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Handicap et sexualité, le tabou à briser

Évoquer « handicap », « amour » et « sexualité » demeure difficile en France, aussi bien de la part des personnes concernées que des autres. Pourquoi et comment y remédier ?

Seul un fauteuil roulant au pied du lit rappelle la réalité. Nus, enlacés, la beauté des images prend le dessus sur tout autre signe physique. Le visiteur se demande de prime abord qui du couple est la personne handicapée.

Cindy a accepté de poser dénudée pour le photographe Hormoz. Elle est paraplégique depuis sa naissance. C’est cette jeune femme de 37 ans qui a proposé à l’artiste de faire cette série de clichés sur la sexualité et le handicap, sachant qu’Hormoz avait déjà réalisé des photos sur les personnes à mobilité réduite (PMR). « Je voulais qu’on évoque la vie affective dans le milieu des handicapés, parce que le sujet est tabou, raconte-t-elle. Il faudrait que les gens s’habituent à voir des corps nus, des corps imparfaits. »

Évoquer le handicap et la sexualité est un sujet sensible. Or, il y a un point commun indéniable entre les valides et les handicapés : l’envie et le besoin d’aimer et d’être aimé de quelque manière que ce soit.

Considérer la personne dans sa globalité

Pourtant, les clichés les plus absurdes circulent dans l’opinion. « Un handicapé n’a pas de sexualité sinon la masturbation », « il ne peut pas avoir d’enfants », « peut-il tomber amoureux ? », « sait-il seulement aimer ? », etc.

L’exposition s’intitule très justement Ajutila, « libre » dans un dialecte malien – hommage à l’origine malienne de Cindy. Parce que les préjugés perdurent à tort. La faute à qui ? À l’information qui ne circule pas, à la formation insuffisante des professionnels, mais aussi à la difficulté d’exercice des droits, même si « on en parle plus qu’avant, via des formations, colloques, etc. », tempère François Crochon, sexologue clinicien et président du CeRHes, le Centre ressources handicaps et sexualités.

« C’est un peu dommage qu’on ne considère pas la personne dans sa globalité, poursuit François Crochon. Si on parlait plus facilement de la sexualité en faisant de l’éducation, on aurait peut-être moins de violence, moins de dysfonctions sexuelles, moins de troubles aussi. La sexualité est un élément parmi d’autres qui est essentiel à la santé globale et c’est important de l’intégrer plutôt que de prescrire à tour de bras des antidépresseurs ou des anxiolytiques face à des maux qui sont parfois dus à des dysfonctions sexuelles. »

Des difficultés d’aimer

« La sexualité est importante pour tout le monde, mais n’est facile pour personne », a écrit la célèbre psychanalyste Françoise Dolto. Et plus que jamais pour les handicapés moteurs qui seraient plus de 3 millions en France selon une étude du ministère du Travail de 2015, dont 880 000 en fauteuil.

Le sexe a toujours été une chose importante dans sa « vie d’avant ». Désormais, comment faire, comment avoir une érection, un orgasme, s’est interrogé Maxence, paraplégique depuis avril 2018 suite à un accident de ski. Très vite, le sujet de sa sexualité l’a inquiété, il a consulté un sexologue à titre personnel pour avoir des informations sur la procréation, parce que le centre où il est n’en possède pas.

« On est encadré pour plein de choses en rééducation, mais le domaine sexuel est minimisé, voire évincé. Dans chaque centre de rééducation, il y a un kiné, un prof d’activité physique, un ergothérapeute, un psychologue, mais il n’y a pas de sexologue. Alors qu’on se pose énormément de questions à ce sujet », explique ce musicien de 35 ans.

Or, tous les établissements qui reçoivent des personnes en situation de handicap sont dans l’obligation de dispenser une éducation sexuelle. « On peut parler de sexualité dans les foyers, explique de son côté Cindy, mais on ne peut qu’en parler, on ne peut que nous donner envie, mais il est quasiment impossible de passer à l’acte. »

S’il est extrêmement difficile d’avoir des rapports sexuels, Maxence dit pourtant avoir vécu une histoire d’amour avec une autre paraplégique de son centre. « C’était interdit, pour des questions d’hygiène soi-disant, mais on le faisait quand même. Mais parfois, avant que ce soit de notoriété publique, je me levais discrètement dans la nuit, vers 4h, pour regagner ma chambre, se souvient-il, avant le roulement du personnel du matin. »

Le droit à une vie privée, à l’intimité, à avoir une éducation sexuelle adaptée sont autant de droits qu’ont les personnes vulnérables, réaffirmés en 2002 puis en 2005 dans le cadre de la « loi handicap ». De plus, la Convention de l’ONU adoptée en 2006 réaffirme la nécessité de garantir la pleine jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales aux personnes handicapées sans discrimination. Si peu de moyens sont mis à leur disposition pour jouir de ce droit à la sexualité, des associations se mobilisent pour leur offrir ce plaisir.

