Cinq ans après le putsch d’Andry Rajoelina, la crise est-elle enfin terminée à Madagascar ? Vendredi dernier, l’élection de Hery Rajaonarimampianina a été validée par la Cour électorale spéciale, au grand dam de Robinson Jean Louis, son adversaire du second tour de la présidentielle du mois dernier. Samedi prochain, le nouveau chef de l’Etat prêtera serment. Invité de Christophe Boisbouvier, le nouveau président de Madagascar dit comment il compte éviter les pièges qui l’attendent.
Quelle sera votre priorité pour le développement de Madagascar ?
Hery Rajaonarimampianina : Ma priorité, c’est de mettre en place l’état de droit, qui va rétablir la confiance entre la population et ses dirigeants. C’est ça qui manquait. Je pense que c’est le socle de toutes choses.
Vous dites état de droit : sous le régime de votre prédécesseur, Andry Rajoelina, le trafic du bois précieux, le trafic des pierres précieuses… Tout cela s’est développé. Qu’est-ce que vous allez faire pour y mettre fin ?
Lorsque je disais « état de droit », ce n’est pas pour faire allusion à tout cela ! Mais je peux vous dire que dès que l’état de droit sera mis en place, je suis tout à fait convaincu que ce genre de phénomène va très vite se dissiper. On va appliquer la loi.
Mais justement, sous le gouvernement précédent, quand vous étiez ministre des Finances vous-même, j’imagine que vous avez dû fermer les yeux sur beaucoup de choses. Qu’est-ce que vous dites aujourd’hui aux trafiquants de tout poil ?
Je veux dire à tout le monde que l’on respecte la loi. C’est tout. Je ne vais pas jeter la pierre sur qui que ce soit. Je suis quelqu’un qui ne regarde pas toujours en arrière, je regarde devant.
Et quelles seront les premières mesures que vous prendrez quand vous serez investi samedi prochain ?
Il y a plusieurs mesures que je vais mettre en parallèle. Je vous ai parlé de l’état de droit, mais de l’autre côté, il faut que je pourvois très rapidement à tout ce qui est aspect social et économique. Il y a la nutrition, l’éducation et la santé. Il y a beaucoup d’activités que l’on peut relancer très rapidement et on va le faire.
Peut-on dire aujourd’hui qu’avec votre élection, les trafiquants seront poursuivis et sanctionnés ?
Mais bien sûr ! Tout trafiquant ! C’est ça, l’état de droit non ?
Notamment les trafiquants de bois précieux ?
Pourquoi vous revenez toujours sur ça ? Il n’y a pas que les trafiquants de bois précieux dans un pays ! Il y a toutes sortes de trafics. Je vous assure, on va appliquer la loi.
Au terme des législatives du mois dernier, le parti Mapar d’Andry Rajoelina est arrivé en tête avec plus d’un tiers des sièges. Or, c’est l’Assemblée qui vous propose le nom du futur Premier ministre. Est-ce que ce Premier ministre sera Andry Rajoelina ?
Ça je ne peux pas le savoir ! La publication définitive des membres qui seront élus n’est pas encore faite, jusqu’à aujourd’hui. Donc moi je préfère vraiment attendre cette publication définitive par la Cour électorale spéciale et à ce moment-là on verra la configuration des rapports de force.
Andry Rajoelina vous a soutenu pendant la campagne. Est-ce qu’il n’est pas naturel qu’il en recueille les dividendes et qu’il soit votre futur Premier ministre ?
Beaucoup m’ont soutenu. Vous savez très bien que lorsque j’ai déposé ma candidature, j’ai déclaré que je suis un candidat d’ouverture, un candidat de rassemblement. Beaucoup m’ont soutenu, y compris bien évidemment le président Rajoelina, comme tous les autres.
Beaucoup disent que si Andry Rajoelina devient votre Premier ministre, vous risquez de devenir le Dimitri Medvedev de Vladimir Poutine et d’avoir une histoire qui se termine mal pour vous.
On peut tout imaginer, mais c’est le président décide. Je vais décider pour le bien du pays.
C’est-à-dire que même si les députés vous proposent un nom vous n’êtes pas obligé de désigner cette personne-là comme Premier ministre ?
Je ne voudrais pas anticiper sur cette question. Je préfère vraiment attendre les résultats.
Vous êtes un mérina des Hauts-Plateaux. Dans la tradition malgache, quand le président est mérina, le Premier ministre est côtier, est-ce que vous respecterez cette tradition ?
La tradition est là, mais vous savez, dans l’histoire récente de la politique malgache, l’ancien président Ravalomanana avait aussi des Premiers ministres qui viennent aussi des Hauts-Plateaux. Il y a des évolutions. Je n’en suis pas encore là.
Mais le président Rajoelina avait respecté cette tradition…
Oui, parce qu’il a jugé que c’était ce qui était bon étant donné les circonstances. Il faut toujours voir l’environnement dans lequel on évolue politiquement.
Les côtiers ont plus voté pour vous que pour Robinson Jean-Louis. Si vous ne nommez pas un côtier à la Primature, est-ce que vous ne risquez pas de les décevoir ?
Ça c’est vrai. C’est vrai que la plupart de ceux qui ont voté pour moi viennent des régions côtières. Mais je pense qu’aborder la question sur cet angle-là, c’est encore faire surgir ce spectre du tribalisme. Dans ma politique, il n’y a pas de considération ethnique.
Depuis plusieurs années, l’ancien président Marc Ravalomanana demande le droit de rentrer librement à Madagascar. Est-ce que vous êtes prêt à faire passer une loi d’amnistie ou à lui accorder votre grâce ?
La loi d’amnistie est là ! Mais les journalistes s’intéressent toujours à une personne, alors qu’ils ne me posent jamais des questions sur les 20 millions de Malgaches. Je dis, moi ma priorité aujourd’hui, ce sont les 20 millions de Malgaches.
Oui, mais votre adversaire du deuxième tour Robinson Jean-Louis conteste vivement la régularité de votre victoire. Pour calmer le jeu, est-ce que vous n’auriez pas intérêt à faciliter le retour de son mentor, Marc Ravalomanana ?
C’est sa vision des choses, de toute façon contestataire dans l’élection. Moi je ne m’inquiète pas outre mesure. C’est une question que je dois considérer, mais la priorité pour moi, c’est vraiment le sort des Malgaches qui se débattent dans la pauvreté aujourd’hui.
Donc vous n’excluez pas un retour de Marc Ravalomanana ?
Qui peut exclure ça ? Un Malgache a toujours le droit de circuler partout, de retourner dans son pays !
Oui, mais vous savez que s’il rentre aujourd’hui, il risque de se retrouver en prison…
Ah ! Qui va le mettre en prison ?
Vous voulez dire qu’il peut bénéficier de la loi d’amnistie qui a été votée ?
Non, je ne vous dis pas ça ! Mais je dis que ce n’est pas ma priorité aujourd’hui.
Votre pays est exclu de toutes les instances internationales depuis plusieurs années. Est-ce que vous attendez un retour de Madagascar ?
Mais bien sûr ! Je pense que si le pays a été exclu, c’est à cause de ce que tout le monde connaît. Mais aujourd’hui, je suis convaincu que Madagascar va retrouver sa place au sein des différentes instances de la Communauté internationale.
Irez-vous à Addis Abeba la semaine prochaine, pour le prochain sommet de l’Union africaine ?
Pourquoi pas ? Je serai un président élu, légalement investi à partir de samedi. Donc ce n’est pas à écarter.
rfi