Le continent, et la Mauritanie en particulier, peut se positionner pour devenir une alternative fiable pour résoudre les problèmes d’approvisionnement de gaz en Europe.
Je me souviens de mes cours sur la Première Guerre mondiale au lycée, dont on apprenait qu’elle avait été provoquée par « l’assassinat de l’archiduc à Sarajevo ». Mon souvenir est intact parce que j’entendais alors pour la première fois le nom de Sarajevo. Le professeur nous expliquait également la forte implication de la Russie dans la géopolitique mondiale dont l’épicentre se situait alors dans une région tumultueuse.
Ce souvenir me revient en mémoire parce qu’une guerre est engagée par une Russie certainement nostalgique de la grande époque des tsars et de l’empire soviétique. Et que ce conflit a déclenché une crise énergétique sans précédent pour les pays européens, qui dépendent de Moscou pour près de la moitié de leur importation de gaz.
Le 18 mai, l’Union européenne (UE) a présenté le plan REPowerEU, élaboré pour diminuer sa dépendance au gaz russe en diversifiant les importations, optimiser les consommations énergétiques et augmenter l’usage des énergies renouvelables. Dans ce contexte, l’Afrique, et la Mauritanie en particulier grâce au gisement de Grande Tortue Ahmeyim (GTA), se positionne pour résoudre les problèmes énergétiques de l’Europe.
La production du GTA devrait atteindre plus de 2,5 millions de tonnes de gaz par an dès les premières années d’exploitation, et plus de 10 millions par an à l’horizon 2026. Sans compter que, selon une récente étude de Rystad Energy, la capacité de production gazière africaine pourrait atteindre, d’ici à la fin des deux prochaines décennies, environ 75 % du volume annuel de gaz produit par la Russie.
Immenses potentialités
Le gaz des pays africains est également une source d’énergie plus proche des objectifs fixés par l’UE en matière de développement durable. Il faut rappeler que le gaz naturel est l’énergie fossile la moins polluante, avec 30 à 50 % d’émission de CO2 en moins que les autres combustibles fossiles. De même, les exploitations du continent permettent de limiter les importations de gaz de schiste américain, dont on connaît les coûts en termes de dégradation des sols et des nappes phréatiques, causés par la fracturation hydraulique des roches difficilement accessibles.
À cela s’ajoute la proximité géographique avec l’Europe, qui offre un avantage stratégique aux pays situés au nord de la Méditerranée. Depuis les États-Unis, il faut compter entre douze et seize jours pour l’acheminement du gaz par méthanier. La Mauritanie et le Sénégal prévoient une exploitation du gaz sous sa forme liquéfiée, ce qui permet de l’acheminer en seulement trois à cinq jours par voie maritime.
Ce conflit dans lequel l’Ukraine n’est qu’un pion nous permet de voir, avec les pénuries – réelles ou artificielles – qu’il a déclenchées, à quel point l’Afrique peut être une réserve d’espoir pour l’humanité. Que représente le potentiel agricole de l’Ukraine à côté de ceux du Cameroun et de la RDC ? Ce vaste continent, dont moins de 15 % des terres arables sont cultivées, a vocation à devenir le grenier du monde. Saura-t-il conquérir la place qu’il mérite ? La Mauritanie, avec ses immenses potentialités non exploitées, peut incarner cette espérance.
Transitions en souplesse
Le Mauritanien est comme sa terre, rude, altier et généreux, pour reprendre les mots d’Antoine de Saint-Exupéry. Les pays africains se plaignent des coups d’État organisés à partir de l’étranger, dont ils ont été victimes. Pendant les cinq premières décennies de l’indépendance, la Mauritanie n’a connu que cela et ne s’est jamais plainte d’ingérence. Elle a même revendiqué cette spécificité avec une certaine fierté.
Puis, un jour, elle a dit que le temps était venu de sortir de ces guéguerres de fierté clanique et de recourir aux élections. Le pays, qui connaît désormais des transitions en souplesse, est l’un des « meilleurs élèves africains » en la matière. Son économie, jadis à la traine, est aujourd’hui en bonne voie. Certes, la production de fer de la société nationale atteint 12 millions de tonnes par an, alors que les réserves du sous-sol pourraient permettre d’en extraire dix fois plus. Le pays possède un cheptel de 30 millions de têtes de bétail et ne dispose même pas de fermes modernes. Quant à ses réserves halieutiques, elles sont à peine exploitées (150 000 tonnes par an), faute de capacité de stockage et de congélation.
Mais la Mauritanie est aussi la garante de la stabilité et de la sécurité dans le G5 Sahel, après avoir été la place forte du terrorisme. La redistribution envers les plus pauvres a connu des avancées appréciables. L’État a assuré la revalorisation des retraites et mis en place un plan d’assistance financière. L’offre en eau potable et électricité a également connu d’importantes améliorations.
Alors, on se dit que le moment est venu de se tourner vers une exploitation optimale de ses ressources naturelles, pour se tailler une place de choix sur l’échiquier international. La Mauritanie peut devenir un partenaire énergétique fiable pour l’Europe, capable de développer rapidement les infrastructures nécessaires à l’exportation de son gaz vers les pays du nord de la Méditerranée.
Le pays, rappelons-le, a su faire preuve d’une grande résilience face aux différentes crises et aux enjeux sécuritaires, au cours de ces dix dernières années.