La grève déclenchée depuis hier par les associations de la presse a été suivie par la quasi totalité des organes. Elle ne finira que lorsque notre confrère du Républicain, Boukary Daou, aura été libéré.
Mamadou Kida n’a ouvert les grandes portes de son kiosque que vers 10 heures hier matin. D’habitude, il est plutôt matinal parce que les livreurs de journaux passent dès l’aube. D’un geste nonchalant, il ouvre un petit débarras situé au fond de sa boutique. Il y entre et essaie, sans grand enthousiasme, de mettre un peu d’ordre dans le fatras d’invendus de la veille. Dans l’enceinte, tout est vide, pas un seul journal n’est affiché sur les étrangères de son commerce situé au Quartier du fleuve en face de la direction régionale de la Caisse nationale de la sécurité sociale (ex-caisse des retraites).
Volontairement, il s’est même gardé d’exposer à l’attention de ses clients les titres étrangers notamment Jeune Afrique qui est pourtant très demandé. La livraison de l’Essor est rangée dans une cantine déposée à portée de main. Quand on lui demande pourquoi, il répond clairement qu’il est solidaire de « la famille de la presse » dans laquelle il travaille depuis toujours. Il avait raison car son commerce repose sur la vente des journaux.
Pendant qu’il pose pour notre photographe qui fixe ce décor désenchanté, un client arrive. Comme d’habitude, il reste derrière le volant de son fourgon pour balayer d’un regard interrogateur les étagères vides sur lesquelles sont d’ordinaire rangées les différentes publications. Mais ce jour, c’est à dire hier, rien n’est affiché. Alors, il interroge le tenancier du kiosque : « Mais, comment ? Il n’y a pas de journaux aujourd’hui ? » Son interlocuteur lui répond par la négative expliquant que la presse fait la grève aujourd’hui. Il hausse la tête, redémarre et s’éloigne.
Comme lui, beaucoup d’amateurs de nouvelles fraiches sont passés aux points de vente des journaux pour connaître les dernières évolutions de la situation dans le Septentrion de notre pays ou encore, comme le quotidien national le relatait, le séjour du président Traoré à Nouakchott, en Mauritanie. Mais, leur surprise a été grande de constater que le kiosque de Kida, bien qu’ayant ouvert ses portes, est vide de journaux. Le tenancier du kiosque s’efforce avec force conviction d’expliquer à ses clients que la presse écrite privée n’a paru. Parce que les organes de presse, sous la direction de la Maison de la presse, ont entamé une grève illimitée jusqu’à la libération de Boukary Daou, un journaliste du quotidien « Le Républicain » interpellé mercredi dernier par la sécurité d’Etat. Depuis, il y est incarcéré.
« On est tous mort !», fulmine volontairement Sambi Touré, installé derrière un ordinateur de la salle de rédaction du quotidien Infos matin. D’autres journalistes surfaient sur le net « pour meubler le temps ». Directeur de publication de son organe, il navigue d’un site à un autre pour s’assurer que les 200 titres de la place ont respecté le mot d’ordre de grève. « C’est la cas », se félicite-t-il avant de saisir son téléphone pour tenter de joindre de Mahmoud Dicko, le président du Haut conseil islamique du Mali chargé d’intercéder auprès des autorités de la Transition la libération de notre confrère embastillé.
LA RADIO SE TAIT. « Il s’est déjà mis à la tâche », constate le patron de presse qui s’est également assuré avec son interlocuteur à l’autre bout du fils que les radios d’obédience religieuse ont bien observé le mot d’ordre de grève. « Vous voyez, le mot d’ordre a été suivi », dit-il, satisfait.
La radio Fréquence 3, logée dans une grande cour à Bolibana, n’émet plus. Les programmes ont été arrêtés et les animateurs sont absents. Seule une technicienne et la gérante se sont présentées hier. Mais, pas pour travailler, précise Mme Diarra Kadiatou Traoré, qui est d’accord qu’il ne faut ouvrir les antennes que lorsque Boukary Daou sera libéré. Pour passer le temps, la technicienne nettoie ses machines. La gérante regarde la télé, une tasse de thé à la main et des amuse-gueule à portée de main.
A Radio Klédu, le gardien est esseulé : pas un animateur n’a pris la peine de faire le déplacement. Kassim Traoré pense qu’il ne faut pas faire les choses à moitié. C’est à la Maison de la presse qu’il passe son temps derrière un ordinateur portable. Beaucoup d’autres journalistes s’y sont retrouvés pour suivre en temps réel l’évolution de la situation.
