seraient déjà dans la rue à semer des troubles aux conséquences imprévisible.

Mali Tribune : Quelle alternative proposez-vous alors ?

  1. H. T. :Je suis pour des mandats opportuns, réfléchis, pondérés, décernés en tenant compte de la personnalité de l’auteur des faits, leur gravité, leur impact sur l’ordre public, la crédibilité et la confiance du public dans l’institution judiciaire.

Je suis pour des sanctions toutes les fois où un mandat parait manifestement inopportun et excessif etc. Mais je ne suis pas pour que l’on retire aux procureurs et juges d’instructions un tel pouvoir dans un pays en proie à toutes les déstabilisations, à tous les complots, à la délinquance économique et financière etc.

Savez-vous qu’en application de ce nouveau code, un seul magistrat peut s’assoir dans son bureau, en référé liberté et ordonner la mise en liberté de quelqu’un qui a détourné 1.000 milliards F CFA, par exemple, sans être obligé de motiver sa décision et sans possibilité pour le parquet d’empêcher que la personne sorte de prison ? C’est prévu à l’article 362 al2 du nouveau code. Dans un pays où les autorités ont inscrit en priorité la lutte contre la corruption, la délinquance économique et financière, on a une telle hérésie dans le nouveau code. C’est pourquoi j’ai dit qu’il y a des choses qu’on ne pourra pas appliquer.

Je pense qu’il faut imprimer de la diligence, de la célérité à juger les placés sous mandats. Et dans cette optique, mettre en avant ce que le juge Baya Berthé appelait le principe du questionnement valorisant. C’est-à-dire valoriser les bonnes pratiques par la récompense du mérite afin d’inciter les autres à en faire exemple.

Par exemple ici au Tribunal de grande instance de la Commune IV, sur l’exercice judiciaire 2024, on était à 788 placés sous mandat à la MCA, sur lesquels 758 ont été jugés définitivement, 506 ont fini de purger leurs peines et sont sortis de prison grâce à la clémence des juges dans le quantum des peines, 252 purgent actuellement leurs peines, 05 sont malheureusement décédés en détention provisoire et seulement 25 n’ont pu être jugés encore à raison des différents renvois parfois à leurs demandes ou celles de leurs avocats.

Au niveau de Bollé-femmes, sur 46 placées sous mandats de dépôt sur toute l’année, 45 ont été jugées définitivement, 36 ont fini de purger leurs peines et sont sorties de prison, 09 purgent actuellement leurs peines et 01 seule reste à juger.

Ce qui parait être pour nous un bilan satisfaisant et l’essentiel à mon avis se trouve à ce niveau-là. Pour le reste, la justice ici et là porte ses croix ; çà et là elle est pointée du doigt, critiquée etc. Ce qui est normal parce qu’elle est et restera humaine donc faillible à l’image de ses acteurs.

Nous avons nos défauts nous procureurs de la République, juges d’instruction, acteurs de la justice dans l’ensemble, mais nous sommes loin d’être les plus mauvais enfants de la République, c’est-à-dire en bambara « fasso den djougou ». Toutes nos actions s’inscrivent dans la sauvegarde de l’essentiel : le Mali.

 

Propos recueillis par

Abdrahamane Dicko

Source : Mali Tribune
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