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Harouna Niang : «nous devons créer un lien étroit entre l’agriculture et l’industrie»

A la tête du département de l’Industrie, du Commerce et de la Promotion de l’investissement depuis près de sept mois, le ministre Niang entend insuffler une nouvelle dynamique au secteur industriel malien. Dans cette interview, il dévoile sa vision de l’industrialisation, le modèle et les mécanismes de financement adaptés à notre pays pour ce faire

 

L’Essor : Quelle analyse faites-vous du secteur industriel malien ?

Harouna Niang : Le Mali, à l’instar des autres pays de la sous-région, accuse un grand retard au plan de l’industrialisation, surtout le secteur manufacturier. C’est un secteur qui pèse très peu dans le Produit intérieur brut (PIB). Ce qui est une grande lacune, parce que l’industrie est la base du développement. Il n’y a pas de pays dit développé, qui n’ait pas industrialisé. Si l’on aspire au développement, il faut aspirer à l’industrialisation. C’est pour cela qu’à notre arrivée au niveau du département, nous avons voulu insuffler un rythme nouveau au secteur industriel. Cela en se basant sur nos potentialités.

L’Essor : Quelle est votre vision de l’industrie au regard de nos capacités ?

Harouna Niang : Le Mali a des potentialités industrielles peu exploitées ou pas du tout exploitées. Cela dans des secteurs principaux : agriculture, élevage, foresterie et pêche. Le secteur primaire, socle de l’industrialisation, doit être en étroite articulation avec le secteur industriel pour aider à transformer et conserver les produits agricoles, pour éviter que la saisonnalité de la production n’affecte pas les revenus des paysans. C’est le modèle à mettre en place. D’où un lien étroit à créer entre l’agriculture et l’industrie.

Le second volet est le secteur minier. Le sous-sol de notre pays regorge de ressources immenses. Nous avons commencé à exploiter certaines, notamment l’or qui pèse beaucoup non seulement dans le PIB mais aussi dans les exportations du pays. L’or est le premier produit d’exportation du Mali.

Ce que nous souhaitons ici, c’est la mise en œuvre d’une politique de contenu local. À travers cette vision, nous voulons que le secteur minier soit un levier pour l’ensemble de l’économie. Parce qu’une mine a besoin de sous-traiter certaines activités. Cette démarche de contenu local va nous amener à créer une bourse de sous-traitance où les entreprises maliennes qui le souhaitent seront encadrées. Et nous aurons un dialogue avec les entreprises minières, si cela nécessite des formations, nous allons les aider. Si cela demande qu’elles soient mieux équipées, nous allons les aider.

La finalité est que dans un horizon convenu, les entreprises locales seront à un niveau suffisant pour pouvoir faire des prestations satisfaisantes pour le secteur minier. Comme cela, nous sommes assurés d’avoir plus de retombées. Plus que les simples impôts et dividendes que les mines payent à l’Etat. Si nous travaillons sur ces deux secteurs comme priorité, orientons le secteur privé vers ces secteurs dans le sens de la création de valeur ajoutée, de l’emploi et de distribution de revenus, le Mali sera sur la voie de l’émergence de l’économie.

L’Essor : Concrètement comment réussir ce processus d’industrialisation ?

Harouna Niang : En toute chose, c’est l’organisation qui est le plus important. Pour la réussite du processus de l’industrialisation, il faudrait que tous les acteurs s’organisent. Nous avons constaté que nous ne sommes pas très bien organisés. Ce que nous suggérons, c’est d’avoir des filières mieux organisées en chaîne de valeur. Prenons le cas d’une de nos réussites. Le Mali est devenu un grand producteur de coton en Afrique l’Ouest, cela est connu.

Un regard rétrospectif sur le modèle de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), nous apprend que cette structure est une société dotée d’unités d’égrainage. Autour de chaque unité, existent des producteurs de coton auxquels la CMDT offre des services, notamment l’encadrement (les pratiques culturales du coton). Cette formation que la CMDT apporte aux paysans explique en partie la réussite du Mali en culture du coton. S’y ajoute le crédit de campagne. Lorsque nous avons une unité industrielle et qu’autour de cette unité nous organisons les paysans, l’usine peut agir comme locomotive qui va tirer la filière à travers ses relations et garanties que l’usine apporte. C’est gagnant-gagnant.

Ce modèle qui paraît simple mais qui a réussi est applicable dans d’autres filières. Je prends le cas de la mangue. Le Mali est un grand producteur de mangue, mais la filière est peu exploitée au point que la mangue malienne consommée et commercialisée ne représente que 40% de la production, selon les estimations. Les 60% pourrissent et sont jetés. Nous allons essayer de trouver des locomotives pour la filière mangue, qui peuvent être l’industrie. Une usine de transformation a intérêt à avoir de la matière première.

Elle va s’organiser pour avoir tout autour des planteurs de mangues, qui seront formés et ont besoin d’être rassurés que l’usine de transformation achètera leurs mangues. Cette garantie, cet encadrement et éventuellement ce crédit que l’unité de transformation industrielle va faciliter aux producteurs, seront le moteur qui fera exploser la production. Ce sont nos attentes.