Le président du groupement patronal de la presse écrite pense que la décision de ne pas éditer de journaux, d’interdire la vente de toute publication et de taire les ondes est « une décision juste » parce que « la cause noble ». Pour lui, ce n’est pas une question de journaliste malien ou étranger, « la formule est simple : un journal est égal à un journal ». « Aujourd’hui c’est Daou demain ce sera peut un autre. Ca pourrait être de la presse privée ou publique ». Dans le cas de l’Essor et de l’Ortm, poursuit-il, cela se comprend. « Ce sont des médias d’Etat » mais « par courtoisie, nous les informons car nous ne faisons pas d’exclusion », insiste le patron des patrons de la presse écrite privée.
Les initiatives, assure-t-il, n’ont pas fait défaut. Depuis mercredi, le ministre de la Communication, le cabinet du Premier ministre ont été informés de l’arrestation « arbitraire de notre confrère ». Mais rien n’a été fait, constate-t-il, malgré les promesses et les discours d’apaisement. Alors, la Maison de la presse a fait une déclaration pour prendre à témoin l’opinion nationale et internationale.
Samedi, narre Sambi Touré, une autre déclaration a suivi. « Nous ne jugeons pas le fond. Avec la Sécurité d’Etat, on ne sait même pas de quoi notre confrère est accusé » note-t-il, visiblement en colère contre une procédure qui à ses yeux « tranche avec la loi ». Car, pour lui, si l’on reproche quelque chose à quelqu’un, c’est à la justice de faire le travail et non la Sécurité d’Etat où « l’interpellé n’est pas assisté par un avocat ». Et il ajoute que les organisations de presse ne demandent aucunement l’impunité ad vitam aeternam mais juste que « les choses se fassent dans les règles de l’art ». Ce qu’il faut éviter, de son point de vue, « c’est que le remède soit pire que le mal ».
Pourtant le ministre de la Communication a clairement expliqué à la télévision que, dans la situation actuelle de notre pays, personne ne doit porter atteinte au moral des troupes. En clair, l’Etat d’urgence étant en vigueur, tout n’est pas permis. Et qu’en définitive, l’intérêt de la Nation doit être une priorité absolue.
AUTEUR FANTOME. De quoi notre confrère est-il accusé ? A-t-il commis une faute professionnelle ? Il est reproché à notre confrère d’avoir publié d’abord en ligne puis dans Le Républicain-papier, un brûlot adressé au président de la république et signé par un certain « Capitaine Touré » dont nombre d’observateurs doute de l’existence.
Un grand professionnel de la communication a jugé que le journaliste n’a pas été assez prudent. Pour lui, il aurait dû s’assurer que le contenu de la lettre ne contrevenait pas à l’esprit de l’état d’urgence instauré dans le pays. Sambi Touré est d’accord avec cette analyse mais fait remarquer que c’est « la première fois qu’un journaliste dérape depuis l’instauration de l’Etat d’urgence ». Et qu’en plus, la manière est inappropriée, juge-t-il.
Makan Koné, le président de la Maison de la presse que nous avons rencontré en milieu de journée au sortir d’une réunion de crise, se réjouit que les 97% des médias aient fait silence radio. Seules quelques radios confessionnelles sont ouvertes. « Là encore, nous dépêcherons des délégations pour discuter avec eux » assure Makan Koné qui indique que le cas de l’Essor est une façon « d’assurer le service minimum ». La preuve, argumente-t-il, est que le Quotidien national parle en ce moment du combat commun mené sur le terrain par les journalistes.
Au delà de la grève, le président de la Maison de la presse annonce une rupture totale entre le Gouvernement et les associations de la presse. « Même si Boukary Daou est libéré, nous continuerons à geler nos rapports avec le Gouvernement. C’est à dire que nous ne couvrons pas les activités intentionnelles avant un dialogue franc avec les autorités », annonce Koné qui pense qu’un dialogue direct permettra d’éviter d’autres dérapages. Puis, il précise qu’il ne s’agit pas de demander une impunité mais plutôt de réclamer la légalité. Makan Koné ne comprend pas pourquoi, après une semaine de détention, il n’y a eu aucune information judiciaire.
En attendant la libération de notre confrère Daou, nos compatriotes seront privés de leurs journaux privés à un moment où ils en ont grand besoin. Et les pouvoirs publics subissent une contre-publicité dont ils n’ont pas besoin. Et le pays non plus.
A. A. A. M. CISSE
Source: L’Essor