Président de la sous-commission scientifique de la commission nationale de la Biennale Mopti 2023, Harouna Barry, dans l’entretien ci-dessous, nous parle de la réussite de cet événement qui, à ses yeux, était un défi lancé à la communauté internationale qui a pensé qu’après le départ de Barkhane et la Minusma, le Mali était incapable d’organiser et de sécuriser un tel grand événement au Centre du pays.
Mali-Tribune : Quelle est votre appréciation de la tenue de la Biennale de Mopti 2023 ?
Harouna Barry : Mon appréciation de manière générale, je peux l’exprimer en quatre points : Premièrement, c’est que les biennales s’organisent en deux ans, c’est des processus mais cette biennale Mopti 2023 a été organisée en trois mois. On peut même dire que ça a été une biennale spéciale mais qui s’est déroulée normalement. En deuxième point, c’est une biennale spéciale organisée en trois mois, mais qui a regroupé autant de régions qu’aucune biennale antérieure, même pas la semaine nationale n’a eu à le faire. La semaine nationale de la jeunesse de 1961 à 1968 a regroupé six régions. La biennale artistique et culturelle, même quand elle a été aussi sportive, n’a jamais réuni autant de régions. Cette fois il y a eu dix-neuf régions plus le District de Bamako. Le troisièmement point, c’est que la reprise de la biennale est considérée comme un événement structurant sur le plan politique, sur le plan moral, sur le plan du brassage des populations. C’est le seul grand événement du Mali où tous les Maliens, de toutes les régions, se retrouvent quelles que soient leur langue, leur ethnie, leur couleur. La biennale à Mopti était un challenge, un défi que le Mali s’était posé, à lui-même. Le Centre du Mali est suffisamment déstabilisé, suffisamment endeuillé, ensanglanté, pour qu’on décide en ce moment même d’organiser la biennale à Mopti. J’ai fait deux semaines à Mopti je n’ai pas entendu qu’il y a eu une seule attaque contre les festivaliers, c’est juste qu’au retour il y a eu un accident par la délégation de Sikasso, sinon la sécurité a été totalement rassurée.
Donc c’est un défi que le Mali s’est lancé à lui-même, qu’il a pu relever. Un défi que le Mali a lancé à la fameuse et fumeuse communauté internationale qui a pensé qu’après le départ de Barkhane et la Minusma, le Mali était incapable d’assurer sa sécurité, d’assurer un événement national comme la biennale qui a regroupé au moins deux milles personnes. Ça a été une grande mobilisation et un démenti aux historiettes racontées par la fameuse et fumeuse communauté internationale. Ce qui est aussi important à souligner, c’est que à partir de là, l’option est faite désormais d’orienter la biennale vers le nord du Mali.
Il est maintenant question que la biennale 2025 soit organisée par Tombouctou. Ce Nord qui est l’épicentre de l’insécurité, des terroristes, des djihadistes, des narcotrafiquants. Donc aller à Tombouctou c’est un autre défi, un défi de plus qu’il faut relever et faire en sorte que tout le Nord abrite la biennale avant que ça ne revienne au Sud. De cette façon-là, l’intégrité de notre pays et l’unicité de la nation seront réaffirmées, assumées, assurées et le pays retrouvera son unité. Donc à mon avis Mopti 2023 a été une véritable réussite sur ces plans-là.
Mali-Tribune : Qu’est-ce qui vous a le plus attiré sur le plan artistique et culturel ?H B. : Ce qui m’a le plus attiré, c’est que dans le classement parmi les trois premiers sur le podium, il y a deux nouvelles régions, (Doila et Bougouni). Pour moi, c’est tout un symbole. Des régions qui viennent d’être créées réussissent à venir compétir avec les anciennes régions et monter sur le podium. Ça montre que toutes les régions ont mouillé le maillot et que les nouvelles régions n’ont pas été absentes.
