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Grands et petits chefs africains

Quand dans un pays il y a plus d’avantages à faire sa cour qu à faire son devoir, tout est perdu  » disait en substance Paul Valéry.

Lettre ouverte

Depuis les indépendances en Afrique, on a pu observer de nombreux types de dirigeants qui ont défilé avec les années avec plus ou moins de fortunes. Dans cette chronique, je vous propose de jeter un regard sur certains styles de gouvernance de nos dirigeants. Des chefs comme les pères des indépendances réputés patriotes bon teint jusqu’aux putschistes repentis, on peut remarquer une constance générale à savoir la propension à vouloir s’éterniser au pouvoir. Est-ce là, ce que le célèbre chanteur Youssou N’DOUR a qualifié dans une de ses chansons «  d’adoration du pouvoir de l’Homme noir «  ? On ne saurait trop y répondre.

Dans les pays d’Afrique occidentale qui partagent pratiquement la même culture soudano-sahélienne, on peut remarquer que les pouvoirs sont encadrés par les courtisans, les hommes de castes (griots et autres dépositaires de la tradition), la famille et surtout la belle famille du chef. Ces réseaux, qui exercent chacun une influence certaine sur le Chef, l’orientent rarement vers les intérêts du peuple. Mais plutôt vers les leurs … Ainsi ces gens font et défont la vie de leurs compatriotes en se servant du chef qui devient ainsi un pantin à leur merci. Pour arriver à leurs fins, ces collèges invisibles (généralement des militants de tous les régimes qui se succèdent) « travaillent le Chef au corps » en lui inculquant l’idée forte que tout son pouvoir lui vient de Dieu et que par conséquent il n’ait aucune crainte. Yaya Jammey de Gambie en serait convaincu, en attendant son réveil de cette inspiration soporifique. Cette croyance est extrêmement importante pour amener l’intéressé à ne plus prêter oreille aux échos venant de ceux qui ne parlent pas le même langage qu’eux et qu’on va qualifier d’aigris. Dans ce lot de personnes à éviter, il y a les amis de longue date du chef, ceux qui lui donnent des conseils positifs et constructifs et aussi les opposants affichés qui ne sont en réalité soucieux que de l’intérêt national. Cette manie (parce que c’en est bien une) a pour objet principal de bénéficier de toute l’attention du chef et de le couper du reste de son peuple. Ce déphasage conduit inexorablement à la perte du chef auquel on ment à propos de tout et de tout le monde. La délation devenant ainsi la règle d’or pour nuire à tous ceux auxquels on veut régler les comptes. Les chefs prisonniers de tels systèmes sont ceux qui sont sensibles aux louanges, au culte de la personnalité, bref tous ceux qui ont manqué de force de caractère et qui ont confirmé la fable de La Fontaine selon laquelle « tout flatteur ne vit qu’aux dépens de celui qui l’écoute ». Ces gens là ont entraîné leur pays dans des dérives qui font souffrir encore leurs populations.

Nous avons donc des cours présidentielles où trônent de grands vaniteux (il y a aussi l’épouse du chef et souvent les beaux parents…) qui, pour peu qu’ils soient submergés par les sirènes vont se muer eux en dictateurs féroces et leur entourage en affairistes corrompus œuvrant pour la prospérité du népotisme, du clientélisme et de l’affairisme comme modèle économique de gestion de l’Etat. De telles dérives ont pu être observées dans certains pays de la région. Houphouët était de ceux qui appréciaient une cour de chef bien garnie de thuriféraires rivalisant à qui mieux mieux pour se faire valoir aux yeux du prince. Toutefois, bien qu’ayant tout donné aux membres de sa cour, Houphouët ne fût jamais l’esclave des sirènes, ce qui eût l’avantage d’épargner en son temps son pays de ces calamités sociologiques.   Lassana Konté en Guinée fut le prototype même de la victime des courtisans faiseurs de rois qui vivent et survivent en le maintenant au pouvoir contre le gré de ses compatriotes. Ceux qui tirent profit de son pouvoir parvinrent même à le faire réélire sans même qu’il s’implique dans la campagne électorale. C’est donc mesurer l’étendue des pouvoirs de ces courtisans qui sont de subtils et dangereux manipulateurs.

Chez nos voisins du Sénégal, si Senghor en bon intello n’a jamais pu être atteint par les courtisans, il en était autrement de son successeur du moins au début de son règne avant qu’il ne se ressaisisse durablement, allant jusqu’à faire fi des pressions faites sur lui pour ne pas reconnaître sa défaite face à Wade en 2000. Ce vieux chef pour sa part, après douze années de pouvoir s’est laissé entraîner dans le jeu dangereux de tenter les prolongations. Ses opposants ont beau crier -(est-ce justement pour cela ?)- le vieux lion semblait adorer les lourdes flatteries dont certains cadres de son entourage se sont faits spécialistes. La suite, on l’a connait.

Blaise Compaoré doit se nourrir de ses ongles comme tout repas à Yamoussoukoro où il est hébergé. Par pitié et humanité… Il avait trouvé trop coute la petite année de pouvoir qui lui restait. Le peuple lui arracha ce bout qu’il minimisait. Rien moins…

Kabila devrait s’en inspirer. Pour leur part, Mugabé et Sassou Nguesso souhaitent assurément vivre ces affres et n’épargner aucune goutte de sang de ceux qui vont s’interposer entre eux et le pouvoir qu’ils ont arraché à la force de leurs biceps ! Que Dieu sauve leurs concitoyens.

Grands et petits chefs se mesurent par leur personnalité et leur penchant à l’écoute de leur peuple ou de leurs laudateurs. Quoiqu’il en soit, « qui va vivra, va verra ».

 

Idrissa DIOUF

SOURCE: L’Indépendant  du   11 nov 2014.
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