Tous les nostalgiques des années post Démocratie le témoigneront sans la moindre hésitation : l’enseignement au Mali est devenu prostitué depuis environ un quart de siècle. Aux mouvements de grève (des étudiants et des professeurs) instaurés comme l’unique mode de règlement de tous les blocages, sont venues se greffer des pratiques aussi condamnables que la corruption, l’argent, le marchandage, le sexe etc. Si l’on y ajoute les difficultés liées aux bourses, au système LMD, aux délestages et coupures d’eau, on comprend aisément la baisse de niveau de nos étudiants, ballotés entre moult péripéties de la vie au campus.
La jeunesse constitue l’avenir d’un pays. Les Etats s’efforcent de mettre en place une vision et des programmes pour assurer à cette jeunesse une bonne formation, afin de doter le pays de ressources humaines de qualité. Au Mali, la situation, n’en est pas moins différente. C’est ce qui justifie les nombreuses réformes auxquelles on a eu recours au niveau de l’enseignement en général et le secteur du supérieur en particulier. En effet, l’enseignement au Mali est passé par une longue période de mutation qui est passée par le système des grandes écoles pour revenir à l’université. Cette mutation de l’enseignement supérieur a-t-elle apporté la solution aux problèmes que rencontrent les étudiants maliens?
Conditions de vie lamentables
A la faculté de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie (Fmpos), les étudiants se plaignent beaucoup de leurs conditions de vie à l’internat où, ils sont entassés dans des chambres très exiguës. La gestion des infrastructures reprise à l’Aeem pour être confiée à une structure spécialisée, le Cenou, n’a visiblement pas apporté le soulagement espéré.
Au campus de la Faculté de médicine, même pour réparer les portes ou les serrures des chambres, c’est la croix et la bannière. «Nos conditions de vie ne cesse de se détériorer, avec les coupures fréquentes d’eau dans les toilettes. Les lits sont en très mauvais état. Même pour réparer les serrures de nos chambres, on fait mille et une navettes», confie Fatou Sanogo, étudiante en 3è A médecine.
Même point de vue chez Fatoumata Soumaré de la 1ère A pharmacie : «Au niveau du campus, un de nos gros soucis concerne l’eau. On peut faire deux jours sans avoir de l’eau dans les robinets. En plus, les étudiants passent leur temps à faire des grèves sans que le gouvernement ne songe à régler leurs problèmes. C’est une situation assez difficile. Ça allonge l’année et ça n’arrange personne».
Pour beaucoup d’étudiants, l’avènement du Cenou a apporté plus de problèmes que de solutions aux conditions de vie des étudiants.
«Il y a trois ans que la rétrocession a été signée entre le Cenou et l’Etat. Depuis cette date, la gestion de l’internat a été transférée au Cenou, qui, selon les clauses, doit, chaque année, doter chaque lit d’un matelas et d’un nouveau drap. Mais rien de tout cela n’est entrain d’être respecté par le Cenou», dénonce Chiaka Sissako, secrétaire aux relations extérieures du comité Aeem de la Fmpos et commissaire au compte du Remao (réseau des étudiants en médecine de l’Afrique de l’Ouest).
«Nous sommes vraiment dans des conditions lamentables», se lamente une étudiante qui requiert l’anonymat.
A la Faculté de médecine, les étudiants évoquent aussi le non équipement de la bibliothèque, l’absence de salles de soutenance. Pire, nombreux sont les étudiants contraints d’aller prendre leurs cours dans d’autres écoles. Seraient dans ce cas, les étudiants de la 3è année Pharmacie dont les effectifs pléthoriques ne peuvent être contenus par aucune des amphithéâtres de l’école de médecine. Ils prennent actuellement leurs cours dans l’Amphi de l’Institut national de formation en sciences de la santé, sis à N’Tomikorobougou.
Au moment de notre passage dans cette faculté de Médecine, les étudiants observaient une grève déclenchée depuis quelques jours pour revendiquer le paiement de leurs bourses. «Nous sommes à 72h de grève (ndlr : le mardi 6 avril dernier) pour réclamer nos bourses. Depuis que nous sommes rentrés il y a 3 mois, nous n’avons perçu ni trousseaux, ni bourses. Pour qui connaît les conditions de vie de l’étudiant à l’internat, sans les bourses et les trousseaux c’est très difficile de vivre ici», témoigne Khalilou Koné. Pour l’étudiant en 6è A, une autre difficulté des étudiants à la Fmpos, c’est le système de bancarisation. Il y a encore beaucoup d’étudiants qui n’ont toujours pas obtenu d’Ecobank leur carte magnétique qui donne accès à leurs comptes. «Si les bourses tombent demain, ces étudiants ne pourront pas toucher leur argent», déclare l’étudiant. Mieux, ajoute le jeune Koné, les étudiants sont de plus en plus étonnés par le comportement des agents de la banque qui les accueillent avec mépris. «Quand on se présente à la banque, on est mal accueilli. Parfois nous sommes même chassés par les agents de la banque au motif qu’ils doivent d’abord s’occuper de leurs clients, comme si nous ne faisons pas partie des clients de la banque», s’indigne l’étudiant. Qui ajoute : «Du moment où le gouvernement nous a confié à Ecobank, nous en sommes devenus des clients à part entière. Malheureusement elle nous fait subir toute sorte de tracasserie avant que nous obtenions nos bourses». Il n’y a pas qu’à la Fmpos, que la question des bourses, notamment le partenariat avec Ecobank, fait des frustrés.