Polémique autour des accompagnants sexuels

« Nous les personnes à mobilité réduite sommes la plus petite minorité de France », explique Maxence. Les personnes les plus vulnérables ont besoin d’aide pour avoir accès à l’amour et à la sexualité, pour se construire une identité sexuelle pour rencontrer des partenaires, pour pouvoir avoir des enfants s’ils le souhaitent.

« On a le rôle du héros et du faible. On est vu comme des personnes courageuses, dit Cindy avec pertinence, et en même temps, puisqu’on ne peut pas faire certaines choses, on est pris pour des faibles par les valides. Alors que ces derniers aussi ont parfois besoin d’aide, physiquement et psychologiquement. La seule différence, c’est que chez nous ça se voit plus »

Si les accompagnants sexuels sont présents dans de nombreux pays dont les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne, ils sont officiellement interdits en France. La prostitution y est libre, mais les clients sont pénalisés depuis 2016. Au droit à la sexualité pour tous s’oppose un refus de la marchandisation des rapports sexuels et de la légalisation d’une forme de prostitution.

L’Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (APPAS) est ainsi considérée comme proxénète. Un paradoxe puisqu’elle a pignon sur rue. Une hypocrisie qu’elle dénonce. « La reconnaissance de l’accompagnement sexuel entraîne la légalisation de la prostitution, analyse Marcel Nuss, membre de l’association basée dans le Bas-Rhin, mais si l’accompagnement était gratuit, cela ne poserait aucun problème. » Et d’ajouter sans ambages : « Une personne qui accompagne bénévolement c’est une femme, ou un homme ; mais une personne qui est payée pour aider, c’est une pute. »

Trop de demandes pour satisfaire tout le monde

En attendant, l’APPAS fonctionne sans problème, malgré l’absence de subventions. Depuis 2013, elle milite pour l’accompagnement à la vie affective, sensuelle et/ou sexuelle des personnes en situation de handicap. Elle forme des personnes volontaires (dont du personnel de santé, des personnes handicapées elles-mêmes, etc.), à pratiquer cet accompagnement, et cela depuis 2015.

« Nous avons formé 70 personnes en quatre ans, dont une trentaine en activité, explique Marcel Nuss. Et nous avons à ce jour enregistré 2 500 demandes d’aide de la part des clients handicapés. » De 18 à plus de 80 ans, les hommes sont les principaux demandeurs, les femmes ne représentant qu’entre 7 et 10% des clients. « Un accompagnement dure au minimum une heure et demie, poursuit-il, il y a énormément de temps d’écoute, avec toujours une rencontre préalable quand une personne est nouvelle. »

Altruisme ou appât du gain, les accompagnants sont, à l’unanimité des témoignages, une aide affective et sexuelle considérable pour les handicapés. « J’ai été longtemps contre ça, concède Cindy. Parce que pour moi c’était une personne formée. En fait, je me suis rendu compte que les accompagnants pouvaient nous apporter beaucoup. Il faudrait une loi, puisque ça se pratique déjà en France, c’est un secret de Polichinelle. »

« L’accompagnement sexuel est une réponse parmi d’autres, qui se fait selon le libre choix », insiste le docteur Crochon. Et d’expliquer qu’accompagnement signifie aussi dans certains cas tenir le rôle d’aide lors d’un rapport sexuel dans un couple tétraplégique.

Dans une société actuelle hyper sexualisée et où la liberté sexuelle est devenue possible au prix de décennies de combat, les handicapés restent marginalisés. « Le sexe est omniprésent dans notre société, analyse le sexologue clinicien, mais en parler reste tabou ».

Un tabou que souhaite briser Cindy à travers l’exposition. « Nous avons eu des commentaires très beaux sur les photos, confie-t-elle, ça donne l’espoir que la sexualité chez les handicapés se banalise. Parce que le fait d’en parler est déjà un pas important. »

Exposition Ajutila, du photographe Hormoz.Anne Bernas/RFI

L’exposition Ajutila sera visible aux Journées départementales du CDCESS (Comité départemental de coordination des actions d’éducation à la santé et à la sexualité) dans l’Essonne, puis à l’hôtel de ville de Namur en Belgique en décembre

RFI

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