Autre chose à saluer sur le plan culturel, sur le plan de l’intégration nationale, c’est la présence des régions comme Tombouctou, comme Kidal, comme Ménaka que les gens ont dit encerclées et qu’elles font tomber d’un moment à l’autre. J’étais là toutes les nuits, j’ai vu leur prestation. La troupe régionale de Kidal a même composé une chanson spéciale biennale pour l’unité du Mali. On peut dire que ça a été une grande réussite.
Mali-Tribune : Quels sont les enseignements à tirer de cette biennale Mopti 2023 ?
H B. : A mon avis, trois enseignements sont à tirer de cette biennale Mopti 2023. En premier lieu, les produits de la biennale qu’ils soient humains, qu’ils soient artistiques et culturels, doivent être capitalisés, conceptualisés, rentabilisés, valorisés. Tous ces jeunes gens qui sont venus peuvent et doivent être des vocations suscitées et entretenues, formées pour que le Mali culturel redémarre et la sous-commission scientifique sous l’égide du ministère de la Culture va publier les actes des rencontres scientifiques de la biennale Mopti 2023.
Si toutes les biennales avaient ainsi procédé, aujourd’hui on aurait trouvé des réflexions assez approfondies sur la semaine nationale de la jeunesse et les biennales. Or aujourd’hui jusqu’ici à ma connaissance, il n’y a que deux livres, une thèse qui vient d’être publiée et un livre de la directrice de la pyramide du souvenir qui ont été publiés sur la biennale ce qui n’est pas normal quand même.
Donc l’aspect réflexion de la biennale doit être développé et maintenu, tant pendant la biennale qu’avant, qu’après, de façon à ce que ça puisse être mieux conceptualisé. Par ailleurs, l’INA et le Conservatoire Balla Fasseké ont suffisamment de cadres aujourd’hui, dans le domaine des arts et de la culture. Ceux-ci doivent être recrutés pour encadrer les troupes régionales afin que ces troupes puissent être encore bien encadrées bien formées et que ça soit véritablement bien professionnel. A défaut, qu’on contractualise avec eux à l’approche des biennales pour six mois, pour trois mois pour qu’ils encadrent bien et améliorent les prestations des troupes régionales. Eux-mêmes, ça leur donnera du boulot et ça fait des emplois créés en même temps les troupes seront beaucoup plus performantes.
Mali-Tribune : Quels sont les messages forts à retenir ?
H B. : Ce qui est à retenir, c’est que le Mali est une seule nation avec une seule histoire et un seul destin. Et ça c’était acquis, tout le monde le dit, toutes les troupes l’ont chanté. Les messages qui sont généralement ressortis c’est la lutte contre les travers de la gouvernance passée, la lutte contre la corruption, la lutte contre l’incivisme, la lutte contre le djihadisme, la lutte contre les transhumants politiques. Il y a eu les dénonciations par certaines pièces de théâtre, comme le manque d’eau, le manque d’électricité, entre autres. Les vrais problèmes du pays ont été posés librement et les propositions de solution. Le message fort à retenir c’est que la jeunesse a montré sa capacité, a montré qu’elle est une couche sociale généreuse capable de don de soi, d’enthousiasme et qui croit en l’avenir.
En tant que membre de la commission nationale d’organisation de la biennale Mopti 2023, je remercie le ministère de la Culture d’avoir laissé la commission faire ce qu’elle doit faire et d’avoir fait confiance à nous autres enseignants chercheurs, de constituer une commission scientifique, d’organiser les rencontres scientifiques et en nous permettant de travailler à l’édition des actes de ces rencontres scientifiques.
Il faut remercier les plus hautes autorités qui n’ont ménagé aucun effort pour la tenue de cette biennale. Et nous leur demandons de continuer ce combat de la refondation. La refondation n’est pas seulement militaire, elle est aussi culturelle, elle est aussi politique, elle est aussi éducative. Je me demande même si, il ne faut pas refonder l’homme malien. Et si, il faut le refonder, il faut passer par la culture et l’éducation.
Propos recueillis par
Ibrahima Ndiaye
Mali Tribune