C’était un pari fou, a dit, le 2 septembre, Dioncounda Traoré, président à éclipses d’une transition chaotique conclue sur un happy end inespéré. Fou ? Le seul possible en tout cas, car imaginer l’inverse c’était avoir le choix du diable, entre un Mali livré aux jihadistes ou un Mali aux bottes d’une junte erratique. Avec, dans l’un ou l’autre cas, le chaos en prime. On rendra donc à César, en l’occurrence à François Hollande, ce qui lui revient : sans son intervention, on parlerait aujourd’hui du Mali à la rubrique nécrologique.
De quoi passer l’éponge, aux yeux de la majorité des Maliens, sur le fait établi que la date de l’élection présidentielle et celle de l’investiture solennelle du chef de l’État ont été fixées par le même Hollande en fonction de ses propres critères et agenda. Pour une fois que l’ancienne puissance coloniale devient libératrice, il serait malvenu de gâcher l’euphorie ambiante.
Mais au lendemain du 19 septembre, quand les lampions se seront éteints, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) sera, face à l’immensité de la tâche, un homme seul. Le plébiscite dont il a bénéficié lui confère certes une marge de manoeuvre considérable, mais il l’oblige aussi : les 77,6 % d’électeurs maliens qui lui ont donné leurs voix attendent tout de lui, espèrent qu’il va tout résoudre et lui interdisent en quelque sorte d’échouer.
Si l’opération Serval a redonné au Mali sa souveraineté et le processus électoral sa dignité, aucun des problèmes, aucune des dynamiques négatives qui ont conduit ce grand pays au bord du gouffre n’ont encore été résolus, ni même abordés.
Culture de l’impunité, corruption de la fonction publique, tensions ethniques et régionales, système judiciaire délétère, armée gangrenée par l’indiscipline : l’inventaire de deux décennies de mal-gouvernance longtemps masquée par une démocratie laxiste est connu. Un concentré vient d’en être fourni, sous forme de legs empoisonné, par l’aberrante promotion du capitaine putschiste Amadou Haya Sanogo au grade de général de corps d’armée. Mis devant le fait accompli par son prédécesseur, qui ne l’a pas consulté, IBK a désormais tous les moyens d’inverser ce bien mauvais signal. Ce sera sans doute sa première épreuve.
Il faudra au nouveau chef de l’État se montrer fort, à la fois décideur et arbitre, suffisamment souple à l’égard des Touaregs pour leur expliquer les bienfaits d’une décentralisation tout en faisant preuve de fermeté afin qu’ils renoncent à leurs rêves d’autonomie et au drapeau de l’Azawad.
Il va lui falloir remporter, début 2014 au plus tard, des élections législatives transparentes et négocier la réduction progressive de la présence des bérets bleus de la Minusma, avant qu’elle ne froisse le nationalisme à fleur de peau des Maliens.
Il devra voyager pour réinstaller le Mali sur la scène internationale et être présent à Bamako, attentif au moindre détail. Sans oublier qu’à l’issue de son mandat, en 2018, c’est sur ses résultats dans la lutte contre la pauvreté, qui touche six Maliens sur dix, qu’il sera avant tout jugé.
Cela fait vingt ans que l’ancien Premier ministre se prépare à monter sur le ring. À lui de démontrer que ses compatriotes ont eu raison de tout miser sur lui.
Source: Jeune Afrique