Dans chacun des cas, le rendement de la production agricole joue beaucoup plus sur la compétitivité d’une filière. Pour booster le rendement, la recherche scientifique appliquée est capitale. Si nous arrivons à accompagner chacune des filières par la recherche de manière constante, à trouver les meilleures variétés de semence (mangue, gomme arabique, coton, etc.) et à faire en sorte que le rendement puisse suivre, nous resterons dans le peloton de la compétitivité au niveau régional et mondial.

Dans notre stratégie, la recherche scientifique ou technique aura une place importante. Elle va aider à faire en sorte qu’à chaque fois, les semences utilisées soient bien améliorées et puissent conduire à des rendements élevés. Elles doivent aussi être des semences qui s’adaptent à l’évolution du climat au Mali.

L’Essor : Dans cette démarche quel doit être le rôle des acteurs, notamment les industriels ?

Harouna Niang : Les acteurs industriels doivent pourvoir être une forme de locomotive. Ils doivent entretenir des relations avec les paysans, les aider à être mieux organisés, les assister pour l’accès aux crédits et à l’encadrement. En un mot les rendre professionnels.

L’Essor : Pourquoi malgré tout ce potentiel, notamment dans le domaine de l’agriculture, l’industrialisation du pays peine à atteindre sa vitesse de croisière ?

Harouna Niang : Parce qu’il y a des contraintes réelles qu’il faut admettre. La première contrainte est la disponibilité de l’énergie. Les perspectives qu’offrent les énergies renouvelables constituent une alternative à cette contrainte énergétique que notre pays rencontre. Le coût de l’énergie solaire est en baisse, aussi bien au niveau des équipements qu’à celui du stockage qui posait problème. Les batteries permettent aujourd’hui le stockage de l’énergie solaire.

Ce progrès technique et technologique peut être exploité à travers une stratégie de partenariat public-privé. On va amener des privés à investir dans des parcs solaires, produire de l’électricité et la vendre. On veut aussi inciter les industriels à préférer l’énergie solaire aux groupes électrogènes.

La deuxième difficulté est l’approvisionnement. Le modèle d’encadrement que nous suggérons, peut remédier à ce problème de fourniture des unités industrielles. Cela en créant un cadre de dialogue qui pourra déboucher sur des contrats de fourniture en produits avec les paysans. Cette forme d’organisation doit garantir la disponibilité de la matière première, levant ainsi cette contrainte.

Le troisième facteur de blocage est la culture industrielle. Les entrepreneurs privés maliens sont majoritairement des «Dioula». Ils maîtrisent le commerce import-export qu’ils ont appris dès le bas âge. Le passage vers l’industrie semble difficile pour eux, car la gestion n’est pas la même. L’industrie exige la maîtrise de la technologie, la maintenance des équipements et autres aspects auxquels ils ne sont pas préparés.

Nous allons les aider à corriger ces insuffisances à travers le suivi de la maintenance et en facilitant l’accès au financement adapté. Pour ce faire, nous privilégierons une approche inclusive pour leur permettre d’avoir des financements (à court, moyen et long termes) mieux adaptés aux besoins des industriels. Si nous arrivons à surmonter ces obstacles, je crois que nous allons effectivement voir la relance du secteur manufacturé malien.

L’Essor : Quelles sont les mesures nécessaires à prendre pour booster le secteur industriel de notre pays afin de répondre aux attentes des populations ?

Harouna Niang : Nous devons développer la culture de partenariat. Les acteurs (industriels, paysans, Etat, associations professionnelles) doivent se donner la main (filière par filière), se fixer des objectifs, diagnostiquer les contraintes et travailler ensemble pour les lever pour avancer vers la réalisation des objectifs qu’on aura retenus. Les industriels et les commerçants doivent collaborer pour que ceux-ci deviennent les distributeurs du «Made in Mali».

Nous envisageons de mettre en place une politique d’encadrement et d’appui au secteur du commerce. La première tâche consiste à la réalisation d’infrastructures marchandes. Souvent mal gérés, les marchés ne sont jamais bien aménagés.

Nous envisageons des réformes institutionnelles pour une meilleure gestion des marchés et souhaitons la mise en place d’un programme de financement de leur aménagement. Il faut moderniser les marchés et les rendre agréables. Nous allons encourager les investissements dans les grandes surfaces, le libre service. Ainsi, le secteur commercial va créer plus d’emplois.

Un autre volet de la stratégie consiste à aider à réduire la taille du secteur informel. Le commerce de détail est le refuge pour beaucoup de jeunes Maliens. Pour mieux les organiser, nous allons mettre en place des Centres de gestion agréée (CGA).

Nous souhaitons que les commerçants s’organisent autour de ces CGA. Ainsi, dans le cadre du programme d’amélioration des infrastructures, nous allons les aider à avoir des boutiques et accéder aux marchés publics. C’est le mode de financement en «Built operate and transfert (Bot)» que nous comptons activer pour lancer un grand projet d’aménagement de tous les marchés du Mali. Nous travaillons également sur les zones économiques spéciales.

Propos recueillis par
Babba B. COULIBALY

Source : L’ESSOR

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