A la Faculté des sciences et techniques (FST), la frustration se lit sur le visage de plusieurs étudiants dont Mohamed Koureïchi, de la 2è année Physique-Chimie. L’étudiant ne cache pas sa colère au regard du problème dit de «compte dormant». En effet, cela fait des semaines que lui et d’autres étudiants veulent toucher leurs bourses, mais ont eu la désagréable surprise de s’entendre dire que leurs comptes sont tous (malheureusement) dormants. Si c’est le cas, l’étudiant doit faire un dépôt minimum de 5000 F CFA pour pouvoir accéder à son compte….
Les victimes du système LMD
A la faculté de Médecine, les étudiants sont solidaires avec leurs camarades de la filière Stomatologie qui font face à un problème très sérieux : il s’agit des étudiants de la filière odontostomatologie. Depuis deux ans, les étudiants de cette filière ne prennent pas les cours dans les conditions idoines à cause de la lutte que mènent leurs professeurs. Depuis deux ans, ceux-ci luttent pour l’obtention d’un statut que le gouvernement ne consent toujours pas à leur accorder. En réaction, les professeurs boycottent les cours.
Mais à la FST, c’est le système LMD (Licence Master Doctorat) qui donne du souci aux étudiants. Nombreux sont ceux qui pensent que le Mali n’est pas préparé à appliquer un tel système dont le mécanisme reste toujours ignoré de tous, y compris le corps professoral.
Talâta Maïga de la filière Géologie, est un étudiant qui se considère comme victime de ce système. Depuis 2007, il n’arrive pas à terminer à cause d’une unité d’enseignement (UE) qu’il n’arrive toujours pas à valider. A l’instar d’autres de ses camarades, il se plaint de la confusion qui entoure l’application du système pour lequel il n’y a toujours pas un règlement définitif au Mali. «Chaque année, on publie un nouveau règlement ; ce qui ne facilite pas aux étudiants la maîtrise du système LMD», se plaint Talâta. Pour qui, ce système met à nu le manque d’organisation de notre administration scolaire, qui ne retrouve souvent plus les anciennes unités d’enseignement qui avaient été validées, quelques années auparavant par l’étudiant. Pour notre interlocuteur, beaucoup d’étudiants sont exclus de l’université parce qu’après avoir validé l’unité qui les retenait, on ne retrouve plus leurs autres notes. «C’est la confusion totale au niveau de notre administration scolaire», se désole l’étudiant.
Argent contre passage
Dans l’univers des universités, facultés et grandes écoles de Bamako, les problèmes des étudiants sont multiples et divers. En plus des problèmes pédagogiques (manque d’équipements et de salles informatiques, labo non équipés..), les étudiants se plaignent aussi de certaines pratiques comme la corruption, le favoritisme, le harcèlement sexuel, ou le laisser aller. Pour Anatole Cissé de la 2èmeannée droit à la Fsjp, le problème à ce niveau concerne le bras de fer qui existe entre la nouvelle administration scolaire qui vient d’exclure des milliers d’étudiants pour épuisement de scolarité et l’Aeem qui a décrété une grève qui dure depuis plus d’une semaine pour que ces étudiants soient réintégrés.
Le jeune Anatole ne partage pas ce combat de l’Aeem. Car, on veut sacrifier les chances de ceux qui veulent apprendre pour des gens qui ne montrent aucun intérêt pour les études.
L’étudiante en Science de l’éducation, Salimata Konaté, 3è Année Licence, se plaint, elle, d’un tout autre problème : le phénomène de la corruption des enseignants. Nombreux sont, selon elle, les enseignants qui, à l’approche des examens, prennent de l’argent avec les étudiants pour les faire passer à l’examen.
A la Flash, les étudiants rapportent d’autres soucis non moins importants. Il s’agit de l’absentéisme de certains enseignants, ainsi que des cours dispensés dans des amphis avec des micros en panne.«Les étudiants qui sont au fond de l’amphi assistent au cours comme en simples spectateurs parce qu’ils ne peuvent rien entendre de ce que l’enseignant dit», confie l’étudiant Daoudi Konaté de la licence Géologie.
A l’Institut universitaire de Gestion (IUG), une question fait de plus en plus grincer les dents : les étudiants viennent de recevoir leurs trousseaux, mais sur leur argent, le Cenou (structure chargée de la gestion des œuvres universitaires) a prélevé 2500 F CFA sur chaque étudiant. «On ne nous a pas dit à quoi cet argent est destiné. Nous voulons qu’on nous donne des explications valables, avant que nous ne prenions certaines décisions», a martelé Ilias Zoromé de la 3è année gestion logistique et transport et secrétaire général du comité Aeem de l’IUG.
Oumar Diamoye
SOURCE:L’Aube