Face aux attaques de drones qui déciment ses rangs au Pakistan, Al-Qaïda tente de mobiliser ses ingénieurs pour neutraliser la menace. Mais l’organisation terroriste pourrait aussi essayer de retourner l’arme contre ses ennemis, militaires ou civils.
Al-Qaïda prépare la riposte. D’après une information révélée par le Washington Post début septembre, l’organisation terroriste a mis en place des équipes d’ingénieurs dont l’objectif est de contrer les attaques de drones américains, qui lui infligent de lourdes pertes humaines. Depuis le début de son premier mandat, le président Barack Obama a fait des appareils de type Predator sa meilleure arme contre les jihadistes, notamment au Pakistan. Selon le Bureau of Investigative Journalism, 368 frappes américaines auraient été enregistrées dans ce pays entre 2004 et 2013 pour un total de 2 537 à 3 533 morts recensés.
Des fondamentalistes afghans et pakistanais n’ont pas hésité à appeler, dans une revue intitulée Azan (“Appel à la prière”, en arabe), à “hacker” des drones. Ce magazine à destination des potentielles recrues anglophones de la nébuleuse terroriste demandait à ses lecteurs de mettre en échec la technologie américaine, décrite comme “l’un des problèmes les plus importants contre lesquels la Oumma (la communauté des croyants) doit s’unir et riposter”.
Selon Nicolas Arpagian, directeur scientifique du cycle “Sécurité numérique” à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ, France), cette réaction s’explique surtout par la perte d’un moyen de pression sur Washington. “En tuant des soldats sur le terrain, la nébuleuse avait mis en place une stratégie. Elle forçait le président américain à assumer le poids politique d’avoir fait tuer de jeunes soldats. L’arrivée des drones a rompu le lien émotionnel suscité par la perte des GI, ce qui a changé la donne pour l’organisation terroriste.”
Guidage par satellite
Mais Al-Qaïda a-t-elle les moyens de hacker des drones ? Rien n’est moins sûr, même si l’organisation dispose de nombreux informaticiens et ingénieurs susceptibles de l’aider. “Il y a des sympathisants de la lutte jihadistes dans des pays comme le Yémen, le Pakistan et la Somalie, et des États anti-américanistes comme la Syrie et l’Iran, et enfin les amoureux du défi et du risque comme certains hackers en Europe et en Russie”, énumère Mathieu Guidère, spécialiste de géopolitique et d’histoire contemporaine du monde arabe et musulman. Néanmoins, souligne Éric Filiol, expert français en sécurité informatique et ancien cryptanalyste militaire au sein de la DGSE, seuls des piratages d’ARdrones (hélicoptère quadrirotor qui peut se piloter avec un système informatique iOS, Android ou Symbian via une liaison Wifi, NDLR) ont été répertoriés.
“Le problème est que ces drones sont peu ou pas du tout sécurisés. Les pirater est alors le plus souvent un jeu d’enfant. Le pire est que les États-Unis, du haut de la conscience qu’ils ont de leur supériorité n’ont pas cherché à les sécuriser car ils ignorent le réel niveau de leurs ennemis. De plus, leur pensée privilégie, comme la doctrine soviétique le faisait avec les chars, la qualité sur le nombre”, explique Filiol. Pour autant, très peu de pays ont pour l’instant vraiment les moyens de contrer les drones, tout simplement parce que ceux-ci sont téléguidés directement par satellites.
Menace permanente
En réalité, il s’agirait pour les jihadistes d’essayer de les abattre lorsqu’ils sont en phase d’attaque, ou bien de brouiller leur signal pour perturber la précision de leur frappe. “Mais cela reste limité à certains modèles de drones, très risqué tactiquement et inutile sur le long terme : les Américains possèdent des centaines de drones et en abattre un ou deux ne changerait rien à la menace permanente qu’ils représentent”, tempère Mathieu Guidère. En plus, les États-Unis possèdent une supériorité telle en la matière que seuls leurs alliés israéliens pourraient, aujourd’hui, leur poser problème.
La guerre des drones serait-elle donc perdue d’avance pour Al-Qaïda ? Selon Guidère, “Al-Qaïda continuera à souffrir pendant longtemps encore des attaques de drones, car les méthodes de la nébuleuse sont d’un autre temps par rapport à cette arme du futur.” Même constat chez Éric Filiol, qui n’écarte pas, néanmoins, le risque que les mouvements islamistes utilisent à leur tour des drones contre des populations civiles à des fins de terrorisme… Une tactique qui serait très difficile à contrer si elle voyait le jour, alors que des mini-drones sont déjà en vente libre pour quelques centaines d’euros.
AFP